Par Philippe Marie
Tribune Chrétienne ne fait pas de politique. Peu importe qu’un propos émane d’une personnalité de droite ou de gauche, ce n’est pas la question. Ce qui importe, c’est le respect dû à la foi chrétienne, à ses lieux saints et à son histoire. La cathédrale est un lieu de prière, de silence, de rencontre avec le Seigneur. Elle est un symbole profond, non seulement architectural, mais spirituel. Chaque semaine, en collaboration avec Stéphane Brosseau, Tribune Chrétienne consacre une rubrique intitulée « Héritage spirituel », dans laquelle une cathédrale est mise à l’honneur. Attaquer leur histoire, c’est blesser la foi des chrétiens.
Le mercredi 18 juin 2025, Jean-Luc Mélenchon, lors d’une conférence sur la situation géopolitique, a déclaré :
« La longue histoire, ce n’est pas que pour nous les Français, avec le roi Dagobert qui mettait sa culotte à l’envers… Les autres, les pays arabes, la mettaient à l’endroit et inventaient les maths. Donc disons qu’il y avait une différence de niveau… S’il n’y avait pas eu Saladin, vous ne sauriez pas bâtir des cathédrales, parce que c’est lui qui vous a appris comment on faisait. C’est lui qui vous a appris comment on faisait les vitraux et qui vous a appris les maths. »
Une telle affirmation est historiquement fausse à 90 %, anachronique, et reflète soit une inculture historique préoccupante, soit une volonté idéologique de manipuler les faits à des fins de relativisation ou de déconstruction de l’héritage chrétien de la France.
Il est vrai que l’Orient médiéval a transmis à l’Occident certains savoirs antiques, grecs, romains, égyptiens ou mésopotamiens, mais cela ne signifie en rien que Saladin ait enseigné aux chrétiens comment bâtir des cathédrales. L’architecture de la coupole, par exemple, fut connue bien avant l’islam, dans la Grèce mycénienne au XIVe siècle avant Jésus-Christ, et surtout dans la Rome antique avec le Panthéon. L’usage liturgique et symbolique de la coupole s’est poursuivi avec Sainte-Sophie de Constantinople en 537, avant d’influencer l’architecture islamique et de revenir partiellement en Occident par l’observation de certains édifices orientaux.
Les cathédrales chrétiennes témoignent aussi d’un lien entre architecture et foi, comme l’illustrent les orientations astronomiques de certaines d’entre elles. À Strasbourg, par exemple, le rayon vert et le rayon blanc traversent les vitraux au moment des équinoxes et du solstice d’hiver, révélant une symbolique cosmique profondément chrétienne : par la Croix, le Christ est lumière du monde, maître du temps et des saisons dans son éternité.La technique du vitrail figuratif est née en Occident, entre les IXe et XIe siècles.
Par ailleurs , il est vrai qu’un savant arabe du IXe siècle, Jabir Ibn Hayyan, décrit certaines recettes de coloration du verre, et que le « Livre des secrets de l’artisanat » d’Al-Razi évoque des procédés techniques. Mais il n’y a aucune trace historique ni iconographique d’une participation musulmane à l’élaboration des vitraux chrétiens, ni dans leur conception, ni dans leur théologie, ni dans leur exécution. La tradition des vitraux, telle qu’elle s’est développée dans l’Occident médiéval, reste indissociablement liée à la liturgie chrétienne, à la Bible, aux saints, et à l’enseignement de l’Église.
Si l’Orient connaissait le verre soufflé, il ne l’a jamais utilisé à des fins catéchétiques ou symboliques comme en Occident.
Dans les cathédrales, les vitraux ne sont pas de simples éléments décoratifs. Ils sont, selon les mots de saint Jean Damascène, Docteur de l’Église, « des livres pour les illettrés ». Leur but est d’instruire le peuple en images là où les mots manquent, de transmettre les récits bibliques, les figures des saints, la passion du Christ et les grandes vérités de la foi.Cette fonction pédagogique et spirituelle des vitraux a été soulignée par saint Bernard de Clairvaux lui-même, qui, tout en appelant à la simplicité monastique, reconnaissait que l’image peut conduire à la contemplation : « L’image est un outil pour aider les simples à se souvenir, à méditer, à s’élever. » Le vitrail devient alors une lumière qui instruit l’âme, filtrant les rayons du soleil pour illuminer les mystères divins.
Un autre élément souvent méconnu mais central dans l’architecture religieuse médiévale est la flèche des cathédrales. Elle n’est pas un ornement arbitraire, mais une expression spirituelle forte. La flèche symbolise l’élan de l’âme vers Dieu, elle dépasse les tours, elle transperce le ciel. Elle traduit, dans la pierre, la vocation de l’homme à tendre vers l’éternel. Comme l’expliquait Viollet-le-Duc, restaurateur de Notre-Dame de Paris, la flèche agit comme un doigt levé vers le ciel, un appel à la prière. Par sa verticalité extrême, elle rappelle la dimension transcendante du lieu, c’est un geste d’adoration figé dans l’architecture.
Quant aux mathématiques, les bâtisseurs médiévaux ne travaillaient pas avec des traités arabes, mais avec la corde à nœuds, la pige, les proportions symboliques comme le nombre d’or, ancrées dans une vision chrétienne du monde.Les cathédrales chrétiennes existaient dès le IVe siècle, comme Saint-Jean de Latran à Rome.
L’art gothique est né au XIIe siècle, notamment avec l’abbé Suger à Saint-Denis en 1134. Saladin, lui, ne régna qu’à partir de 1171 et n’eut ni la vocation ni l’intention d’éduquer l’Occident en architecture sacrée. L’attribution de la construction de nos cathédrales à Saladin est une absurdité flagrante.
Rappelons également que contrairement à une idée souvent répétée, les Arabes n’ont pas inventé les mathématiques. Cette discipline est née bien avant, dans différentes civilisations de l’Antiquité. Les Babyloniens utilisaient déjà des systèmes complexes de calcul il y a plus de 4000 ans, les Égyptiens maîtrisaient la géométrie pour leurs constructions, et les Grecs, avec des figures comme Thalès, Pythagore, Euclide ou Archimède, ont posé les bases de la mathématique démonstrative. Ce que le monde arabe a accompli, notamment entre les VIIIe et XIIIe siècles, c’est la préservation, la traduction et l’enrichissement des savoirs grecs et indiens, souvent grâce à des savants perses ou syriaques. Ces travaux ont ensuite été transmis à l’Occident médiéval, en particulier via l’Espagne. Il s’agit donc d’un rôle de relais et de développement, non d’une invention première
Les propos de M. Mélenchon sont donc historiquement faux, théologiquement absurdes et spirituellement offensants. Ils s’inscrivent dans une tentative de relativisation culturelle, voire de négation de la richesse chrétienne de notre civilisation. Les cathédrales ne sont pas des trophées exotiques ni le fruit d’un enseignement arabe, elles sont les fruits d’une foi vivante, d’une offrande à Dieu, d’un peuple qui voulait élever vers le ciel des monuments de pierre aussi élevés que sa prière.
À Tribune Chrétienne, nous affirmons avec force que nos cathédrales sont chrétiennes. Elles ne sont ni orientales, ni païennes, ni anecdotiques. Elles sont le sanctuaire de la présence réelle, de la louange, de l’histoire du salut.Et cela mérite un peu plus de respect.