On croyait que l’abbaye du Mont-Saint-Michel, haut lieu de prière et de pèlerinage depuis plus d’un millénaire, était dédiée à la gloire de Dieu et à l’archange saint Michel, protecteur de l’Église. Or voilà qu’on nous sert aujourd’hui un « Rêve de Lune » dans le chœur même du sanctuaire. Mapping vidéo, sons envoûtants, lumières hypnotiques : tout est mis en œuvre pour remplacer le silence de l’adoration par un spectacle profane à la lumière artificielle… la vraie Lumière, elle , est ailleurs .
La question se pose crûment : que fait la lune posée devant l’autel ? Est-ce un nouveau culte rendu aux astres, une esthétique païenne maquillée en divertissement culturel ?
Le discours officiel, relayé par la presse complaisante, parle d’« apaisement ». Mais apaisement de quoi ? Le chrétien ne vient pas au Mont chercher des sensations visuelles, ni une relaxation new age. Il vient y chercher la Présence réelle, le Dieu vivant, l’écho du combat de saint Michel contre le dragon. En substituant aux offices sacrés un spectacle lunaire, on déplace subtilement le centre de gravité : le regard n’est plus tourné vers le tabernacle, mais vers une sphère artificielle qui occupe la place du culte.
Certains rétorqueront : ce n’est que de l’art, ce n’est qu’une mise en valeur patrimoniale. Mais l’art véritable, quand il entre dans une église, doit élever l’âme vers Dieu, non pas la disperser dans un imaginaire cosmique. Ce que l’on propose ici n’a plus rien de sacré, c’est un glissement vers une spiritualité ambiguë, un culte lunaire qui ne dit pas son nom. Comment ne pas voir la rupture ?
Et le plus tragique, c’est qu’aujourd’hui même la figure de Saint Michel, autrefois si éclatante au sommet de la flèche du sanctuaire, semble effacée. Jadis, le pèlerin levait les yeux et voyait nettement l’archange, glaive à la main, terrassant le démon. Désormais, dans les dessins de communication façon Disney , on peine à reconnaître son visage, son geste, sa puissance. Comme si la flèche s’était réduite à un simple ornement architectural, et que l’archange n’était plus qu’une silhouette indistincte perdue dans la brume. Quelle terrible image de notre temps : le chef des armées célestes relégué au rang de décor, tandis qu’une lune artificielle brille dans le sanctuaire.Et pendant ce temps, l’affiche officielle proclame fièrement : « une expérience sensorielle à la lumière de la lune ». Tout y est : l’installation, la performance, la féérie, l’hommage à l’attraction lunaire. La « déambulation » se paie de 16 à 27 euros. Mais une question brûle les lèvres : et l’adoration, ils connaissent ? Et le sacré, il est où ? L’abbaye, fondée pour la gloire de Dieu, est réduite à un espace événementiel pour « tout public » qui vient se divertir un soir d’été. On croirait lire le programme d’un festival municipal, pas celui d’un sanctuaire millénaire.
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Alors, d’aucuns diront qu’il faut « comprendre », que cela ne remet pas en cause la sacralité des lieux, que tout cela procure une belle émotion aux touristes, qu’il s’agit simplement de faire découvrir autrement la beauté de l’abbaye… Bref, les justifications habituelles. Mais depuis quand l’émotion d’un spectateur remplace-t-elle l’adoration du Créateur ? Depuis quand le frisson esthétique d’un visiteur vaut-il plus que le silence sacré des moines qui ont consacré ce lieu à Dieu ? Si le but est de faire pleurer les touristes d’émotion alors là le but est atteint…mais l’Essentiel n’est-il pas ailleurs ? La vraie Lumière n’est pas celle des projecteurs. La seule qui mérite qu’on se prosterne devant elle, c’est le Christ, Lumière du monde, présent dans le Saint-Sacrement. Tout le reste n’est que poussière et illusion. Transformer l’abbaye en écran géant, c’est précisément oublier que la lumière divine ne s’invente pas : elle se reçoit, humblement, dans l’adoration.
Les abbés d’autrefois auraient crié au sacrilège. Aujourd’hui, on se félicite d’attirer les foules avec des images projetées sur les murs séculaires, comme si le sanctuaire était un théâtre. Mais le Mont-Saint-Michel n’est pas un décor : c’est un lieu consacré, sanctifié par des siècles de prière, de chants grégoriens, de sacrifices silencieux.La lune qu’on y fait briller n’est pas celle que Dieu créa « pour marquer les temps et les jours », mais un artifice de pixels, une idole moderne destinée à flatter les sens. Elle occulte le vrai mystère, celui de l’hostie consacrée, unique lumière qui doit resplendir sur l’autel.
À force de transformer nos abbayes en salles de spectacles, nous finissons par oublier leur raison d’être. Et nous trahissons ce que le Mont a toujours signifié : la victoire de Dieu sur les puissances du monde.Alors, demandons-le sans détour : au Mont-Saint-Michel, veut-on encore célébrer le Seigneur des armées célestes, ou bien se prosterner devant la lune factice d’un « mapping vidéo » ?