Abandonné dans la brousse par ses ravisseurs, le jeune séminariste du diocèse d’Auchi a succombé à ses blessures et à la faim. Son décès s’inscrit dans un contexte dramatique de persécutions contre les chrétiens du Nigeria, où les ONG dénoncent un véritable génocide passé sous silence par le pouvoir et ignoré par la communauté internationale.Le diocèse d’Auchi a confirmé la mort d’Emmanuel Alabi, jeune séminariste enlevé le 10 juillet dernier lors de l’attaque du petit séminaire de l’Immaculée Conception à Ivianokpodi, dans l’État d’Edo. Selon le chancelier diocésain, le père Jude Sule Auchi, le séminariste est décédé des suites de ses blessures et de la faim, après avoir été abandonné dans la brousse par ses ravisseurs. Son corps n’a pas encore été retrouvé.
Depuis plusieurs années, des villages entiers sont rasés, des prêtres assassinés, des séminaristes enlevés, des familles massacrées. L’organisation Intersociety, basée à Onitsha, parle d’un « anéantissement progressif du christianisme » dans certaines régions du pays.Selon Open Doors, plus de 3 100 chrétiens ont été tués pour leur foi au Nigeria en 2024, représentant près des deux tiers des martyrs chrétiens dans le monde. Des milliers d’églises ont été détruites, notamment dans les États du Plateau, du Benue et de Kaduna, tandis que plus de 16 millions de fidèles auraient été déplacés depuis le début de l’insurrection islamiste en 2009.Pour de nombreux observateurs, ces attaques ne sont plus de simples affrontements communautaires, mais s’inscrivent dans une logique d’épuration religieuse. Les milices peules armées, Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest visent de manière systématique les populations chrétiennes, particulièrement dans le centre et le nord du pays. « Les chrétiens sont attaqués tous les deux jours », déclarait récemment Jabez Musa, avocat chrétien et défenseur des droits humains.
Malgré ces chiffres alarmants, le gouvernement du président Bola Ahmed Tinubu refuse de reconnaître la dimension religieuse de ces massacres. Abuja parle de « conflits intercommunautaires » ou de « rivalités économiques », niant toute volonté d’extermination ciblée. Cette position a été vivement critiquée par plusieurs responsables religieux, dont le cardinal John Onaiyekan, archevêque émérite d’Abuja, qui déclarait déjà en 2022 : « Quand on tue un prêtre à l’autel, ce n’est pas une querelle foncière. »
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Le silence de la communauté internationale renforce ce sentiment d’abandon. Malgré des déclarations de préoccupation, notamment du département d’État américain, peu d’actions concrètes ont été entreprises pour protéger les populations chrétiennes. Le président Trump a publiquement dénoncé ces persécutions, évoquant même la possibilité d’un soutien américain direct. Son avertissement, resté sans suite, résonne aujourd’hui comme un constat d’impuissance face à un drame qui s’aggrave.Dans ce contexte, la mort du séminariste Emmanuel Alabi prend une dimension symbolique. Elle incarne la souffrance d’une Église qui continue de former ses prêtres au milieu des menaces, et celle d’un peuple chrétien qui persévère malgré la peur. L’évêque d’Auchi, Mgr Gabriel Dunia, a invité les fidèles à prier pour le repos de son âme et à garder confiance : « Nos martyrs ne meurent pas en vain. Leur fidélité silencieuse est la semence d’une foi qui ne peut être détruite. »
Alors que le monde détourne souvent son regard, les chrétiens du Nigeria paient chaque jour le prix de leur foi. Et si le mot « génocide » dérange les chancelleries, il demeure, sur le terrain, la traduction la plus juste d’une réalité : celle d’un peuple dont la foi est devenue, peu à peu, une condamnation à mort.


