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Série -Les cathédrales – BASILIQUE CATHÉDRALE SAINT-DENIS (93)

Rosace de la cathédrale de Saint Denis - DR
Rosace de la cathédrale de Saint Denis - DR
L’Histoire de France dans les pierres

Par Stéphane Brosseau

Nous présentons aujourd’hui un lieu hautement signifiant de la foi, mais aussi de la France et de la naissance de l’art gothique : la basilique cathédrale Saint-Denis, nécropole des rois de France.

Son message symbolique peut être ainsi synthétisé : la première cathédrale gothique, temple de la lumière divine, icône de la Jérusalem céleste, lieu du sacre des reines et nécropole des rois de France, illustre la continuité de la royauté française, chargée du salut des âmes de ses sujets, en ce temps confié par Dieu dans la communion des saints ; elle révèle l’alliance lumineuse entre la royauté française et l’Église catholique.

La basilique Saint-Denis[i], premier édifice entièrement gothique, est située au centre de la ville, à 5 kilomètres au Nord de Paris, en Seine-Saint-Denis.

Fondée en tant qu’abbatiale, elle a le statut de cathédrale depuis 1966.

L’ancienne abbaye royale de Saint-Denis est associée à l’histoire des Francs. L’église abbatiale fut dénommée « basilique » dès l’époque mérovingienne. Elle s’élève sur l’emplacement d’un cimetière gallo-romain, lieu de sépulture de saint Denis, martyrisé vers 250. Le transept de l’église abbatiale, d’une ampleur exceptionnelle, était destiné à accueillir les tombeaux royaux. Elle est ainsi la nécropole des rois de France depuis les Robertiens et Capétiens directs, même si plusieurs rois mérovingiens puis carolingiens avaient choisi avant eux d’y reposer.

La basilique Saint-Denis fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques par la liste de 1862. Le jardin qui l’entoure est aussi classé monument historique depuis le 19 août 1926.

Saint-Denis fut une église et une nécropole contemporaines de la christianisation de la Gaule. Dès le Bas-Empire, une nécropole gallo-romaine est attestée sur le site de Saint-Denis par différentes campagnes archéologiques. Selon la tradition, Denis, premier évêque de Paris, aurait été martyrisé sur l’emplacement de l’actuelle église Saint-Denys de la Chapelle, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Une chrétienne nommée Catulla aurait inhumé son corps dans un champ lui appartenant.

Puis, certainement après « l’édit de Milan », un mausolée fut élevé ; il devint rapidement l’objet d’un culte, comme le suggère la présence voisine de plusieurs sarcophages en pierre ou en plâtre d’aristocrates francs. D’après la vie de sainte Geneviève (source hagiographique rédigée vers 520), la sainte patronne de Paris ayant visité le tombeau du martyr, aurait trouvé qu’il était indigne d’un personnage aussi glorieux. Elle obtint du clergé parisien d’acheter des terres sur le vicus Catulliacus et y fit édifier une chapelle gallo-romaine entre 450 et 475.

Ces traditions incertaines sont reprises dans La Légende dorée de Jacques de Voragine qui popularisa le mythe de saint Denis céphalophore qui, après sa décollation, se serait relevé et aurait marché, la tête dans les mains, jusqu’au cimetière gallo-romain de Catolacus, qu’aurait retrouvé sainte Geneviève. Symboliquement, le corps du martyr représente l’Église, et le miracle enseigne que l’on ne retire pas la tête de l’Église, le Christ, de son corps, constitué de chacun de nous, de ceux qui nous ont précédés et qui nous succéderont.

Sous les Mérovingiens et les Carolingiens, ce lieu était une nécropole royale parmi d’autres. Un premier agrandissement de la chapelle dans le cimetière gallo-romain de Catolacus apporta une prolongation de 11 mètres à l’Ouest. Alors que Michel Fleury le situait entre 540 et 550, soit sous le règne de Childebert Ier, Patrick Périn l’a récemment estimé aux années 451459, proposant d’y reconnaître la chapelle de sainte Geneviève.

De fait, le lieu avait à cette époque un grand prestige, comme en témoigne la découverte en 1959 du sarcophage de la reine Arégonde, épouse de Clotaire Ier et belle-fille de Clovis, morte entre 573 et 579, première personne royale qui y fut enterrée. La pratique de l’inhumation ad sanctos (« près des saints ») inaugurée par Clovis a donc été rapidement reprise par l’aristocratie. Le développement d’une vaste nécropole ad sanctos sur au moins 8 000 m² au Nord du sanctuaire est la conséquence la plus directe de la promotion du culte de Denis.

Les Gesta Dagoberti, rédigés autour de 835 probablement par le jeune Hincmar, alors moine et élève d’Hilduin, racontent la découverte miraculeuse du tombeau des trois martyrs (saint Denis et ses deux compagnons, le prêtre Rustique et le diacre Éleuthère) par Dagobert Ier et embellissent la tradition selon laquelle le Roi des Francs aurait fait transférer leurs reliques vers la basilique actuelle et aurait fondé un monastère bénédictin. Il y aurait fait placer vers l’an 630 le corps des trois martyrs mais il est plus vraisemblable qu’ils aient été déplacés sous le règne précédent, voire qu’ils aient toujours été à cet emplacement.

Selon Dom Doublet, auteur de l’Histoire de l’abbaye de Saint-Denys en France, la construction de la nouvelle chapelle aurait débuté en 632 et la dédicace eut lieu le 24 février 636. Dagobert est le premier roi des Francs à être inhumé en l’église de Saint-Denis. Sous les Mérovingiens et les Carolingiens, cette nécropole royale partageait ce privilège avec d’autres églises. C’est probablement à partir du VIIe siècle, sous l’impulsion des rois mérovingiens, que la communauté desservant la basilique devint monastique, celle-ci comptant tout au long du Moyen Âge environ cent cinquante religieux. Vers 650, le monastère, tout comme au Nord de la chapelle, une série de sanctuaires secondaires dédiés à saint Barthélemy, saint Paul et saint Pierre, furent construits.

Les liens privilégiés que l’abbaye de Saint-Denis entretenait avec la royauté mérovingienne se renforça sous les Carolingiens qui firent des abbés les archichapelains du roi, puis de l’empereur ; ils avaient ainsi le grade le plus élevé de tous les hauts fonctionnaires de la dynastie. De cette époque naquît « la vocation de l’abbaye comme historiographe et gardienne des traditions chrétiennes franques »[ii].

Charles Martel confia l’éducation de ses fils aux moines sandionysiens et ses funérailles en 741 inaugurèrent une deuxième série d’inhumations royales dans la basilique.

Il semble qu’à l’occasion de son second sacre à Saint-Denis, en 754, Pépin le Bref ait fait le vœu de rebâtir à neuf l’antique basilique. L’abbé Fulrad, en tant que représentant de Pépin, effectua plusieurs voyages à Rome, d’où il tira son inspiration pour reconstruire Saint-Denis, notamment en prenant comme modèles les basiliques romaines de Saint-Pierre-aux-Liens et Saint-Paul-hors-les-Murs. Les travaux ne débutèrent qu’après sa mort, vers 768769, et la consécration eut lieu en présence de Charlemagne le 24 février 775. Cette nouvelle église, toujours dédiée à saint Pierre, longue de près de 80 mètres, était de plan basilical à trois nefs. Elle comprenait un transept faiblement débordant et ouvrant à l’Est sur une abside semi-circulaire. La nef présentait deux files de colonnes, neuf travées et mesurait à l’intérieur 20,70 mètres de large.

Certains fûts de colonnes torsadées furent prélevés de monuments antiques italiens, notamment plusieurs fragments de marbre de Synnada (Turquie). Sous l’abside, une crypte annulaire, bâtie à la manière de celles de Rome, permettait aux pèlerins d’accéder à une confession dans laquelle étaient exposées les reliques de saint Denis et de ses deux compagnons. On peut encore voir dans la crypte actuelle les vestiges de ce corridor qui longeait l’intérieur de l’abside.

Vers 800, un baptistère dédié à saint Jean-Baptiste ou saint Jean-le-Rond fut aménagé. En 832, l’abbé Hilduin agrandit la crypte vers l’Est et bâtit une chapelle dédiée à la Vierge, qui devint le caveau royal au XIXe siècle. Elle disposait de trois vaisseaux dédiés à la Sainte Vierge, à saint Jean et à tous les saints. Les murs de la partie centrale conservaient les reliques de la Passion et étaient décorés de pierres dorées. Il y avait aussi un puits aux eaux réputées curatives.

En 857, le monastère de Saint-Denis fut pillé par les Vikings qui assiégeaient Paris depuis décembre 856. Le Vendredi Saint 3 avril 858, deux troupes normandes partirent de Jeufosse à cheval en se dirigeant, l’une vers l’abbaye de Saint-Denis, l’autre vers l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, afin de capturer leur abbé et demander une forte rançon. À Saint-Denis, plusieurs hommes d’Église furent enlevés, dont l’abbé et son demi-frère Gauzlin (834886), évêque de Paris. De façon générale, En 867, l’implication dans la vie politique et le prestige des abbés était tel, que Charles II le Chauve s’appropria le titre d’abbé de Saint-Denis. En 869, il fortifia le monastère pour se défendre face à la menace des invasions des Vikings.

Entre 1130 ou 35 environ et 1144, l’abbé Suger, conseiller des rois Louis VI, puis Louis VII et abbé de Saint-Denis de 1122 à 1151, souhaita rénover la vieille église carolingienne afin de mettre en valeur les reliques de saint Denis dans un nouveau chœur. Il décida la reconstruction de l’église avec une élévation importante et des baies d’une grandeur encore jamais vue pour laisser pénétrer la lumière. Il s’inspira pour cela entre autres du prieuré voisin de Saint-Martin-des-Champs à Paris.

En 1130, il fit édifier un nouveau massif occidental, en adoptant le principe de la façade harmonique, modèle normand roman à l’instar de l’abbatiale Saint-Étienne de Caen. Il agrandit l’abbatiale en remaniant le narthex d’une façade dotée pour la première fois d’une rose et de trois portails de grandes dimensions. Dédicacée le 9 juin 1140, cette façade fut flanquée de deux tours réunies par un parapet crénelé évoquant la « Jérusalem céleste ».

Il modifia aussi le chœur en lui ajoutant des chapelles rayonnantes. Reprenant le principe du déambulatoire à chapelles rayonnantes mais en le doublant, Suger innova en prenant le parti de juxtaposer les chapelles autrefois isolées en les séparant par un simple contrefort. Chacune des chapelles comporte de vastes baies jumelles munies de vitraux filtrant la lumière. Le voûtement adopte la technique de la croisée d’ogives qui permet de mieux répartir les forces vers les piliers.

Le chevet fut consacré le 11 juin 1144. L’église inaugura ainsi le francigenum opus, appelé plus tard l’art gothique, dans le sens où pour la première fois, l’abbé Suger créa un bâtiment complet et cohérent, à partir de l’arc brisé, de la croisée d’ogives et des arcs boutants. L’abbaye bénédictine de Saint-Denis devint dès lors un établissement prestigieux et riche.

A partir du règne de Louis VI, les rois de France prirent l’habitude de lever l’oriflamme de Saint-Denis avant de partir en guerre ou en croisade.

Au XIIIe siècle, le besoin d’espace pour la nécropole royale imposa la reprise des travaux de reconstruction. L’église présentait jusqu’ici une nef carolingienne, vétuste, coincée entre l’avant-corps et le chevet de Suger. Elle n’était reconstruite au XIIe siècle qu’à ses deux extrémités. On entrepris donc de poursuivre les travaux de la nef (dont la voûte s’élève à 30 m de hauteur) et d’un vaste transept, ainsi que le rehaussement du chœur de Suger et la reconstruction des deux tours de la façade, dont la flèche Nord élevée en 11901230, qui culminait à 85 ou 86 mètres de hauteur (90 avec sa croix) ; elle avait été conçue ainsi pour dépasser celle de Notre-Dame. Cette flèche fut frappée par la foudre en 1837 puis déstabilisée en 1846 par une tornade dite « Trombe de Gonesse » qui détruisit douze clochers de la région. François Debret l’avait certes restaurée, mais Viollet-le-Duc estima qu’elle était particulièrement dangereuse et il la fit démonter.

De l’église du XIIe siècle, on ne conserva donc en ce XIIIe siècle que la façade harmonique et la partie basse du chevet. Des travaux de grande ampleur furent menés de 1231 à 1281, soit en moins de cinquante ans. La reconstruction fut entreprise grâce à l’association de trois figures d’exception : le jeune roi Louis IX, sa mère Blanche de Castille, régente durant la minorité de Louis et durant sa première croisade, et l’abbé de Saint-Denis, Eudes Clément (12281245). Le maître d’œuvre décida de conserver le déambulatoire de Suger et les chapelles rayonnantes mais fit détruire les parties hautes du chœur de Suger. L’abbé Eudes Clément voulut que le nouveau plan puisse s’ajuster à la hauteur de la façade de Suger, avec un chœur et un transept plus hauts. Ainsi, les colonnes de Suger furent enlevées et remplacées par des supports plus lourds composés d’une série de tambours horizontaux avec des fûts en saillie orientés vers l’autel. La croisée du transept, plus large que le chœur, entraîne un évasement de la première travée du chœur vers le transept à l’Ouest, aussi bien du côté Nord que Sud.

L’idée du nouvel architecte était de raccorder les constructions conservées de l’église de Suger, abside et narthex, avec le plan plus large du nouvel édifice. La jonction du transept et de la nouvelle nef à l’ancien chevet aboutit à une astuce de l’architecte : les arcs des arcades s’élèvent au fur et à mesure que l’on se dirigeait vers l’Ouest. En outre, la base du triforium montait aussi dans chaque travée en direction des piliers de la croisée. Les dimensions changeaient donc graduellement depuis les volumes intimes du chœur de Suger, jusqu’au projet monumental et définitif du transept et de la nef. Ce changement fut conduit avec une grande subtilité pour que la transition ne puisse pas se voir.

Après l’achèvement du grand transept dans les années 1260, le nouveau programme des monuments funéraires royaux visa à faire apparaître la continuité des trois lignées royales franques.

En 1267, Louis IX inaugura le nouvel ensemble sépulcral, décrit par un érudit dominicain, proche de la famille royale, Vincent de Beauvais. Vincent affirmait le « retour du royaume des Francs à la race de l’empereur Charlemagne » en la personne de Louis VIII, père de Louis IX, dont le sang carolingien lui avait été transmis par sa mère Isabelle de Hainaut. Les monuments de Philippe Auguste et de Louis VIII, situés au centre de l’édifice, témoignent donc de l’union en leur personne des lignées mérovingienne et carolingienne d’une part (dont les rois ont leurs tombeaux au Sud) et capétienne d’autre part (dont les rois ont leurs tombeaux au Nord)[iii].

Le transept aux tombeaux royaux fait ainsi le lien entre le haut chœur où se trouvaient les reliques à l’Est, et le chœur des moines à l’Ouest où retentissaient quotidiennement les prières au saint patron de la monarchie.

Le 22 août 1291, une bulle du pape Nicolas IV, datée d’Orvieto, confirmant elle-même une bulle de Célestin III, accorda aux religieux de Saint-Denis le privilège de n’être soumis à aucune sanction canonique, émanée de qui que ce fût, hormis de leurs abbés, sans une licence spéciale du souverain pontife.

En 1378, Charles IV, empereur du Saint-Empire romain germanique, s’arrêta à l’abbaye pour se faire présenter les reliques et joyaux du Trésor ; celui-ci jouissait auprès des amateurs d’art d’un prestige croissant.

En 1568, débutèrent les travaux de la rotonde des Valois, chapelle dont la construction fut décidée par Catherine de Médicis et dont la vocation était d’accueillir les sépultures des souverains et princes de la maison de Valois.

Le 10 novembre 1567, les protestants et les catholiques se livrèrent une terrible bataille à Saint-Denis durant les guerres de Religion. En 1593, Henri IV y abjura le protestantisme.

Le 13 mai 1610, Marie de Médicis y fut couronnée reine de France. Mais le lendemain, le roi Henri IV fut assassiné.

Le 21 juillet1633, la réforme de la Congrégation de Saint-Maur fut imposée à l’abbaye de Saint-Denis par une sentence du Conseil royal, sous la haute autorité de Richelieu. Dès le mois d’août, les moines Mauristes de la nouvelle congrégation prirent possession des lieux.

En 1665, Colbert demanda à François Mansart de concevoir un projet de chapelle funéraire des Bourbons. Commandée un an avant la mort de l’architecte, cette chapelle ne fut jamais édifiée. Son projet pour la chapelle des Bourbons aurait abouti à l’édification d’une vaste composition à plan central coiffée d’un dôme à l’extrémité Est de la basilique Saint-Denis qui en possédait déjà un, celui de la chapelle inachevée des Valois. Un certain nombre de chapelles à dôme, pour abriter les tombeaux, se seraient groupées autour de cet espace central circulaire qui devait être recouvert d’un dôme tronqué complexe, éclairé à l’intérieur par des fenêtres invisibles. Jules Hardouin-Mansart, qui fut formé tout jeune par son grand-oncle, s’inspira souvent des dessins de celui-ci. En particulier, le plan de Hardouin pour la chapelle à dôme des Invalides doit beaucoup au projet non exécuté de Mansart pour une chapelle des Bourbons à la basilique Saint-Denis.

En 1691, Louis XIV supprima le titre d’abbé. À partir de cette époque, les supérieurs de l’abbaye prirent le titre de grands prieurs. Les revenus de l’abbaye furent confiés à la maison d’éducation de Saint-Cyr.

En 1698, Dom Arnoult de Loo, grand prieur de 1696 à 1702 et de 1708 à 1711, s’adressa à Robert de Cotte pour dessiner les plans de nouveaux bâtiments conventuels. Ce projet, qui entraînait la destruction de tous les bâtiments anciens, à l’exception de la porte de Suger et de l’enceinte Ouest, fut approuvé par le chapitre général de la congrégation. Le plan publié en 1727 par Jean Mariette présentait un grand quadrilatère se développant autour d’un cloître, avec deux ailes en retour au Sud. Dans les angles formés par ces ailes, l’architecte plaça, comme Jules Hardouin-Mansart aux Invalides, deux pavillons hors-œuvre, contenant à l’Est le grand escalier monumental conduisant au dortoir et à l’Ouest les cuisines.

Il établit à l’Est un parterre. Ce dessin est conforme à l’esprit classique par sa régularité et à la tradition monastique, avec la disposition des bâtiments. Par son ampleur, il traduit la double fonction du lieu : une abbaye et un palais. En 1737, Dom Castel fit reprendre les travaux interrompus douze ans plus tôt et modifia le projet pour l’aile Ouest. Il souhaitait la mettre au goût du jour en l’agrémentant d’un avant-corps central ; de plus il voulait l’ouvrir vers la ville en supprimant l’enceinte et la porte de Suger, qu’il préférait remplacer par une grille « comme aux Invalides ». Mais le dessin de Robert de Cotte fut conservé pour le reste des élévations.

En 1752, frère René Laneau, supérieur général de la congrégation de Saint-Maur à Saint-Germain-des-Prés, approuva « le plan du rez-de-chaussée de ce qui [restait] à faire à l’abbaye royale de Saint-Denis pour fermer le cloître et ouvrir les communications avec l’église ». Le cloître fut ainsi doté de ses quatre galeries. En 1771, le trumeau et une partie du tympan de la porte centrale de la façade occidentale furent démolis pour faciliter le passage du dais des processions. Des colonnes latérales à motifs géométriques remplacèrent les statues-colonnes des ébrasements. En 1774, Dom Boudier s’adressa aux architectes Samson-Nicolas Lenoir, François Franque et Charles de Wailly pour dresser le plan de la nouvelle cour d’entrée. Le projet de Wailly fut retenu. Il reprenait le parti déjà utilisé par lui au château de Montmusard : un portail monumental en arc de triomphe avec porte-cochère entre deux portes piétonnes, donnant accès à une cour d’honneur en hémicycle. Cette cour, bordée de bâtiments à un étage, est rythmés par des arcades en plein cintre semblables à celles de l’ensemble du bâtiment. Ainsi, malgré quatre-vingts ans de travaux, l’abbaye de Saint-Denis présente un décor architectural d’une grande homogénéité.

En 1790, l’abbaye fut fermée transformée en dépôt de farines. En 1791, le Directoire du département décida de s’installer dans les bâtiments monastiques.

En 1793, à la suite de la profanation des tombes de la basilique Saint-Denis, les révolutionnaires jetèrent les cendres de quarante-deux rois, trente-deux reines, soixante-trois princes, dix serviteurs du royaume, ainsi que d’une trentaine d’abbés et de religieux divers, « entre des lits de chaux », dans des fosses communes de l’ancien cimetière des moines, alors situé au Nord de la basilique.

Une partie du trésor de la basilique fut transformée en monnaie. Quant aux gisants, chefs-d’œuvre de l’art funéraire remontant au bas Moyen Âge pour les plus anciens, ils furent en grande partie détériorés. Celui de Charles V le Sage perdit son sceptre, et celui de son épouse Jeanne de Bourbon disparut. Son gisant d’entrailles (sépulture contenant les viscères) provenant de l’église des Célestins de Paris, fut installé à sa place au XIXe siècle.

En 1805, Napoléon Ier fixa le nouveau destin de l’édifice : symbole de la continuité du pouvoir monarchique, il devait devenir le mémorial des quatre dynasties ayant régné sur la France. Le 20 février 1805, il demanda qu’on lui fasse connaître l’état de l’abbatiale et deux jours plus tard que le ministère de l’Intérieur procéda à sa restauration. En 1805, Jacques-Guillaume Legrand reçut la charge de restaurer l’ancienne église abbatiale de Saint-Denis. Son premier travail fut de rétablir la couverture de l’abbatiale qui fut supprimée en 1794 pour récupérer le plomb et les vitraux. Il découvrit pendant les travaux deux corridors de la crypte carolingienne. Il dirigea les travaux jusqu’à sa mort et fut remplacé par Jacques Cellerier. Un devis de 247 830 francs fut dressé, la toiture reprise, le dallage du sol commencé (l’église était entièrement décarrelée), la crypte et les caveaux déblayés. L’empereur précisa sa pensée et demanda que :

  • trois autels expiatoires, « en mémoire des trois races de rois dont les mânes ont été dispersées » soient dressés ;
  • l’église de Saint-Denis soit consacrée à la sépulture des empereurs ;
  • l’église soit dotée d’un chapitre de dix chanoines dont les membres soient choisis parmi d’anciens évêques âgés de plus de soixante ans ;
  • le grand aumônier de l’Empire soit le chef de ce chapitre ;
  • quatre chapelles soient érigées dans l’église, dont « trois dans l’emplacement qu’avaient occupé les tombeaux des rois des trois races » et la quatrième pour la quatrième dynastie dans l’emplacement destiné à la sépulture des empereurs ;
  • l’ancien caveau des Bourbons (chapelle d’Hilduin) soit transformé en caveau impérial : la brèche des violeurs de tombe soit remplacée par une porte de bronze.

Les baies furent garnies de verre blanc recouvert d’un vernis d’argent ou de verres jaunes ou violets qui donnèrent à la nef, selon la presse du temps, « une physionomie des plus augustes ».

Le 22 juin 1807, Napoléon Ier écrivit depuis Tilsit à Cambacérès pour accélérer les travaux de rénovation de la basilique. En effet, il venait de perdre son neveu et héritier putatif, Napoléon-Charles, fils aîné de son frère Louis, roi de Hollande, et souhaitait placer son corps dans la basilique. La dépouille, déposée en attendant dans une chapelle de Notre-Dame de Paris, ne rejoignit finalement pas Saint-Denis, le retour des Bourbons en 18141815 plaçant les priorités funéraires pour d’autres défunts. Napoléon-Charles Bonaparte repose à l’église de Saint-Leu-la-Forêt.

En 1809, Napoléon Ier décida de faire de l’ancienne abbaye une maison d’éducation de la Légion d’honneur. L’abbaye fut aménagée par l’architecte Peyre le Jeune. Il conserva la salle capitulaire, aujourd’hui salle de Dessin, fit construire une nouvelle chapelle à l’emplacement de l’ancienne, transforma les cellules en dortoirs. L’école fut inaugurée le 1er juillet 1811 ; Napoléon Ier et Marie-Louise lui rendirent visite le 5 août suivant. Il décida également de construire une nouvelle sacristie indispensable au service canonial au flanc Sud du chœur, selon un axe oblique imposé par la présence des anciens bâtiments abbatiaux. Jacques Cellerier mena le gros œuvre en érigeant un parallélépipède rectangle couvert d’un berceau en plein cintre et éclairé par deux lunettes hémicirculaires dans l’axe longitudinal ; le décor, les chapiteaux et les colonnes doriques, la frise, les caissons de la voûte furent sculptés par Mézière en 1810 et 1811 ; Roguier réalisa des anges en bois qui avaient toutefois à l’origine été prévus en plomb. Vivant Denon préconisa que le caveau impérial qui avait été recouvert de peinture rapidement dégradée par l’humidité, soit recouvert de marbre sur les murs et de porcelaine blanche couverte d’abeilles d’or sur les voûtes.

En 1811, Napoléon Ier demanda la réalisation d’un appartement au rez-de-chaussée de la maison d’éducation, « pour les grandes cérémonies ». Il voulut aussi que les noms des rois qui avaient eu leur sépulture à Saint-Denis soient gravés sur des tables de bronze ou de marbre. Après avoir hésité à faire installer à nouveau les monuments funéraires des rois, il renonça, mais cette idée fut reprise sous la Restauration. Opposé à ce que l’on donne à la décoration un aspect trop funéraire, Napoléon Ier fit enlever les ajouts de marbre noir ou blanc. Par ailleurs, après la visite effectuée par le comte de Montalivet, ministre de l’Intérieur, le 2 mai 1811, et à l’inspiration de Vivant Denon, un projet de décoration pour la nouvelle sacristie fut arrêté : dix toiles encastrées dans des compartiments réservés entre les colonnes doriques, célébraient l’Histoire de Saint-Denis. Ce programme était destiné au regard des chanoines-évêques et des visiteurs de marque. Napoléon y apparaît comme le continuateur des rois des premières dynasties. Il comptait effacer les traces des violences et du désordre révolutionnaires tout en écartant le souvenir des Bourbons.

En 1816, Louis XVIII demanda à Alexandre Lenoir de remettre les sépultures dans la basilique réhabilitée en 1816. Le 19 janvier 1817, le roi fit ramener les restes de ses prédécesseurs ; il les fit récupérer dans les fosses, dans la crypte de la basilique, où ils étaient rassemblés (car la chaux a empêché leur identification) pour les déposer dans un ossuaire scellé par des plaques de marbre sur lesquelles sont inscrits leurs noms. L’ossuaire est situé dans la crypte, dans l’ancien caveau où se trouvait jusqu’en 1793 le corps de Turenne (sous l’ancienne chapelle de Notre-Dame-la-Blanche).

Par la suite, les travaux de restauration débutèrent, pour aboutir à l’état que nous connaissons aujourd’hui. Trois architectes dirigèrent la restauration de la basilique de 1813 à 1879 : de 1813 à 1819, ce fut d’abord Jacques Cellerier, le premier à réutiliser le style gothique depuis l’achèvement de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans. La basilique Saint-Denis se vit ainsi dotée d’une chapelle gothique richement décorée. Puis, de1813 à 1846, François Debret. C’est sous sa direction que des lézardes apparurent dans la tour Nord (à la suite de vents violents en 1842 et 1843) ; elle fut reconstruite sous ses ordres après avoir été frappée par la foudre en 1837 (celle-ci menaçant la stabilité de l’édifice, elle fut par la suite démontée par Viollet-le-Duc qui fit déposer sa flèche en 1847). Cette restauration controversée précipita la chute de Debret et à la suite de cette mésaventure, il parut évident que l’École des Beaux-Arts ne formait pas des architectes capables d’intervenir sur les bâtiments anciens.

De cet incident naquit l’idée d’une formation spécifique pour les architectes qui se destinaient à intervenir sur les monuments historiques classés à cette époque. La responsabilité de Debret semble en fait difficile à établir par manque de preuves archéologiques ; il se peut qu’il ait été victime de la querelle des Anciens et des Modernes. Et enfin de 1846 à 1879, Eugène Viollet-le-Duc conduisit les travaux. Il sauva sans doute l’édifice de la ruine, en achevant la restauration et en gommant une partie des interventions de Debret, jugées fantaisistes. Il réorganisa le positionnement des tombes royales telles qu’elles se trouvent actuellement.

Il fit appel au ferronnier d’art Pierre François Marie Boulanger pour réaliser de nombreux travaux de serrurerie et de ferronnerie, pour restaurer et compléter la crête en plomb au sommet des combles et forger deux crosses de suspension selon ses dessins. Mais l’enduit qu’a fait apposer Viollet-le-Duc rendit la façade de la Basilique très sombre avec le temps. Viollet-le-Duc projeta également de reconstruire la façade occidentale, comme en témoigne un dessin de janvier 1860. Mais trop coûteuse, cette dernière opération ne put être menée à bien avant sa mort.

Sous le Second Empire, Napoléon III décida que la basilique Saint-Denis abriterait sa sépulture, celle de son épouse et de ses successeurs, à la différence des autres princes de la famille impériale auxquels était affectée la crypte de l’église Saint-Augustin. Ce nouveau caveau impérial était différent de celui prévu par Napoléon Ier (l’ancienne chapelle d’Hilduin dont Louis XVIII fit un caveau royal). En 1859, il fit donc aménager par Eugène Viollet-le-Duc un nouveau caveau impérial situé à l’Ouest du précédent, sous le maître-autel. Cette très grande chapelle souterraine fut démolie en 1952.

Un ensemble de fouilles fut conduit par Sumner McKnight Crosby, Jules Formigé, puis depuis la seconde moitié du XXe siècle, par Édouard Salin et Olivier Meyer.

Le 9 octobre 1966, la basilique fut promue cathédrale lors de la création du diocèse de Saint-Denis. Le bâtiment est universellement connu comme « basilique de Saint-Denis » : même s’il n’a pas le titre de basilique mineure, il réunit bien les caractéristiques de cette appellation qui désigne dès le VIe siècle une église construite hors les murs et avec une destination funéraire.

Si la basilique a bénéficié de plusieurs campagnes de restauration depuis le XIXe siècle et si plusieurs vitraux ont fait l’objet de nettoyage au début du XXIe siècle, la dégradation de la nécropole n’a pas été interrompue pour autant. Ainsi, malgré la réfection du chevet, le maire de Saint-Denis déplora à l’occasion des Journées du patrimoine de 2006 l’absence de projets de réfection de la façade Sud (14 millions d’euros), de la pierre et des portails romans de la façade Ouest, alors que des vitraux ont été remplacés en 2003 par du plastique. De plus, sous l’effet des travaux de prolongement de la ligne 13 du métro, qui ont profondément modifié le cours de rivières souterraines, le sanctuaire royal est miné par une série d’infiltrations dont l’action se conjugue à la dissémination des sels de salpêtre et à la pollution moderne.

La solidité des caveaux est gravement compromise et nombre de monuments funéraires sont détériorés sous l’effet de l’humidité. Les ossuaires de tous les rois de France scellés en 1817 par des plaques de marbre sont victimes de graves infiltrations. Par ailleurs, les cercueils de la crypte des Bourbons sont particulièrement détériorés. Certains sont posés sur de simples tréteaux, d’autres ont été brisés et éventrés sous l’effet de l’humidité, laissant apparaître des ossements. La crypte n’est pas mise en valeur, la grille d’accès en est fermée, il n’y a aucun éclairage ou information destinée au public.

En outre, aucun plan de sauvetage n’a été programmé pour préserver un site qui, par ailleurs, n’avait plus bénéficié depuis vingt ans des crédits budgétaires qui lui permettraient de financer la reprise d’un chantier de fouilles pourtant jugées prometteuses par de nombreux historiens. Les chantiers de fouilles archéologiques du sous-sol sont arrêtés depuis les années 1990. Des sarcophages mérovingiens, comme le cercueil intact de la reine Arégonde, n’ont pas fait l’objet d’études approfondies. Les spécialistes souhaiteraient pouvoir accéder au sous-sol de l’entrée où se trouve la tombe du roi Pépin, père de Charlemagne. Certains archéologues ont proposé d’utiliser les caméras utilisées par les égyptologues pour étudier les nécropoles royales des pharaons et les pyramides. Enfin, le projet d’inscrire la basilique Saint-Denis et sa nécropole royale au patrimoine mondial de l’UNESCO semble bloqué alors que la basilique est la première église au monde construite dans le style dit gothique.

Toutefois, des travaux de restauration de la façade occidentale furent conduits de 2012 à 2015 ; ils ont permis de retrouver toute la qualité plastique et l’authenticité de ses trois portails sculptés. Cette restauration a été placée sous la direction de Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques. Parallèlement, la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France a également entamé la restauration des vitraux du déambulatoire, le réaménagement du chœur liturgique (en association avec le diocèse pour le mobilier liturgique), la remise en place dans la basilique d’anciennes boiseries néogothiques auparavant stockées en réserve et la poursuite de la restauration de la façade Sud de la nef. La restauration de la rose Sud du transept, étayée depuis 2006, est envisagée dans les toutes prochaines années.

En 1992, sous l’impulsion de l’ancien maire communiste de Saint-Denis Marcelin Berthelot, fut constitué un Comité pour la reconstruction de la tour et de la flèche Nord. Jusqu’à son démontage en 1847, la flèche Nord était en effet le symbole de la ville de Saint-Denis. Le remontage de la flèche prit un nouvel élan lors des Journées du patrimoine du 19 septembre 2015 : alors en visite à la basilique Saint-Denis, le président de la République François Hollande, accompagné de la ministre de la Culture Fleur Pellerin et de différents élus locaux, marqua son intérêt pour le projet. Depuis mars 2018, le président Macron décida la reconstruction de la flèche Nord, abattue au milieu du XIXe siècle. Les travaux pourraient durer dix ans et seraient entièrement financés par les visites de chantier, sur le modèle de la construction du château de Guédelon et du mécénat.

Au prochain article, nous décrirons cet édifice et en étudierons la symbolique.

Stéphane Brosseau


[i] Inspiré de l’article « cathédrale de Saint-Denis » sur l’encyclopédie en ligne.

[ii] Cf. Roger Bourderon, Histoire de Saint-Denis, Privat, 1997, p. 79.

[iii] Alain Erlande-Brandenburg, Baptême de Clovis, son écho à travers l’histoire – Clovis et les souverains mérovingiens : leur mémoire visuelle aux XIIe et XIIIe siècles, Presses Paris Sorbonne, 1997, p. 798

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