À partir de demain, 10 décembre , le Grand Palais ouvrira au public une exposition très attendue et déjà polémique : les maquettes grandeur nature des vitraux contemporains créés par Claire Tabouret, destinés à remplacer, d’ici fin 2026, les verrières du XIXᵉ siècle de six chapelles du bas-côté sud de Notre-Dame de Paris.
Présentées dans la galerie 10.2 jusqu’au 10 mars 2026, ces œuvres s’annoncent au cœur d’un bras de fer patrimonial, alors que la cathédrale renaît de l’incendie de 2019. Malgré les avis défavorables de la Commission nationale du patrimoine et des pétitions massives, l’État maintient le projet, au risque de diviser durablement. Aussi à la veille de l’ouverture de l’exposition, le climat est déjà lourd. Les cartons de Claire Tabouret visibles dès demain arrivent dans un contexte tendu, marqué par deux années de controverses. Ces vitraux annoncent l’effacement programmé des vitraux de Viollet-le-Duc, intacts, rescapés de l’incendie.
La décision est maintenue malgré l’opposition unanime de la Commission nationale du patrimoine, malgré les réserves exprimées par une grande partie des Français, malgré une pétition qui dépasse les 250 000 signatures
La vue des maquettes suffit à comprendre la fracture. Le contraste avec l’architecture gothique saute aux yeux. Là où la pierre s’élève, où la verticalité porte l’âme, les compositions proposées sont circulaires, plates, décoratives. Les traits épais, les couleurs dispersées, l’absence de hiérarchie visuelle donnent l’impression d’une fresque contemporaine plaquée dans un lieu qui n’est pas le sien. Ce n’est pas une question de goût, mais d’harmonie. Les vitraux actuels prolongent la logique de Notre-Dame. On ne restaure pas, on remplace.L’opposition n’est pas hostile à l’art contemporain. De son coté, Stéphane Bern, défenseur du patrimoine, l’a rappelé : « Pourquoi l’État s’affranchit-il des règles qu’il impose aux autres ? ». Il souligne que les verrières de Viollet-le-Duc sont intactes, ne nécessitent aucun remplacement et s’intègrent parfaitement à la cathédrale. « L’État demande aux propriétaires privés de respecter les règles de conservation, mais s’en exonère pour Notre-Dame » précise t-il, ce paradoxe nourrit la colère.
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Face à ces critiques, la ministre de la Culture, Rachida Dati, défend le projet au nom d’un mariage entre tradition et modernité. Elle affirme que « patrimoine et création doivent aller de pair » et promet que les vitraux remplacés seront visibles ailleurs. Mais une cathédrale n’est pas un puzzle, ni un espace d’exposition temporaire. On ne retire pas des éléments d’un sanctuaire pour les réaffecter au gré des décisions du moment.Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut rappeler ce que Viollet-le-Duc a voulu au XIXᵉ siècle. Son programme de vitraux marquait une fidélité à l’esprit médiéval : équilibre entre l’ombre et la lumière, cohérence avec l’architecture, recherche d’unité. Les verrières figuratives du chœur dialoguent avec les grisailles de la nef. Rien n’était laissé au hasard. Les maîtres verriers comme Alfred Gérente ou Laurent Charles Maréchal travaillaient à l’échelle du sanctuaire, non à l’échelle d’un effet.
Aujourd’hui, ce dialogue est menacé. Les nouveaux vitraux ne cherchent pas à prolonger la tradition, mais à la rompre. On ne restaure pas, on efface. L’argument invoqué – rendre vivante la cathédrale – est fallacieux. Notre-Dame vit déjà : par la liturgie, par la prière, par la foi, par sa beauté.
Elle ne renaîtra pas en remplaçant des vitraux, mais en gardant son unité. L’État prétend moderniser, mais il crée une fracture.
La pétition lancée par La Tribune de l’Art parle d’un « vandalisme ». Le mot est fort, mais il reflète l’angoisse de ceux qui ont donné après l’incendie. Les donateurs n’ont pas versé des millions pour que l’on retire l’œuvre de celui dont la flèche, effondrée dans les flammes, avait ému le monde entier. Notre-Dame est un signe d’éternité. Elle ne doit pas être remodelée au gré des modes ou des présidences.Les vitraux de la colère s’exposent au Grand Palais. Ils séduiront peut-être. Ils intriguent déjà. Mais pour beaucoup, ils annoncent une blessure. La cathédrale a traversé le feu, elle s’est relevée. Elle ne mérite pas que l’on prenne le risque de l’amputer de ce qui faisait partie de son âme. Ceux qui aiment la France, sa foi et son patrimoine ne peuvent rester silencieux devant une telle mutilation.


