Le Kenya est confronté à une situation préoccupante, marquée par une contestation sociale croissante et une répression de plus en plus violente. Le 25 juin 2025, seize jeunes manifestants ont été tués par la police lors de protestations contre l’injustice sociale et une fiscalité jugée excessive. Le 7 juillet, date symbolique pour la démocratie kényane, onze autres jeunes ont trouvé la mort. Les forces de l’ordre utilisent désormais des balles réelles contre les cortèges.Dans ce contexte, la Conférence des évêques catholiques du Kenya a publié une déclaration datée du 24 juin 2025, dans laquelle elle exprime son inquiétude face à la montée des violences, aux disparitions forcées et aux exécutions extrajudiciaires. Elle appelle à des enquêtes indépendantes sur tous les cas signalés et souligne que « le gouvernement doit reconnaître qu’il y a eu des morts mystérieuses sous sa surveillance, et au moins tenter d’identifier les responsables ».
Les évêques insistent sur le respect de l’État de droit, affirmant que « la loi doit protéger tout le monde et être appliquée équitablement », et que les institutions judiciaires ne doivent pas être perçues comme servant les puissants contre les plus vulnérables.Le communiqué évoque également les violences survenues lors des manifestations. Les évêques expriment leur préoccupation face à l’infiltration de groupes violents et à la confusion entre maintien de l’ordre et usage disproportionné de la force. Ils déclarent : « Nous appelons les agents de sécurité à veiller à ce qu’il n’y ait pas de répétition de la présence de voyous protégés, qui ont apporté la violence lors des récentes manifestations. Comment des voyous peuvent-ils collaborer avec la police ? »
La Conférence demande aux jeunes de ne pas recourir à la violence et aux autorités d’écouter leurs revendications, rappelant que ces manifestations ont souvent été portées par des préoccupations réelles et légitimes.Des prières ont été demandées dans toutes les paroisses pour les jeunes tués, ainsi que pour toutes les victimes de violences liées aux protestations. Le document souligne que « chaque vie humaine est sacrée et doit être traitée avec honneur, quel que soit le statut social ou politique de la personne ».
La publication de cette déclaration intervient alors que le président William Ruto a annoncé la construction d’une église monumentale au sein de la résidence présidentielle à Nairobi, financée selon lui par ses propres moyens. Le projet, d’un coût estimé à 9 millions de dollars et comprenant 8 000 places assises, fait l’objet de critiques.Le président a justifié son initiative en ces termes : « Je ne vais demander pardon à personne pour avoir construit une église. Le diable peut être en colère et faire ce qu’il veut ». Cette déclaration a suscité de vives réactions, notamment en raison de la confusion possible entre engagement religieux et exercice du pouvoir d’État.
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La Société des Athées du Kenya a annoncé son intention de saisir la justice, dénonçant une possible entorse à la neutralité religieuse de l’État. Dans l’Église elle-même, des réserves ont été exprimées. L’archevêque de Nairobi, Mgr Philip Anyolo, a déclaré : « Une telle structure aurait dû être construite ailleurs que dans une institution publique. Sauf s’il s’agit d’une aumônerie, mais cela reste flou ».Dès mars 2025, l’évêque de Nakuru, Mgr Cleophas Oseso, avait mis en garde contre les dons offerts à l’Église par les responsables politiques : « Nous ne savons pas d’où vient cet argent », avait-il déclaré, appelant à ne pas faire des sanctuaires religieux des vitrines pour des personnalités influentes, alors que « les écoles manquent de livres, les hôpitaux de médicaments, et les enseignants de salaire ».
Les évêques rappellent également que le développement ne peut être fondé sur la loyauté partisane, et que les ressources publiques doivent être distribuées de manière équitable et transparente. Ils dénoncent la tentation du favoritisme et du clientélisme : « La gouvernance doit servir le bien commun, et non des intérêts partisans ».
Concernant les relations entre foi et pouvoir, la déclaration met en garde contre toute instrumentalisation religieuse. Elle affirme que l’autorité doit être exercée selon des principes éthiques clairs : « L’autorité doit être exercée légitimement, guidée par une loi morale enracinée en Dieu » (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 396).
Alors que la tension reste forte dans plusieurs villes du pays, les évêques appellent à « protéger les voix citoyennes et les défenseurs des droits humains », y compris les journalistes, les jeunes et les acteurs de la société civile. Ils demandent que les protestations soient traitées avec justice, non avec violence, et que les forces de l’ordre se réengagent à la neutralité, à la transparence et à la proportionnalité.Ce texte marque une prise de position nette de l’Église catholique dans un contexte national sensible. Il exprime une attente de vérité, de justice et de respect des principes démocratiques.