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Réponse à Monseigneur Eychenne sur l’affaire Spina et la grâce

Monseigneur Eychenne - DR
Monseigneur Eychenne - DR
Où est donc la « distinction » dans un métier de bureau ingrat ?

Par Philippe Marie

À la suite d’un article de Tribune Chrétienne sur l’affaire du père Dominique Spina qualifié de lunaire par nos « aimables amis » de Riposte catholique et les propos de Mgr Guy de Kerimel, Monseigneur Jean-Marie Le Gall , ex-modérateur de la communauté Saint-Martin et ex-recteur du sanctuaire de Montligeon, a rappelé sur les réseaux sociaux la puissance de la grâce capable de transformer un criminel en apôtre. Mgr Jean-Marc Eychenne lui a répondu en invoquant le risque de « faire de quelqu’un un modèle ou de l’honorer d’une distinction ». Cette réaction appelle quelques clarifications.

Le texte de notre article revenait sur l’affaire du père Dominique Spina, qui a créé un profond malaise dans l’Église de France. Mgr Guy de Kerimel, archevêque de Toulouse, y rappelait une vérité essentielle : la justice et la miséricorde ne s’opposent pas mais s’éclairent mutuellement, et refuser toute possibilité de conversion reviendrait à trahir l’Évangile.C’est en commentant cet article que Mgr Jean-Marie Le Gall a écrit : « Croyons-nous encore que le Christ peut transformer un criminel en apôtre, ou avons-nous réduit la foi à une morale sociale et sécuritaire ? ». Une interpellation forte, qui soulignait la dimension surnaturelle de la grâce.Mgr Jean-Marc Eychenne a réagi en estimant que « réinsérer dans la société et dans l’Église, accorder une place digne, ce n’est pas faire de quelqu’un un exemple, un modèle, et l’honorer d’une distinction ». Une réponse qui déplace la discussion sur le terrain des distinctions honorifiques de ce monde , alors que le propos initial de Mgr Le Gall portait sur la puissance transformatrice du Christ.

Monseigneur, vous avez raison de rappeler qu’une réinsertion digne ne doit pas être confondue avec une distinction Mais il n’a jamais été question ici de donner une distinction ou d’ériger quelqu’un en modèle. La fonction de chancelier évoquée en arrière-plan n’a rien d’un honneur prestigieux, elle est surtout une charge administrative définie par le Code de droit canonique, souvent lourde et ingrate. Parler d’« honorer d’une distinction » est donc, dans ce contexte, un contresens.

Le chancelier est un Chrétien chargé de l’établissement et de la conservation des archives et de tous les actes du diocèse, entre autres les actes de catholicité (baptêmeconfirmationmariage).

Cette fonction n’a rien d’une distinction honorifique. Le Code de droit canonique (can. 482) la définit ainsi : « Dans chaque curie diocésaine doit être constitué un chancelier dont la fonction principale est de veiller à ce que les actes de la curie soient rédigés et expédiés, ainsi que de les conserver dans les archives de la curie ».. En clair, ce « gratte-papier » au titre ronflant n’est rien d’autre qu’un simple agent administratif chargé de vérifier les actes, d’apposer des tampons et de classer des dossiers. Pas très exaltant, convenons-en.

Où est donc la « distinction » dans un métier de bureau si discret et fastidieux ?

Le cœur du débat est ailleurs. La question posée par Mgr Le Gall reste entière : croyons-nous encore à la force de la grâce, capable de transformer un pécheur en apôtre ? L’histoire de l’Église le confirme. Saint Augustin, pécheur repenti, est devenu un Père et Docteur. Saint Jean Chrysostome écrivait de Paul : « Le loup a été changé en pasteur, le persécuteur en docteur, le blasphémateur en héraut de l’Évangile. Voyez la force du Christ ». Saint Thomas d’Aquin enseignait que la grâce « élève la nature et la conduit au-delà de ce qu’elle peut par elle-même ».

Loin d’être une « distinction », confier à un prêtre repenti la charge de chancelier ne signifie pas l’ériger en modèle public, mais l’intégrer à un service nécessaire et sans grande gratification. L’Évangile, lui, va plus loin encore : il proclame que la grâce peut transfigurer un pécheur en témoin.Votre souci de prudence est légitime, Monseigneur, mais il ne doit pas effacer la radicalité de l’Évangile et céder à l’émotion qui entraine beaucoup de choses et parfois certaines vérités fondamentales sur son passage. Si nous cessons de croire que le Christ peut faire d’un criminel un apôtre, nous réduisons la foi à une morale sociale et sécuritaire, et nous oublions que la grâce peut bouleverser les vies, même les plus abîmées sans renoncer à reconnaitre la souffrance des victimes.

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