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[ VŒUX DE NOËL A LA CURIE ROMAINE ] « Que les structures cessent de freiner l’Évangile et deviennent missionnaires » : le pape Léon XIV appelle à un examen de conscience collectif de la Curie

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"La communion au Christ se construit, plus qu’avec les mots et les documents, par des gestes et des attitudes concrètes" ( intégralité du texte)

C’est dans le cadre solennel de la Salle des Bénédictions, au Vatican, que le pape Léon XIV a prononcé, le lundi 22 décembre 2025, son discours de vœux de Noël à la Curie romaine. Un texte long, dense, profondément théologique, mais aussi d’une franchise peu commune sur les réalités internes de l’appareil curial. À la veille de Noël, le pape y articule avec force deux axes qu’il juge indissociables, la mission et la communion, en les appliquant sans détour à la vie concrète de l’Église et de ses structures centrales.S’inscrivant explicitement dans l’héritage spirituel et pastoral de son prédécesseur, le pape François, que Léon XIV évoque avec gratitude en ouverture du discours, le Saint-Père rappelle que l’Église est « par nature extravertie, tournée vers le monde, missionnaire ». Cette affirmation n’est pas seulement doctrinale, elle devient immédiatement un critère de discernement pour les pratiques ecclésiales et, plus précisément, pour le service exercé au sein de la Curie romaine.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’affirmation centrale du discours, « les structures ne doivent pas alourdir, ralentir la course de l’Évangile ou entraver le dynamisme de l’évangélisation ; au contraire, nous devons “faire en sorte qu’elles deviennent toutes plus missionnaires” ». En citant explicitement Evangelii gaudium (n. 27), Léon XIV reprend à son compte l’un des appels les plus décisifs du magistère récent. Les structures ecclésiales ne sont ni rejetées ni idéalisées, elles sont jugées à l’aune d’un seul critère, servent-elles réellement l’annonce de l’Évangile ?Le pape va plus loin en soulignant que « la mission de Jésus sur terre, prolongée dans l’Esprit Saint dans celle de l’Église, devient un critère de discernement pour notre vie, pour notre cheminement de foi, pour nos pratiques ecclésiales, ainsi que pour le service que nous accomplissons au sein de la Curie romaine ». La référence au « premier grand exode » de Dieu, qui sort de Lui-même pour venir à la rencontre de l’humanité, inscrit la réforme missionnaire dans une logique profondément trinitaire et christologique. Il ne s’agit pas d’un simple ajustement organisationnel, mais d’une conversion du regard et des priorités.

Toutefois, Léon XIV insiste sur un point essentiel, la mission ne peut être authentique si elle n’est pas enracinée dans la communion. « Dans la vie de l’Église, la mission est étroitement liée à la communion », rappelle-t-il, en s’appuyant sur le mystère de Noël, par lequel Dieu fait de nous ses fils et donc des frères et des sœurs. Cette communion n’est ni automatique ni acquise. Elle demeure « un défi qui nous appelle à la conversion », en particulier face aux tentations opposées de la rigidité uniformisante ou de l’exacerbation idéologique des différences.

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C’est ici que le discours prend une tonalité plus intérieure et plus exigeante pour la Curie elle-même. « Nous sommes appelés, aussi et surtout ici à la Curie, à être des bâtisseurs de la communion du Christ », affirme le pape, précisant aussitôt que cette communion « se construit, plus qu’avec les mots et les documents, par des gestes et des attitudes concrètes ».

En citant saint Augustin, « Parmi toutes les choses humaines, quelles qu’elles soient, rien n’est doux pour l’homme sans un ami », puis en rappelant l’amertume du Père de l’Église face à la rareté des amitiés vraiment fiables, Léon XIV introduit une réflexion d’une grande lucidité sur les relations humaines au sein des institutions ecclésiales.Le pape ne se contente pas d’un constat abstrait.

Il reconnaît explicitement que « cette amertume s’installe parfois aussi parmi nous lorsque, après avoir passé de nombreuses années au service de la Curie, nous constatons avec déception que certaines dynamiques liées à l’exercice du pouvoir, à la soif de domination, à la défense de ses propres intérêts, ont du mal à changer ». La question qu’il pose alors, « est-il possible d’être amis au sein de la Curie romaine ? », résonne comme un examen de conscience collectif.

La réponse n’est pas théorique. Léon XIV décrit concrètement ce que pourrait être une fraternité évangélique vécue dans le travail quotidien, « lorsque les masques et les subterfuges tombent, lorsque les personnes ne sont pas utilisées ni ignorées, lorsque l’on s’entraide, lorsque l’on reconnaît à chacun sa valeur et ses compétences ». Il conclut sans ambiguïté, « il y a une conversion personnelle que nous devons désirer et poursuivre, afin que l’amour du Christ qui nous rend frères puisse transparaître dans nos relations ».

Cette conversion vécue ad intra est enfin présentée comme un témoignage nécessaire ad extra. Dans un monde « blessé par les discordes, les violences, les conflits », marqué par « une montée de l’agressivité et de la colère », l’Église est appelée à être « un levain de fraternité universelle ». Le travail de la Curie, comme celui de toute l’Église, ne peut être compris que dans cette perspective missionnaire et testimoniale.En rappelant enfin que « le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre » est « le premier moyen d’évangélisation », le pape Léon XIV a livré, en ce 22 décembre 2025, bien plus qu’un discours de circonstance. Il a proposé une lecture exigeante et profondément évangélique de la réforme de l’Église, où la mission avance à la mesure de la communion vécue, et où les structures ne trouvent leur légitimité que dans leur capacité à servir, sans ralentir, la course de l’Évangile.

INTEGRALITE DU DISCOURS DU PAPE LÉON XIV
À LA CURIE ROMAINE POUR LES VŒUX DE NOËL 

Salle des Bénédictions
Lundi 22 décembre 2025

« Messieurs les Cardinaux,
vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et sœurs !

La lumière de Noël vient à notre rencontre, nous invitant à redécouvrir la nouveauté qui, depuis l’humble grotte de Bethléem, traverse l’histoire humaine. Attirés par cette nouveauté, qui embrasse toute la création, nous marchons dans la joie et l’espérance, car le Sauveur nous est né (cf. Lc 2, 11) : Dieu s’est fait chair, il est devenu notre frère et il demeure à jamais le Dieu-avec-nous.

Avec cette joie dans le cœur et un sentiment de profonde gratitude, nous pouvons regarder les événements qui se succèdent, y compris dans la vie de l’Église. Ainsi, à la veille des fêtes de Noël, alors que je vous salue tous cordialement et que je remercie le Cardinal doyen pour ses paroles toujours pleines d’enthousiasme : aujourd’hui, le psaume nous dit que nos ans sont au nombre de soixante-dix, quatre-vingts pour les plus vigoureux, ainsi nous célébrons aussi avec vous –, je souhaite tout d’abord rappeler mon bien aimé prédécesseur, le Pape François, qui a achevé sa vie terrestre cette année. Sa voix prophétique, son style pastoral et son riche magistère ont marqué le cheminement de l’Église ces dernières années, nous encourageant surtout à remettre la miséricorde de Dieu au centre, à donner un nouvel élan à l’évangélisation et à être une Église joyeuse et accueillante envers tous, attentive aux plus pauvres.

M’inspirant précisément de son Exhortation apostolique Evangelii gaudium, je voudrais revenir sur deux aspects fondamentaux de la vie de l’Église : la mission et la communion.

L’Église est par nature extravertie, tournée vers le monde, missionnaire. Elle a reçu du Christ le don de l’Esprit pour porter à tous la bonne nouvelle de l’amour de Dieu. Signe vivant de cet amour divin pour l’humanité, l’Église existe pour inviter, appeler, rassembler au banquet festif que le Seigneur prépare pour nous, afin que chacun puisse se découvrir fils aimé, frère de son prochain, homme nouveau à l’image du Christ et, par conséquent, témoin de la vérité, de la justice et de la paix.

Evangelii gaudium nous encourage à progresser dans la transformation missionnaire de l’Église, qui puise sa force inépuisable dans le mandat du Christ ressuscité. « Dans cet “ allez ” de Jésus, sont présents les scénarios et les défis toujours nouveaux de la mission évangélisatrice de l’Église, et nous sommes tous appelés à cette nouvelle “sortie” missionnaire » (EG, n. 20). Cet état de mission découle du fait que Dieu lui-même, le premier, s’est mis en route vers nous et, dans le Christ, est venu nous chercher. La mission a commencé au cœur de la Très Sainte Trinité : Dieu a en effet consacré et envoyé son Fils dans le monde afin que « quiconque croit en Lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 16). Le premier grand “exode” est donc celui de Dieu, qui sort de Lui-même pour venir à notre rencontre. Le mystère de Noël nous annonce précisément cela : la mission du Fils consiste en sa venue dans le monde (cf. saint Augustin, La Trinité, IV, 20.28).

Ainsi, la mission de Jésus sur terre, prolongée dans l’Esprit Saint dans celle de l’Église, devient un critère de discernement pour notre vie, pour notre cheminement de foi, pour nos pratiques ecclésiales, ainsi que pour le service que nous accomplissons au sein de la Curie romaine. En effet, les structures ne doivent pas alourdir, ralentir la course de l’Évangile ou entraver le dynamisme de l’évangélisation ; au contraire, nous devons « faire en sorte qu’elles deviennent toutes plus missionnaires » (Evangelii gaudium, n. 27).

Dans l’esprit de la coresponsabilité baptismale, nous sommes donc tous appelés à participer à la mission du Christ. Le travail de la Curie doit lui aussi être animé par cet esprit et promouvoir la sollicitude pastorale au service des Églises particulières et de leurs pasteurs. Nous avons besoin d’une Curie romaine toujours plus missionnaire, dont les institutions, les bureaux et les tâches soient conçus en tenant compte des grands défis ecclésiaux, pastoraux et sociaux d’aujourd’hui, et non pas uniquement pour assurer l’administration ordinaire.

En même temps, dans la vie de l’Église, la mission est étroitement liée à la communion. En effet, le mystère de Noël, tout en célébrant la mission du Fils de Dieu parmi nous, en contemple également le but : Dieu a réconcilié le monde avec Lui par le Christ (cf. 2 Co 5, 19) et, en Lui, il a fait de nous ses fils. Noël nous rappelle que Jésus est venu nous révéler le vrai visage de Dieu comme Père, afin que nous puissions tous devenir ses enfants et donc frères et sœurs entre nous. L’amour du Père, que Jésus incarne et manifeste dans ses gestes de libération et dans sa prédication, nous rend capables, dans l’Esprit Saint, d’être le signe d’une nouvelle humanité, non plus fondée sur la logique de l’égoïsme et de l’individualisme, mais sur l’amour mutuel et la solidarité réciproque.

Il s’agit là d’une tâche urgente ad intra et ad extra.

Elle l’est ad intra, car la communion dans l’Église reste toujours un défi qui nous appelle à la conversion. Parfois, derrière une tranquillité apparente, s’agitent les fantômes de la division. Ceux-ci nous font tomber dans la tentation d’osciller entre deux extrêmes opposés : tout uniformiser sans valoriser les différences ou, au contraire, exacerber les diversités et les points de vue, plutôt que de rechercher la communion. Ainsi, dans les relations interpersonnelles, dans les dynamiques internes aux services et aux fonctions, ou en traitant des questions concernant la foi, la liturgie, la morale ou bien d’autres choses encore, nous risquons d’être victimes de la rigidité ou de l’idéologie, avec les oppositions qui en découlent.

Nous sommes cependant l’Église du Christ, nous sommes ses membres, son corps. Nous sommes frères et sœurs en Lui. Et dans le Christ, bien que nous soyons nombreux et différents, nous sommes une seule chose : « In Illo uno unum ».

Nous sommes appelés, aussi et surtout ici à la Curie, à être des bâtisseurs de la communion du Christ, qui demande à prendre forme dans une Église synodale, où tous collaborent et coopèrent à la même mission, chacun selon son charisme et le rôle qui lui a été confié. Mais cela se construit, plus qu’avec les mots et les documents, par des gestes et des attitudes concrètes qui doivent se manifester dans notre quotidien, y compris dans le domaine professionnel. J’aime rappeler ce qu’écrivait saint Augustin dans sa Lettre à Proba : « Parmi toutes les choses humaines, quelles qu’elles soient, rien n’est doux pour l’homme sans un ami ». Mais il se demandait avec une pointe d’amertume : « Mais combien en trouve-t-on de si fidèles que l’on puisse s’y fier avec sécurité concernant l’esprit et la conduite de la vie ? » (Lettre à Proba, 130, 2.4).

Cette amertume s’installe parfois aussi parmi nous lorsque, après avoir passé de nombreuses années au service de la Curie, nous constatons avec déception que certaines dynamiques liées à l’exercice du pouvoir, à la soif de domination, à la défense de ses propres intérêts, ont du mal à changer. Et l’on se demande: est-il possible d’être amis au sein de la Curie romaine ? Avoir des relations de fraternité amicale ? Dans la fatigue quotidienne, il est beau de trouver des amis en qui nous pouvons avoir confiance, lorsque les masques et les subterfuges tombent, lorsque les personnes ne sont pas utilisées ni ignorées, lorsque l’on s’entraide, lorsque l’on reconnaît à chacun sa valeur et ses compétences, et que l’on évite de générer des insatisfactions et des rancœurs. Il y a une conversion personnelle que nous devons désirer et poursuivre, afin que l’amour du Christ qui nous rend frères puisse transparaître dans nos relations.

Cela devient aussi un signe ad extra, dans un monde blessé par les discordes, les violences, les conflits, où l’on assiste à une montée de l’agressivité et de la colère, souvent instrumentalisées par le monde numérique et la politique. La Nativité du Seigneur apporte avec elle le don de la paix et nous invite à en devenir le signe prophétique dans un contexte humain et culturel trop fragmenté. Le travail de la Curie et de l’Église en général doit également être envisagé dans cette perspective plus large : nous ne sommes pas de petits jardiniers occupés à cultiver leur jardin, mais des disciples et des témoins du Royaume de Dieu, appelés à être dans le Christ un levain de fraternité universelle, entre peuples différents, religions différentes, entre femmes et hommes de toutes langues et cultures. Et cela se produit si nous vivons nous-mêmes en frères et si nous faisons briller dans le monde la lumière de la communion.

Très chers amis, la mission et la communion sont possibles si nous remettons le Christ au centre. Le Jubilé de cette année nous a rappelé que Lui seul est l’espérance qui ne déçoit pas. Et, précisément pendant l’Année Sainte, d’importantes commémorations nous ont rappelé deux autres événements : le Concile de Nicée, qui nous ramène aux racines de notre foi, et le Concile Vatican II, qui, en fixant son regard sur le Christ, a consolidé l’Église et l’a poussée à aller à la rencontre du monde, à l’écoute des joies et des espérances, des tristesses et des angoisses des hommes d’aujourd’hui (cf. Gaudium et spes, n. 1).

Permettez-moi enfin de rappeler qu’il y a cinquante ans, le jour de l’Immaculée Conception, saint Paul VI promulguait l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, rédigée après la troisième Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques. Celle-ci souligne, entre autres, deux réalités que nous pouvons rappeler ici : le fait que « toute l’Église reçoit mission d’évangéliser, et l’œuvre de chacun est importante pour le tout » (n. 15) ; et, en même temps, la conviction que « le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre mais également donnée au prochain avec un zèle sans limite, est le premier moyen d’évangélisation » (n. 41).

Souvenons-nous-en, même dans notre service curial : le travail de chacun est important pour l’ensemble et le témoignage d’une vie chrétienne, qui s’exprime dans la communion, est le premier et le plus grand service que nous puissions offrir.

Éminences, Excellences, chers frères et sœurs, le Seigneur descend du ciel et s’abaisse vers nous. Comme l’écrivait Bonhoeffer, méditant sur le mystère de Noël, « Dieu n’a pas honte de la bassesse de l’homme, il y entre. […] Dieu aime ce qui est perdu, ce qui n’est pas considéré, insignifiant, ce qui est marginalisé, faible et brisé » (D. Bonhoeffer, Riconoscere Dio al centro della vita, Brescia 2004, 12). Puisse le Seigneur nous accorder cette même condescendance, cette même compassion, cet amour, afin que nous en devenions chaque jour des disciples et des témoins.

Je vous souhaite de tout cœur un joyeux Noël. Que le Seigneur nous apporte sa lumière et donne la paix au monde ! »

Source Vatican

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