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Pour un secours catholique davantage témoin du Christ.

[ tribune envoyée par un de nos lecteurs..]

Je réagis au témoignage au sujet du secours catholique dans lequel une personne avait été choquée de s’être faite reprocher de ne pas donner des vêtements de marque. Même s’il relate un élément vécu, on donne là une image caricaturale du secours catholique que je connais bien pour y être bénévole. Je connais aussi l’écosystème des autres associations non chrétiennes qui aident les personnes fragiles : restos du coeur, secours populaire, etc. L’extrapolation que cette personne fait pour dire que le SC n’est plus catholique et aide l’islam à s’implanter en France est sa propre vision des choses, qui conforte peut-être aussi votre vision mais ne correspond pas à la réalité. Toutes proportions gardées, c’est un peu comme le problème de la pédophilie dans l’église où certains extrapolent volontiers pour dire que tous les prêtres sont pédophiles et que l’église entière est une institution de promotion de la pédophilie !

Avec mon épouse il nous arrive aussi de donner des vêtements et s’il m’était arrivé la même aventure que cette dame, j’aurais été moi aussi très choqué !

Ce qui est vrai c’est que certains « bénéficiaires » du secours catholique ou autres associations d’aides (non forcément catholiques) sont à l’image de la société qui promeut le « droit » d’avoir ce dont ils ont envie et deviennent exigeants vis-à-vis des associations qu’ils considèrent à leur service. La société doit se plier à leurs envies et ce que la publicité nous montre à longueur de journée est pour certains la norme. La société « doit » leur donner de la nourriture « première fraîcheur » et des vêtements de marque, sans quoi il s’agit d’une « discrimination » dont ils se sentent victimes puisqu’on les traite en dessous de ce qui est la norme, selon eux. Certains bénéficiaires tournent dans les différentes associations pour faire le tri des meilleurs produits qu’ils peuvent obtenir et éventuellement cumuler, voir même revendre ! Attention, je dis bien « certains bénéficiaires » ; ne généralisons pas ! D’ailleurs, je suis témoin que certaines communautés religieuses sont des lieux « d’écoulement », de la nourriture que les restos du coeur ne réussissent pas à écouler à leurs bénéficiaires car n’ayant pas la fraîcheur désirée ou ne correspondant pas au goût ou à la variété de nourriture souhaitée.

La tentation est grande pour toutes ces associations de céder à la démagogie en allant dans le sens du vent et faire une surenchère avec des vêtements de marque, de la nourriture première fraîcheur, etc. Manifestement, le témoignage qui nous est donné nous décrit une personne qui fait une surenchère choquante, mais ne généralisons pas. Comment résister quand on est gestionnaire d’un vestiaire avec une surface de stock limitée et que les vêtements qui ne sont pas de marque s’entassent sans trouver preneur ? Voilà la question à laquelle toutes les associations de bienfaisances (catholique ou pas) se posent. Chez nous par exemple, on a tout simplement décidé de ne pas faire de vestiaire et d’envoyer les personnes vers le secours populaire qui couvre localement cette demande. Cela nous met quelquefois en difficulté quand des personnes ont patiemment trié des vêtements pour nous les donner et que nous sommes contraints de refuser pour les envoyer ailleurs ! On s’est organisé aussi pour synchroniser les demandes d’aide via les services sociaux avec lesquels nous sommes en bon termes pour éviter la tentation, pour les bénéficiaires, de faire le tour des associations de bienfaisances et de cumuler les aides. C’est aussi une exigence vis-à-vis des donateurs pour s’assurer que les aides vont réellement aux plus nécessiteux et pas à ceux qui « picorent » !

Venons-en maintenant à l’aspect « catholique » des choses. J’entends ici le terme catholique au sens « universel » du terme et pas au sens « catholique romain » car il est vrai que le secours catholique n’est pas ouvert uniquement aux chrétiens catholiques, ce qui ferait de lui une association communautariste, mais à tous, musulmans compris, puisque la personne qui a fait le témoignage évoque l’islam. Prenons bien soin de distinguer les personnes musulmanes d’une part et l’islam d’autre part. La manière de présenter les choses de votre lectrice est tout à fait caricaturale en suggérant que le secours catholique entretient ou favorise le communautarisme islamique. Bien évidemment, le secours catholique n’est pas plus communautariste chrétien que communautariste islamique ! En revanche, les personnes qui demandent de l’aide au secours catholique sont toutes accueillies et, suivant les lieux d’implantation, il se peut que la majorité d’entre elles soit musulmanes. Puisque cette dame parle de l’Évangile, le modèle de charité que Jésus nous donne est celui du bon samaritain (Luc 10, 25-37), qui n’est pas un juif alors que le prêtre et le lévite laissent de côté le malheureux qui a été roué de coups. À l’époque de Jésus, les juifs avaient une conception communautariste de la charité et « le prochain » était celui de la même communauté, d’où la question du docteur de la loi qui est très pertinente pour l’époque. De même que dans l’Évangile, Jésus ne s’intéresse pas à la communauté dont faisait partie celui qui a été roué de coups, le secours catholique ne tient pas compte de la religion des personnes en détresse.

Le souci premier est d’accompagner les personnes et nous essayons de le faire dans la durée. C’est compliqué car, comme je l’ai expliqué plus haut, on est souvent face à des personnes qui veulent profiter du système en « picorant » à droite à gauche. Seul l’accompagnement dans la durée permet une connaissance mutuelle et on voit rapidement les personnes qui essayent de profiter du système, celles qui sont réellement dans le besoin et de quel besoin il s’agit. Derrière une détresse matérielle, il y a souvent d’autre détresse : la solitude, la santé, une détresse psychologique, une addiction ou toutes sortes de choses de ce genre. L’accompagnement dans la durée, permet de creuser toutes ces questions pour réellement aider sans faire de l’assistanat. L’idée du secours catholique est précisément de veiller à ne pas faire de l’assistanat mais de donner des « coups de pouce » aux gens qui veulent vraiment s’en sortir. Ainsi, sur l’ensemble des gens que nous voyons régulièrement, la majorité ne reçoivent rien de matériel ou financier du secours catholique mais plutôt de l’amitié, de l’écoute et de la fraternité. Quand il y a un besoin réellement matériel, il y a un système de commission inter-équipe pour que la décision d’aide soit prise à plusieurs pour éviter que les accueillants puissent pousser les dossiers des gens qu’ils connaissent. Cela permet aussi un discernement très sérieux qui respecte les donateurs.

Pour ce qui est de l’aspect « chrétien » du mot catholique, il est vrai qu’on trouve au SC différents profils de bénévoles (ou de salariés) : des catholiques anticléricaux, des non-croyants (assez rare), des pratiquants réguliers très investis dans leur paroisse, des pratiquants qui volontiers feraient du SC une association d’évangélisation militante. Le profil très majoritaire au SC sont des personnes qui trouvent dans l’exercice de la charité une manière de vivre leur foi, indépendamment de toute pratique religieuse. Ce sont ceux qu’on appelle les catholiques « non pratiquants » et les causes de leur non-pratique sont multiples : certains ne vont plus à la messe du dimanche par paresse ou par ce qu’ils s’y ennuient, d’autres ont été blessés par l’église il y a 50 ans ou plus ! On peut d’ailleurs penser que la multiplication des affaires d’abus viendra grossir le nombre des dégoutés abandonnant la pratique et qu’un certain nombre seront accueillis par le secours catholique mais que le reste de l’église n’accueillera pas ou regardera de haut, comme des « plus très catholiques… », pour reprendre le titre de certains articles. Dans ma paroisse, je peux témoigner qu’une nouvelle équipe de prêtres est arrivée avec une sensibilité plus traditionnelle, qui a fait comprendre, parfois avec fort peu de finesse, aux animateurs de la paroisse (liturgie, animateurs d’aumônerie, préparation au mariage ou au baptême, etc..) qu’on n’avait plus besoin d’eux et ils ont été remplacés par des personnes, venues quelquefois de loin, correspondant mieux à la nouvelle sensibilité. Ces personnes remerciées se retrouvent maintenant pour partie au secours catholique et un certain nombre ne pratiquent plus. Quel gâchis !

L’église catholique d’aujourd’hui est malheureusement coupée en deux courants qu’il faut réconcilier. Quand le docteur de la loi pose à Jésus la question « quel est le grand commandement ? » (Mt 22, 36-39), Jésus répond « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Le premier courant de l’église sont les militants du premier commandement et forment le bataillon des « catholiques pratiquants » négligents souvent la charité. Le second courant sont adeptes de la charité qu’on retrouve souvent au secours catholique mais qui négligent la pratique. Dans les deux cas, il y a souvent un déséquilibre entre les deux commandements que Jésus nous donne.

Pour ce qui est de l’aspect « évangélisation », on trouve 2 tendances au SC : 1) la tendance majoritaire, comme dans l’ensemble de l’Eglise, est celle du « levain dans la pâte » qui considère qu’on ne doit rien faire d’autre que s’enfouir et que si Dieu le veut, un jour, quelque chose de l’ordre de la foi germera spontanément, 2) la tendance « témoin de la foi », qui considère qu’on ne doit pas mettre sa foi dans la poche et à l’occasion pouvoir témoigner de sa foi en Jésus-Christ. À mon sens, le danger de la première tendance est qu’à un moment, on s’enfoui tellement qu’on devient invisible et que levain disparaît. Ce qu’on peut juste dire c’est que, si notre modèle est Jésus-Christ, lui n’a pas mis la foi dans sa poche. On peut aussi se rappeler le conseil de Saint Pierre « vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1P3, 15).

Il est vrai que dans certaines délégations du SC, on ne voit aucun crucifix aux murs, ce qui, j’en conviens, pose question. Le motif quelquefois invoqué est que cela pourrait choquer les musulmans. Cela me pose d’autant plus question que, pour bien connaître le monde musulman, ceux-ci sont très étonnés de voir que les chrétiens se cachent alors que pour eux, il faut au contraire se montrer. Jamais je n’ai rencontré un musulman reprocher à un chrétien d’être chrétien et de vivre sa foi. Ça doit sans doute exister chez certains islamistes mais, jusqu’à présent, je n’en ai pas rencontré. En revanche, être athée est beaucoup plus choquant pour un musulman qui ne peut pas imaginer qu’on ne soit pas croyant en Dieu. À mes frères et sœurs du secours catholique qui invoquent le monde musulman pour se cacher, je pose la question : « combien de fois vous est-il arrivé qu’un musulman vous reproche de montrer votre croix ou autre signes religieux, ou même de témoigner de votre foi ? ». La réponse sera sans doute « zéro » et cela signifie qu’en réalité vous êtes juste habités d’une peur non fondée ou que peut-être vous avez une mauvaise conception de la laïcité que vous projetez à tort sur le monde musulman. À mes frères et sœurs qui reprochent au secours catholique de ne pas en faire assez en montrant le Christ bien visible aux musulmans qui sont accueillis, je pose la question : « combien de fois vous est-il arrivé d’évangéliser les musulmans ? ». Si votre réponse est « zéro », alors, ce que dit Jésus s’applique à vous (Luc 11, 46) : « malheureux êtes-vous, docteurs de la Loi, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter, et vous-mêmes, vous ne touchez même pas ces fardeaux d’un seul doigt ». Dire que le secours catholique n’a plus rien de catholique est caricatural. En revanche, oui, le secours catholique doit se convertir, mais au même titre que chacun d’entre nous.

À mes frères et sœurs dans les délégations du secours catholique, je suggère, si vous avez peur de mettre une croix au mur, de mettre une belle icône de la vierge et de l’enfant Jésus. Sachez que les musulmans ont une dévotion particulière pour la vierge Marie. Ou encore mettez une icône du Christ.

Je peux témoigner que lorsque nous allons sur le marché pour récolter les invendus en vue de faire la cuisine avec les personnes en précarité, nous mettons le T-shirt bien visible « secours catholique ». Ma croix au cou est discrète, mais bien visible. Quand ils voient le mot « catholique » et la croix, ce sont les vendeurs musulmans qui sont les plus généreux et les légumes qu’ils nous donnent sont l’occasion d’échanges de bénédictions mutuelles et de témoignages. Ils nous remercient pour ce que nous faisons au service des plus pauvres et le mot « catholique » est un facilitateur et pas un obstacle.

L’accompagnement dans la durée est aussi une manière pour les personnes accueillies de nous voir vivre notre foi au quotidien et d’en témoigner. À l’occasion, on prépare ensemble la messe pour le jour de la quête annuelle du secours catholique. Cela les interroge. Nous revoyons certains accueillis de nos permanences faire la manche devant l’église à l’occasion de la messe du dimanche. Petit à petit, une communauté de pratiquants précaires s’est formée dans notre paroisse. Quelquefois, nous vivons après la messe un repas partagé et il n’est pas rare qu’on y retrouve un bon paquet des accueillis du secours catholique. Ça peut aller jusqu’à 1/4 des participants du repas. Il est arrivé que des accueillis viennent dans l’église pour déposer un lumignon et prier. Je ne suis pas certain qu’ils payent toujours les luminions qu’ils allument mais en revanche, je suis certain que leur prière est sincère et que c’est le secours catholique qui les a conduits là. Dans les personnes que nous accueillons dans nos permanences, il y a des catéchumènes ou des nouveaux chrétiens récemment baptisés. Je peux témoigner aussi qu’il y a une personne musulmane qui a participé à un de nos parcours alpha et qui se ferait volontiers baptiser si elle ne subissait pas de pression de la part de sa communauté. C’est aussi cela le secours catholique.

P L-A

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