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Saint Jean de la Croix, le docteur de la “nuit” qui rend l’âme libre pour Dieu

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“À la fin du jour, c’est sur l’amour qu’on vous examinera”

Carme, docteur de l’Église (+ 1591)

Il est des saints qui rassurent, et d’autres qui réveillent. Saint Jean de la Croix appartient à cette seconde lignée, celle des hommes que Dieu façonne à coups de dépouillement, pour en faire des témoins de la vérité chrétienne la plus nue, la plus exigeante, la plus lumineuse aussi. Prêtre carme, cofondateur des Carmes déchaux aux côtés de sainte Thérèse d’Avila, poète mystique majeur du Siècle d’or espagnol, il demeure, encore aujourd’hui, une vigie pour une époque qui craint le silence, fuit l’ascèse et se défie de la Croix.

Né le 24 juin 1542 à Fontiveros en Vieille-Castille, Juan de Yepes Álvarez grandit dans une pauvreté rude. Son père meurt alors qu’il est encore enfant, et la famille connaît l’errance et la misère. Très tôt, Juan apprend que la vie chrétienne n’est pas d’abord un discours mais une fidélité dans l’épreuve. Pour payer ses études, il travaille, notamment comme infirmier à l’hôpital. Ce contact avec la souffrance et les pauvres, loin de l’endurcir, l’affine et l’oriente vers une vocation où la charité ne sera jamais séparée de la vérité.À 21 ans, il entre chez les Carmes. Il étudie à Salamanque, dans un monde intellectuel bouillonnant, mais son cœur aspire à autre chose qu’à une réussite universitaire, il veut retrouver la règle primitive du Carmel, faite de prière, d’austérité et d’abandon à Dieu. Ordonné prêtre en 1567, il pense un temps changer de voie, jusqu’à ce que Dieu mette sur sa route sainte Thérèse d’Avila, qui lui confie le projet audacieux d’une réforme, pour que le Carmel redevienne une école de vie intérieure.

C’est ainsi qu’à Duruelo, lieu pauvre que Thérèse surnomme volontiers un “Bethléem”, naît la branche réformée. Juan y prend le nom de Jean de la Croix, nom-programme s’il en est, car toute sa spiritualité tiendra dans cette union de l’amour et du Crucifié. Les débuts sont marqués par une radicalité impressionnante, pieds nus, pauvreté extrême, pénitences. Jean lui-même comprendra le danger des excès et saura, avec le temps, distinguer l’authentique austérité chrétienne d’un volontarisme qui peut flatter l’orgueil spirituel.Mais la réforme n’avance jamais sans résistance. Son engagement fait de lui un signe de contradiction. Le prix à payer sera lourd. Dans la nuit du 2 décembre 1577, il est arrêté et enfermé à Tolède, dans un cachot, pendant des mois. Cette épreuve est, paradoxalement, l’un des lieux les plus féconds de sa vie intérieure. Privé de tout appui humain, humilié, affamé, il traverse ce qu’il appellera la Nuit obscure, non comme une simple dépression ou un désespoir, mais comme une purification où Dieu dépouille l’âme de ses fausses sécurités afin de la rendre disponible à l’union véritable.

De cette prison jaillit une œuvre qui nourrira des générations, Le Cantique spirituel, et plus largement un enseignement spirituel que l’Église reconnaîtra officiellement en le proclamant Docteur de l’Église le 24 août 1926, sous Pie XI, avec les titres de Docteur mystique et Docteur de la théologie spirituelle. Sa béatification par Clément X (1675) et sa canonisation par Benoît XIII (1726) avaient déjà confirmé la sainteté de sa vie, l’Église reconnaissait désormais la solidité doctrinale de son itinéraire.

On comprend alors pourquoi ses grandes œuvres, La Montée du Carmel, La Nuit obscure, La Vive Flamme d’amour, Le Cantique spirituel, ne sont pas seulement des livres pour spécialistes. Elles décrivent une vérité intemporelle, la vie chrétienne est une marche, une purification, une conversion concrète, où l’homme ne se sauve pas par l’intensité de ses efforts mais par la grâce de Dieu accueillie dans l’humilité.

Saint Jean de la Croix insiste sur un point central, l’âme ne peut pas s’unir à Dieu tout en restant attachée à ses idoles. Il résume ce chemin par une formule saisissante, “Pour parvenir à être tout, ne cherche à être quelque chose en rien”. Ce n’est pas une apologie du néant, c’est un appel au détachement. Non pas mépriser le monde, mais refuser de faire du monde un absolu. Là est la liberté intérieure, et, au fond, la condition de l’amour vrai.

Cette doctrine est inséparable de sa compréhension de la foi. Pour lui, la foi a quelque chose d’une nuit, non parce qu’elle serait irrationnelle, mais parce qu’elle dépasse nos prises et nos sécurités. Une âme peut ne plus “sentir” Dieu, ne plus trouver d’appui sensible, et pourtant marcher plus droit que jamais, précisément parce qu’elle marche par la foi, non par la consolation. Cette “nuit”, lorsque Dieu la permet, n’écrase pas, elle purifie, elle empêche l’âme de confondre Dieu avec les émotions religieuses.

C’est ici que saint Jean de la Croix rend un service immense aux chrétiens d’aujourd’hui. À l’heure où tant de discours promettent un bien-être immédiat, sa voix rappelle une évidence évangélique, l’amour passe par la Croix.

Et pourtant, il ne s’agit pas d’un spiritualisme triste. Jean de la Croix est un chantre de l’amour, un maître de la joie profonde, celle qui naît quand l’âme cesse de se posséder elle-même.Dans ses dernières années, il connaît de nouvelles humiliations, mises à l’écart, calomnies. Malade, il est envoyé à Úbeda, où il meurt dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591, à 49 ans. Il demande qu’on lui lise le Cantique des Cantiques, comme si sa vie entière, de la pénitence à la poésie, de la réforme aux cachots, devait se refermer sur cette source biblique où l’amour de Dieu est dit dans le langage de l’Époux.

Aujourd’hui encore, il est patron des contemplatifs, des mystiques, et des poètes espagnols, et son influence déborde largement le Carmel. Des saints, des théologiens, des philosophes, des artistes ont été marqués par cette intelligence spirituelle qui refuse les faux compromis. Même quand il est discuté ou incompris, une chose demeure, son enseignement oblige l’âme à choisir, vivre pour Dieu ou vivre de ses attachements.

Et s’il fallait laisser au lecteur non pas une idée, mais un critère, ce serait cette phrase, simple et redoutable, qui sonne comme un examen de conscience à la fin de la journée, et plus encore à la fin de la vie, “À la fin du jour, c’est sur l’amour qu’on vous examinera” (Maxime 80).Dans un monde où l’on juge tout à l’utilité, à l’image, à l’instant, saint Jean de la Croix rappelle la seule mesure qui demeure, la vérité de l’amour, celui qui se donne, celui qui purifie, celui qui conduit à Dieu.

Avec Nominis

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