Un article accusateur, des sanctions imposées dans l’ombre, et une rivalité au sein de l’épiscopat péruvien : le cas du cardinal Juan Luis Cipriani soulève de nombreuses interrogations. L’affaire a éclaté le 1er février à travers un article du quotidien espagnol El País, accusant le cardinal Juan Luis Cipriani Thorne d’abus sexuels remontant à 1983. L’ancien archevêque de Lima, premier membre de l’Opus Dei à être créé cardinal, nie catégoriquement ces allégations qu’il qualifie de « complètement fausses ». Pourtant, l’affaire ne repose que sur une accusation portée des décennies plus tard par une présumée victime, aujourd’hui âgée de plus de cinquante ans, qui aurait écrit au pape François en 2018.
Or, ce qui frappe dans cette affaire, ce ne sont pas tant les accusations – non prouvées et qui n’ont fait l’objet d’aucun procès canonique – que le contexte dans lequel elles refont surface. En effet, dès 2019, peu après sa démission comme archevêque, le cardinal Cipriani s’est vu imposer par le Saint-Siège des mesures disciplinaires, limitant son activité publique et l’éloignant du Pérou. Une décision dont il assure qu’elle lui a été imposée sans procès ni même possibilité de défense.
Une vengeance interne orchestrée ?
L’accusation ressurgit aujourd’hui avec le soutien appuyé de l’actuel archevêque de Lima, le cardinal Carlos Castillo Mattasoglio, connu pour ses sympathies progressistes et son lien avec la théologie de la libération. En 2012, alors que Cipriani dirigeait l’archidiocèse, Castillo avait été écarté de l’enseignement de la théologie à l’Université pontificale catholique du Pérou pour des positions jugées contraires à la doctrine. Il semble aujourd’hui prendre sa revanche.
Dans une lettre adressée aux fidèles, Castillo reprend les éléments de l’article d’El País, appelant à un « chemin de conversion » et dénonçant ceux qui « refusent de reconnaître la vérité ». Pourtant, il oublie un détail essentiel : c’est le pape François lui-même qui, en 2020, a permis au cardinal Cipriani de reprendre ses activités pastorales, preuve que le cardinal n’a jamais été formellement condamné.
Plus troublant encore, la Conférence épiscopale du Pérou, traditionnellement divisée entre évêques conservateurs et progressistes, a rapidement publié une déclaration qui semble accréditer la thèse d’El País, parlant de la « sage décision du pape d’unir justice et miséricorde » en imposant des restrictions à Cipriani. Un empressement qui alimente les soupçons sur l’origine de cette fuite d’informations.
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Une fuite organisée depuis Rome ?
Le cardinal Cipriani a dénoncé avec fermeté la publication de documents confidentiels qui, selon lui, proviendraient directement du Vatican. Matteo Bruni, directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, a confirmé l’existence des sanctions, précisant qu’elles sont encore en vigueur, sans expliquer pourquoi le cardinal a été sanctionné sans procès.
Cette affaire rappelle les accusations portées contre d’autres figures de l’Église, comme le cardinal George Pell en Australie, qui a été condamné à tort avant d’être totalement blanchi. Aujourd’hui, le prélat Cipriani semble subir le même type de procès médiatique, sans preuve, sans possibilité de se défendre, et dans un contexte où les luttes internes à l’Église prennent un tour inquiétant.
D’autant que cette révélation intervient quelques jours seulement après une réunion houleuse de la Conférence épiscopale péruvienne, où l’archevêque de Lima, le cardinal Castillo, a subi un revers majeur : alors qu’il était pressenti pour être élu président, c’est Mgr Carlos García Camader, un ancien auxiliaire du cardinal Cipriani, qui a été choisi à la surprise générale. Une élection qui a provoqué une vive colère chez les évêques progressistes.
Face à cette orchestration médiatique, une question se pose : qui avait intérêt à relancer cette accusation maintenant ? Et pourquoi la publication d’El País coïncide-t-elle avec un moment clé de la recomposition de l’épiscopat péruvien ?Pour l’instant, le cardinal Cipriani attend toujours de pouvoir faire entendre sa voix devant une instance impartiale. Mais dans un climat où la justice médiatique prend trop souvent le pas sur la vérité, le combat s’annonce difficile.