Tandis que les derniers sacs à dos se bouclent et que les chaussures s’ajustent avant les premiers pas vers Chartres, un texte fort paraît ce vendredi soir dans les colonnes du JDD. Il ne s’agit pas d’un regard extérieur, encore moins d’une critique : c’est une parole intérieure, celle de l’association Notre-Dame de Chrétienté, organisatrice du pèlerinage de Chrétienté, qui s’exprime avec gravité et espérance dans une tribune intitulée « Pour la Vérité, la Justice et la Paix ».
Alors que près de 20 000 pèlerins, jeunes et moins jeunes, s’apprêtent à témoigner publiquement de leur foi, une question demeure : pourquoi ce rassemblement, pourtant pacifique, fervent et missionnaire, suscite-t-il encore autant d’incompréhensions ?
L’association Notre-Dame de Chrétienté regrette d’abord que certaines restrictions liturgiques inédites aient été formulées à quelques jours seulement du départ. Elle déplore « l’absence de dialogue franc et direct » avec les autorités compétentes, ainsi que les malentendus persistants sur l’esprit même du pèlerinage. Car il ne s’agit pas d’une revendication identitaire : « Ce que nous proposons depuis 43 ans, c’est la beauté d’une foi vécue dans la Tradition, la Chrétienté et la Mission. »La tribune rappelle que ce pèlerinage n’est pas une œuvre de repli, mais un événement d’évangélisation et de transmission. Elle souligne que le lien à la liturgie tridentine ne relève ni d’une préférence esthétique ni d’une nostalgie, mais d’un enracinement spirituel profond :
« La liturgie traditionnelle est purement et simplement le milieu surnaturel de notre rencontre avec le Christ. […] Elle est notre langue maternelle pour parler au Seigneur, mais aussi pour l’entendre. »
Loin d’une crispation, c’est un appel à la reconnaissance : celle d’une minorité fidèle qui, depuis 1988, a fait le choix douloureux mais résolu de rester en pleine communion avec Rome, suivant les encouragements du pape Jean-Paul II. « Ce jour-là, le Saint-Père leur a dit que leur attachement était légitime », rappelle la tribune.
Mais aujourd’hui, cette fidélité semble mise à l’épreuve. L’association évoque des demandes insistantes de transformer l’esprit même du pèlerinage, en inversant la norme liturgique : faire du Novus Ordo la règle, et de l’ancien rite une tolérance marginale, soumise à autorisation. Ce glissement, note l’association, s’observe depuis plusieurs années dans de nombreux diocèses, au prix parfois d’une souffrance silencieuse des fidèles.
Sans nier la validité de la messe dite de Paul VI, la tribune insiste sur le fait que beaucoup de pèlerins ,et pas uniquement les plus âgés ,« expriment leur réelle difficulté à vivre spirituellement de la nouvelle liturgie », souvent appauvrie ou abusée dans sa mise en œuvre. Pour eux, « ce n’est pas leur langage pour parler à Dieu, ni pour l’entendre. Et ce n’est pas par la force que cela changera. »
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L’association Notre-Dame de Chrétienté se défend d’imposer quoi que ce soit. Elle affirme au contraire accueillir avec bienveillance les prêtres désireux de servir, y compris ceux qui ne célèbrent pas la forme tridentine, « à condition qu’ils partagent l’esprit du pèlerinage et se mettent au service de tous ». L’enjeu est clair : ne pas dénaturer une œuvre fondée sur l’amour de la liturgie traditionnelle, sur la pédagogie doctrinale ancienne, et sur le désir ardent de faire rayonner le Christ.Car le pèlerinage de Chartres, c’est aussi cela : « un témoignage lumineux de la beauté de la foi catholique », des confessions innombrables, des messes ferventes, une amitié chrétienne incarnée dans la marche et le silence. C’est un peuple en marche, certes particulier, mais pleinement enraciné dans l’Église. « Le pèlerinage de Chartres ne convient pas à tous les chrétiens ! », écrit l’association avec lucidité. « Mais il correspond à une portion réelle du peuple de Dieu. »
Ce texte marque un tournant. Il ose poser une question décisive : « Et si la conservation de la liturgie traditionnelle, et la protection d’espaces où elle est valorisée, étaient un élément essentiel, voire indispensable, de la communion de l’Église avec elle-même ? » En citant Benoît XVI, les auteurs rappellent que l’unité véritable ne s’obtient pas en uniformisant, mais en respectant les formes diverses de sainteté et de prière.
Ce week-end, dans les plaines de Beauce, des jeunes chanteront le Credo à genoux, réciteront le Rosaire, et porteront dans leur cœur l’âme de la France. Le pape Léon XIV a invité récemment les Églises orientales à « préserver leurs traditions sans les édulcorer ». L’association Notre-Dame de Chrétienté espère que cette même sagesse s’appliquera aussi à la tradition latine. « Car l’unité de l’Église est d’abord une unité dans la foi. »Et si ce pèlerinage dérange, ce n’est peut-être pas parce qu’il est rigide ou fermé, mais parce qu’il rayonne d’une jeunesse spirituelle inattendue. Comme l’écrivait Péguy : « Le spirituel est toujours plus jeune que le temporel. » À Chartres, cette année encore, le spirituel aura vingt ans.
Nous accompagnerons ces marcheurs. Non pour les instrumentaliser, ni pour les opposer à d’autres sensibilités ecclésiales, mais pour comprendre ces « tentatives de récupération « et partager cette ferveur qui semble parfois jalousée par certains. Nous le ferons, comme l’a si bien exprimé Monseigneur Patrick Chauvet dans notre entretien exclusif, « avec un regard d’amour » et non un esprit de division car « Ils étaient joyeux d’avoir été jugés dignes de souffrir pour le Nom »(Actes des Apôtres 5, 41).