Les évêques d’Asie haussent le ton face au sanctuaire controversé de Naju, en Corée du Sud, où continuent d’affluer des pèlerins malgré une interdiction formelle émise par l’autorité ecclésiastique. La persistance de ces visites, en rupture ouverte avec les décisions de l’Église, conduit désormais certains fidèles sur le terrain délicat de l’excommunication automatique, révélant l’ampleur d’une crise spirituelle et disciplinaire inattendue.
Depuis plusieurs années, Naju concentre l’attention et l’inquiétude du clergé asiatique. Officiellement, l’Église locale a déclaré non surnaturels les phénomènes survenus dans les années 1980, lorsque Julia Kim, convertie du protestantisme, affirmait avoir reçu des visions du Christ et que sa statue de la Vierge aurait versé des larmes ou laissé s’écouler de l’huile parfumée. Malgré les conclusions du diocèse de Gwangju, les pèlerins n’ont jamais cessé de se rendre sur place, et le site continue d’attirer une dévotion fervente, souvent détachée de tout encadrement ecclésial.Face à cette désobéissance persistante, les réactions épiscopales se multiplient. En Malaisie, l’archevêque Simon Poh de Kuching a adressé à ses fidèles une mise en garde sans ambiguïté : « Les catholiques ne sont pas autorisés à participer à des activités ou pèlerinages à Naju, car cela entraîne l’excommunication automatique. » Dans ce même message, il les encourage à se tourner vers des lieux reconnus : « Les catholiques sont encouragés à se rendre en pèlerinage et à prier dans les églises désignées (…) ainsi que dans les lieux de pèlerinage catholiques reconnus. »
À Singapour, deux déclarations successives publiées en octobre rappellent avec insistance la position de l’Église universelle. Le 3 octobre, la chancellerie citait la réponse du Dicastère pour la Doctrine de la Foi : « Le clergé, les religieux ou les laïcs qui président ou participent à la célébration des sacrements ou des sacramentaux (…) encourent l’excommunication latae sententiae (can. 1336, 1364). » Quelques semaines plus tard, le 31 octobre, l’archidiocèse réitérait l’avertissement en précisant : « Ceux qui continuent de visiter le centre de Naju, où la supposée voyante poursuit ses activités contre les directives de l’Ordinaire local en Corée, encourent l’excommunication automatique (…) Tous les fidèles qui ont déjà visité le centre doivent cesser de le faire et recevoir le sacrement de réconciliation afin que l’excommunication soit levée. »
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Cette fermeté s’explique par un long épisode de confusion pastorale. Dès 1998, l’archevêque Victorinus Youn Kong-hi, chargé d’enquêter sur les phénomènes, avait conclu qu’ils n’étaient pas d’origine surnaturelle. Il déclarait alors que se rendre à Naju et accorder crédit aux événements du lieu constituait « un acte qui viole l’unité de la foi de l’Église ». Cette conclusion aurait dû mettre un terme à toute initiative publique. Pourtant, la dévotion s’est poursuivie, encouragée plus récemment par un ancien prêtre salésien, Alexander Kim Dae-sik, qui a célébré la messe et administré des sacrements à Naju sans aucun mandat, malgré sa suspension puis son expulsion de la congrégation. Ses initiatives ont conduit l’archidiocèse de Gwangju à publier en 2024 une nouvelle lettre d’alerte et à rappeler une fois encore l’interdiction formelle de promouvoir la dévotion liée aux événements de Naju.L’affaire s’inscrit dans une problématique plus vaste : celle des apparitions mariales et du discernement prudent de l’Église. Au fil des siècles, des milliers d’événements ont été rapportés, mais seule une très petite part a été reconnue comme authentiquement surnaturelle, parmi lesquels Lourdes, Fatima, Guadalupe ou La Salette. Le discernement repose sur des critères précis : l’absence totale d’erreurs doctrinales, la stabilité psychologique des voyants, la profondeur des fruits spirituels, et la cohérence de l’ensemble avec la foi catholique. Lorsque l’un de ces critères fait défaut, l’Église conclut à la non-surnaturalité et interdit tout culte public lié à ces phénomènes. À Naju, le jugement a été rendu, et il n’a jamais été révisé.
Il appartient donc aux fidèles de comprendre que, dans la tradition catholique, la vraie dévotion mariale jamais ne s’oppose à l’obéissance. La Vierge Marie conduit toujours à l’unité de l’Église, jamais à la contestation ou à la division. En rappelant les risques de l’excommunication et en exhortant les pèlerins à ne pas alimenter une dévotion non reconnue, les évêques asiatiques ne cherchent pas à punir mais à protéger. Ils rappellent simplement que la foi authentique prospère dans la communion, et que l’Église, mère vigilante, discerne pour éviter que les fidèles se perdent dans des chemins parallèles où la piété se détache progressivement de la vérité.


