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Sanctuaire marial de Fátima et la fresque de Rupnik : le silence en image, la confusion en acte

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Le sanctuaire marial refuse d’enlever l’œuvre, mais n’ose plus la montrer : incohérence morale ou calcul économique ?

Alors que le sanctuaire de Lourdes a annoncé le 31 mars qu’il couvrirait les mosaïques de Marko Rupnik ornant les portes de sa basilique, le sanctuaire de Fátima, lui, choisit de maintenir visible la monumentale fresque du prêtre accusé d’abus, tout en cessant d’en faire la promotion. Une posture ambiguë qui soulève de nombreuses questions.

La basilique de la Très Sainte Trinité, au cœur du sanctuaire portugais, abrite une immense fresque murale de Rupnik réalisée en 2007, couvrant toute la paroi derrière l’autel : environ 10 mètres de haut sur 50 mètres de large. L’œuvre représente « l’Agneau pascal flanqué de saints et d’anges » dans un style doré reconnaissable, fruit du travail de Rupnik et de ses collaborateurs. Un visuel incontournable pour les six millions de pèlerins qui visitent Fátima chaque année.

Et pourtant, dans un message transmis au média 7Margens et relayé par Catholic News Agency, le sanctuaire déclare : « Nous ne considérons pas de la retirer. Cependant, depuis que nous avons eu connaissance des accusations contre le père Rupnik, nous avons suspendu l’usage de l’image, de l’ensemble de l’œuvre et de ses détails dans nos supports de diffusion. »

Comment ne pas s’interroger devant une telle incohérence ?

Si le contenu visuel est suffisamment problématique pour ne plus apparaître sur un prospectus ou un site internet, comment peut-il continuer d’être exposé sans réserve à la prière publique dans un sanctuaire marial ? Où est la logique ?

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À moins qu’il ne faille y voir une logique purement économique : retirer ou couvrir une telle fresque aurait un coût, et la remplacer un coût encore plus grand. Si tel est le calcul, c’est plus que désolant.

Le même communiqué précise que le sanctuaire de Fátima « condamne fermement les actes commis par le père Rupnik » et qu’il « a déjà exprimé sa solidarité avec les victimes ». Mais ces phrases, aussi nécessaires soient-elles, deviennent creuses si elles ne se traduisent pas en actes visibles. D’autant plus que certaines victimes accusent Rupnik d’avoir commis des abus dans le cadre même de la création de ses œuvres.

Alors que partout en Europe l’Église répète qu’elle veut aller « au bout de son processus d’aide aux victimes d’abus sexuels », que signifie ce double langage à Fátima ? Montrer sans montrer, garder sans assumer ? Est-ce vraiment cela, le devoir de mémoire que l’on proclame ailleurs avec force ?

La contradiction est d’autant plus flagrante que l’Église a déjà engagé une série de mesures fortes : Rupnik a été brièvement excommunié en 2020, les jésuites l’ont exclu en juin 2023, et le Dicastère pour la Doctrine de la Foi prépare son procès canonique. Des cardinaux, des victimes et de nombreuses organisations appellent à faire disparaître ses œuvres des lieux sacrés. À Lourdes, Mgr Jean-Marc Micas a qualifié la décision de recouvrir les mosaïques de « nouveau pas symbolique ».Le sanctuaire de Fátima semble figé dans l’ambiguïté.

Faut-il rappeler que 230 lieux de culte dans le monde exposent aujourd’hui des œuvres de Rupnik ? Mais c’est bien Fátima qui porte ici une responsabilité particulière. En choisissant de conserver une œuvre centrale tout en la rendant invisiblement problématique, le sanctuaire donne un signal brouillé.

Dans une Église qui appelle à la clarté, à la réparation et à la vérité, cette hésitation ressemble à une occasion manquée. Comme le rappelle l’Évangile : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non » (Mt 5, 37). À Fátima, il semble que l’on ait choisi un entre-deux confus, qui ne peut que troubler les fidèles et heurter les victimes.

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