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Série -Les cathédrales – BASILIQUE CATHÉDRALE SAINT-DENIS (93)

Nécropole royale de la basilique de Saint-Denis - DR
Nécropole royale de la basilique de Saint-Denis - DR
Description et symbolique

Par Stéphane Brosseau

Nous avons présenté au dernier article l’histoire de cet édifice, qui épousa celle de notre pays.Décrivons le à présent et trouvons-en le sens.

1/ Description

La basilique est construite en calcaire lutétien qui provient des anciennes carrières de Paris et surtout de Carrières-sur-Seine (anciennement Carrières-Saint-Denis). Les sculptures anciennes des portails sont en « liais », un calcaire lutétien très dur et particulièrement fin.

La façade est caractéristique d’une époque de transition : le plein cintre des porches et des arcades est typique de l’architecture romane, tandis que la structure verticale en trois parties et la rosace illustrent le gothique naissant. Suger a en effet opté pour la façade harmonique rappelant les abbatiales normandes, mais en intégrant pour la première fois une rose au-dessus du portail central surmonté d’une baie à trois arcs. Saint-Denis constitue le premier exemple d’utilisation en Île-de-France de ce type de façade, mais le démontage de la tour Nord en 1847 a rompu cette harmonie. Les deux portails latéraux sont surmontés de deux niveaux de baies à trois arcades (le temple de la Trinité). La façade, couronnée par une courtine crénelée est percée de trois portails dont les ébrasements étaient ornés de statues-colonnes (cette entrée en 3 porche rappelle les arcs de triomphe romains, car, le fidèle est invité à entrer dans la gloire de Dieu). La porte centrale du XIXe siècle imite fidèlement les portes de bronze d’origine sur lesquelles étaient figurées la Passion et la Résurrection.

Le tympan du portail central montre un Jugement dernier : le premier registre figure la résurrection des morts qui émergent de leurs sarcophages. Le second registre représente le Christ en mandorle adossé à sa croix, les bras écartés tenant deux phylactères (celui de droite invite les bienheureux « Venite benedicti Patris mei » (« Venez à moi, les bénis de mon Père »), celui de gauche rejette les damnés « Discedite a me maledicti » (« éloignez-vous de moi, les maudits »). Le Christ trônant est entouré des apôtres et aux extrémités, deux anges, l’un tenant une épée de feu et l’autre un olifant ainsi que deux vierges, encadrent la scène.

Au registre supérieur, deux anges tiennent les instruments de la Passion, deux autres soutiennent le patibulum (partie transversale de la croix destinée au crucifiement). Suger s’est fait représenter en prière aux pieds du Sauveur, dont il implore la clémence. Le Jugement se poursuit sur la voussure intérieure : le buste du Christ, reposant sur un nuage, sépare à gauche des scènes du paradis (deux anges portant les âmes des bienheureux, puis un ange serrant dans ses bras deux âmes et Abraham portant en son sein trois âmes), et à droite, des scènes infernales (pécheurs tourmentés par des démons et des monstres). Les trois autres voussures représentent les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse tenant des instruments de musique. Quatre vierges sages et les vierges folles paraissent sur le piédroit de droite et celui de gauche.

Des éléments plus ternes dans les vitraux du déambulatoire sont les rares vestiges de la verrière du XIIe siècle.

Le tympan du portail de droite est consacré à la dernière Communion, des mains du Christ même, de saint Denis et de ses compagnons. Ses piédroits représentent le calendrier dont les mois sont figurés par les travaux agricoles ; celui de gauche représente leur martyre et, sur ses montants, nous voyons les signes du zodiaque (Dieu, maître du temps et des saisons).

La basilique mesure 108 mètres de long, 39 mètres de largeur et 29 mètres environ de haut. Le transept est large de 39 mètres. La tour Sud s’élève à 58 mètres. Afin de plus donner une impression de hauteur, les maîtres d’œuvre ont notamment utilisé dans la nef et le chœur des piliers formés de plusieurs colonnettes engagées, chacune correspondant aux nervures des différents arcs des voûtes. Conformément au souhait de Suger, le chevet édifié de 1140 à 1144 est légèrement surélevé pour que le regard du pèlerin soit attiré dès son entrée dans l’édifice par les reliques de saint Denis.

La basilique est baignée de lumière grâce à une verrière importante (les vitraux de la basilique deviennent deux fois plus grands que les proportions romanes) qui obéit à une iconographie rigoureuse (vie de saint Denis et des papes, vies des rois et reines de France dans la nef), ce qui lui vaut d’être surnommée jusqu’au XVIIIe siècle « Lucerna », la lanterne.

L’orgue de Cavaillé-Coll est remarquable

La basilique abrite le premier orgue construit par Aristide Cavaillé-Coll en collaboration avec son père et son frère. Cet instrument, conçu entre 1834 et 1840 par ce facteur d’orgues alors âgé de vingt-trois ans, comporte un nombre considérable d’innovations qui en font un prototype unique au monde, ouvrant l’ère de l’orgue romantique, bien qu’il s’inscrive encore largement dans la tradition de l’orgue classique français. Doté de soixante-neuf jeux répartis en trois claviers et pédalier sur quatre plans sonores manuels, il a été conservé presque intégralement dans son état d’origine, et est sans doute l’un des plus beaux instruments de France. Le buffet et la partie instrumentale sont classés par les monuments historiques au titre d’objet mobilier.

Le monastère, grâce à sa renommée, fut à la tête d’un magnifique trésor, en partie constitué par l’abbé Suger. Du fait de son statut de nécropole des rois de France, définitivement acquis sous les Capétiens directs, la basilique fut un lieu de travail pour les artistes au service de l’alliance entre la royauté française et l’Église catholique. Les rois enrichirent progressivement le trésor qui était sans doute le plus riche d’Occident avec celui de Saint-Marc de Venise et qui attirait avant la Révolution beaucoup de visiteurs français et étrangers. Le trésor était dans un bâtiment d’un étage, sur le flanc Sud de la basilique : il fut détruit au début du XIXe siècle.

En 1706, Dom Félibien représenta dans un ouvrage les cinq armoires du trésor (à la veille de la Révolution, il y avait huit armoires). Si la tombe de Saint Louis, ouvrage d’orfèvrerie, a été détruite par l’envahisseur anglais lors de la guerre de Cent Ans, la plupart des atteintes au patrimoine de cette église sont beaucoup plus récentes. De fait, périodes de dégradations et de restaurations se succèdent depuis la Révolution française, qui dispersa et détruisit la majeure partie des pièces du trésor.

Celui-ci contenait les regalia, objets symbolisant la souveraineté et utilisés lors du sacre, dont de nombreux sceptres et couronnes. Les deux couronnes du sacre du roi et de la reine étaient des pièces particulièrement prestigieuses.

Le 14 août 1193, le roi Philippe Auguste épousa en secondes noces Ingelburge de Danemark. Le lendemain, elle fut sacrée ; pour l’occasion le roi porta couronne. En 1223, il légua par un testament (conservé à l’abbaye) sa couronne ainsi que celle de la reine au trésor de saint Denis. Peu après Louis VIII et Blanche de Castille furent couronnés à Reims avec ces deux couronnes. Le roi ne respecta pas les volontés de son père et décida de récupérer les couronnes en dédommageant l’abbaye. En 1226, Louis IX monta sur le trône. En 1261, ce dernier décida de rendre définitivement à l’abbaye de Saint-Denis les deux couronnes indiquant par un texte qu’elles étaient faites pour le sacre des rois et des reines, et que les jours de fête solennelle elles fussent suspendues par des chaînettes au-dessus de l’autel matutinal. Ces deux couronnes du roi et de la reine furent ainsi intégrées au trésor de l’église.

L’inventaire du trésor de 1534 donne une description précise de la couronne du roi : elle était d’or massif et pesait avec l’ensemble des pierres du bonnet et des chaînes d’argent près de quatre kilogrammes. Cette couronne possédait une coiffe intérieure de forme conique et qui était surmontée par un rubis de 200 carats. Le roi Jean II fit réaliser cette coiffe de couleur cramoisie. En 1547, Henri II fit refaire un nouveau bonnet doublé de satin. En 1590, le duc de Mayenne s’empara de la couronne et la fondit pour financer la Ligue catholique.

Par la suite, la couronne de reine, qui était quasiment identique, servit pour les sacres.

Ces deux couronnes furent appelées successivement « couronne de Charlemagne ».

Une autre couronne royale était réputée abriter une épine de la couronne de Jésus-Christ et constituait avec le Saint Clou une des pièces principales du trésor de l’église. Au Moyen Âge, on l’appelait Sainte Couronne puis on prit l’habitude de l’appeler couronne de Saint Louis. Elle servit pour le sacre de Jean II et celui d’Anne de Bretagne et fut détruite avec les autres couronnes du trésor, comme celle dite de Charlemagne, celle de Jeanne d’Évreux et celle d’Henri IV[i].

L’autel matutinal (dans la nef, en direction du soleil levant, juste avant le transept) de l’église était célèbre pour sa splendeur.

La messe de Saint Gilles[ii] constitue une source de premier ordre sur l’organisation de l’espace entourant l’autel matutinal à la fin du Moyen Âge. On y trouvait une succession spectaculaire d’autels, de croix monumentales et de tombes, marquant l’axe du chœur liturgique.

Plan de répartition des chapellenies aux autels de l’abbatiale de Saint-Denis en 1514, date de la dernière fondation de chapellenie recensée

Selon la tradition dyonisienne, le pape Étienne II aurait consacré le 28 juillet 754 l’autel majeur ou grand autel, dédié aux apôtres Pierre et Paul. Charles II le Chauve l’avait orné par devant du fameux panneau d’or repoussé et gemmé que Suger fit compléter sur les trois autres côtés. Au-dessus de la table d’autel s’élevait la célèbre croix dite de « saint Éloi ».

Suger le désignait comme autel des saints martyrs « sanctorum martyrium altaria », autel du Saint Sauveur « sancti Salvatoris altare », ou autel principal « principale beati Dionysii altare ».

À la suite d’un remaniement, sans doute au XVe siècle, le panneau d’or de Charles II le Chauve qui ornait le devant de l’autel, fut monté en retable. Charles VI offrit à l’abbaye la châsse de Louis IX de France. Elle fut montée en 1398 sur le ciborium derrière l’autel majeur. Une balustrade en bois sculpté fermait le chœur élevé au-dessus de la crypte. Deux portes étaient situées derrière l’autel ; l’une permettait d’accéder à la chapelle Saint-Démètre de la crypte et l’autre au chœur supérieur.

La vasque du cloître des moines de Saint-Denis avait un diamètre d’environ 3,80 mètres ; cette œuvre de la fin du XIIe siècle était située dans le pavillon du lavabo du cloître abbatial. Elle servait à la fois de lieu d’ablutions pour les moines et de point de ravitaillement en eau. Ce célèbre lavabo était constitué d’un bassin circulaire, d’une vasque supportée par des colonnettes et d’une fontaine. La vasque, bombée, permettait l’évacuation de l’eau par une série d’orifices ornés de figures de face ou de profil évoquant des divinités ou des héros antiques, répartis régulièrement sur tout le pourtour.

Lors de la Révolution française, elle fut sauvée par Alexandre Lenoir (1761-1839) qui l’exposa dans son musée des Monuments français installé dans le couvent des Petits-Augustins, à Paris. Sous le Premier Empire, il fut envisagé de l’intégrer dans la nouvelle fontaine des Invalides où elle aurait cohabité avec le lion de Saint Marc de Venise, mais l’architecte Guillaume Trepsat n’utilisa finalement pas le lavabo des moines.

Depuis 1954 la vasque est déposée dans l’orangerie abbatiale, réserve lapidaire de la basilique.

Dès le Bas-Empire, un cimetière gallo-romain est attesté sur le site de Saint-Denis. Au IVe siècle, un mausolée fut élevé à l’emplacement du maître-autel actuel et fit déjà l’objet d’un culte. Puis, vers 475, sainte Geneviève acheta les terres alentour et fit construire une église pour y abriter la sépulture de saint Denis, martyrisé au IIIe siècle.

Cette église est devenue une nécropole royale dès les origines de la royauté française, puisque la reine Arégonde, belle-fille de Clovis Ier, y repose. Dagobert Ier fut le premier roi à se faire inhumer en ce lieu ; son gisant est placé dans le chœur central et c’est le seul à être positionné sur le côté et regardant en direction des reliques de saint Denis.

La nécropole royale de Saint-Denis abrite les tombes de nombreux souverains francs et français, depuis Dagobert Ier jusqu’à Louis XVIII. Cette nécropole se trouve dans la basilique Saint-Denis. Mais si quelques rois mérovingiens puis carolingiens y établirent leur dernier séjour, c’est avec les Robertiens et les Capétiens que la nécropole royale installée dans l’église de Saint-Denis acquit son statut définitif de lieu de rassemblement des sépultures royales. Ainsi les rois capétiens, à l’exception de Philippe Ier, Louis VII et Louis XI, y reposèrent tous.

Progressivement, la nécropole reçut les sépultures non seulement des rois et reines, mais aussi des membres de la famille royale, ainsi que de grands serviteurs du royaume que les rois voulaient honorer en les autorisant à reposer auprès d’eux.

Les sacres des reines de France eurent lieu en général à la basilique. Selon le Cérémonial du sacre des rois de France, de Pons Augustin Alletz, paru à Paris en 1775, l’église a vu 29 princesses sacrées reines de France.

Moins ritualisé, le sacre de la reine n’était pas systématique et pouvait avoir lieu des années après son accession au trône. Participant à la dignité royale, mais à un degré moindre que son époux, la reine communiait sous les deux espèces, était ointe (à deux endroits seulement et pas avec le baume de la Sainte Ampoule) ; elle recevait un petit sceptre et une couronne. Toutefois, exclue de la fonction souveraine, elle ne prêtait pas serment, ne recevait ni les signes de l’autorité, ni les habits sacerdotaux.

Le sacre[iii] reflétait bien la dualité de son statut : soulignant son caractère royal qui la plaçait au-dessus de la société, il marquait aussi les limites de sa position d’exception, signifiant qu’elle n’était pas investie du pouvoir.

Actuellement, la basilique est divisée en trois espaces, dont les deux premiers sont ouverts au public :

la nef et les bas-côtés qui servent toujours la fonction d’église catholique ;

le transept, le chœur et le déambulatoire, ainsi que la crypte, accueillent un musée où sont exposés les tombeaux des rois et reines de France, ainsi que de plusieurs de leurs serviteurs. Le musée est fermé pendant les cérémonies religieuses. On y remarque particulièrement les mausolées de Louis XII et Anne de Bretagne, de François Ier et Claude de France, de Henri II et Catherine de Médicis.

La crypte archéologique de la basilique contient les tombeaux les plus anciens du monument, de l’époque mérovingienne pour la plupart, et la sépulture supposée de saint Denis.

Le dépôt lapidaire de la basilique regroupe dans l’ancienne orangerie et dans le jardin se trouvant à l’Est du chevet de nombreuses pièces qui pourraient être mises en valeur dans le cadre d’un espace d’exposition.

2/ Symbolique :

Plan de la basilique cathédrale ; on peut observer le nombre de clefs de voutes dans la nef et le chœur, ainsi que les évasements évoqués plus haut entre le transept et le sanctuaire.

Il convient de rappeler pour le premier bâtiment gothique les facteurs ayant contribué à l’évolution du Roman vers le Gothique, évoqués en introduction des articles, outre les modifications techniques entre le Xe et le XIIe siècle ; la pensée modelée par la philosophie fut déterminante : avec Platon, « l’Idée » préexiste ; plus exactement, il distingue radicalement le monde intelligible (celui des Idées) et le monde sensible (celui des choses matérielles). Il considère que l’âme (ou esprit) est immatérielle, éternelle et préexiste au corps. Elle appartient au monde des Idées et est temporairement enfermée dans un corps matériel. La matière (ou le corps) est imparfaite et changeante, elle est une copie dégradée des Idées parfaites. L’âme doit se libérer de la matière pour retrouver le monde des Idées (exemple dans l’Allégorie de la Caverne). Saint Augustin en déduisit que la perfection est née de Dieu, voulue par Dieu, visible dans le cosmos ; il convenait donc d’essayer de l’atteindre, de s’y conformer : la conséquence architecturale en fut l’art roman, très signifiant, mais qui ne chercha jamais à dépasser la perfection de la Création, confiée.

Avec l’art gothique, l’influence d’Aristote prédomina : ilpropose une vision plus ancrée dans le réel : pour lui, l’âme et le corps sont indissociables : l’âme est la « forme » du corps, et la matière seule ne peut exister sans une forme. L’âme n’est pas une entité indépendante qui préexiste au corps, mais elle est le principe vital d’un être vivant. Il rejette l’existence autonome du monde des Idées de Platon et affirme que les formes (ou essences) existent dans les objets eux-mêmes, et non dans un monde séparé.

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En résumé, Platon voit l’esprit comme supérieur et indépendant de la matière, tandis qu’Aristote pense que l’esprit et la matière sont inséparables et interagissent dans chaque être vivant.; il convenait donc d’étudier, d’expérimenter, de tester pour progresser ; cette conception fut christianisée par saint Thomas d’Aquin, et fut déclinée dans les universités, en particulier la Sorbonne. Dès lors, les bâtisseurs expérimentèrent de nouvelles techniques, de nouvelles formes, pour repousser les limites par une méthode empirique, pour s’élever le plus haut possible, pour laisser entrer la lumière, pour s’approcher de Dieu ; ainsi, la flèche de la cathédrale de Strasbourg fut le plus haut bâtiment construit jusqu’en 1889, date d’édification de la tour Eiffel. Le tracé régulateur de l’édifice déplaça son centre tout naturellement du chœur de l’église dans l’art roman, là où Dieu est, au transept, lieu de sa Rencontre avec l’homme.

Mettons en valeur trois éléments majeurs :

  • La symbolique est d’abord catholique :

Nous retrouvons bien entendu ici les données essentielles de la symbolique présentées en introduction de cette série d’articles, concernant l’orientation (saint Denis étant fêté le 9 octobre, le soleil se lève dans son axe ce jour-là, mais certains éléments de la crypte sont orienté différemment, d’autres saints-patrons ayant été honorés en ce lieu). L’édifice représente aussi le Christ, l’humanité, le pèlerinage de notre vie, notre entrée en gloire à la Rencontre du Dieu trinitaire, dans la Jérusalem céleste. Ce pèlerinage est limité dans le temps des hommes : cela nous est rappelé dès l’entrée Ouest par la rosace horloge, dont l’aiguille des heures est constituée de la langue du dragon de l’Apocalypse et celle des minutes, de sa queue ; la mort nous attend tous, que l’on soit puissant ou misérable ; la nécropole illustre cette idée.

Nous avons sept croisées d’ogives dans la nef, un immense transept (entouré de 24 colonnes, les 24 vieillards de l’Apocalypse qui tombent à genoux devant Dieu), lieu de la Rencontre, trois croisées dans le chœur, l’hémicycle oriental est constitué de 6 colonnes (l’humanité), et de 7 arches (la divinité), les deux étant unies dans la communion ; nous retrouvons ici l’évocation de la prière d’offertoire : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité ». Dès la façade Ouest, la Jérusalem céleste est évoquée par la forme crénelée de la coursive au-dessus de la rose.

  • La symbolique contient ensuite un message politique :

Depuis l’entrée, le pèlerin voit déjà dans la lumière du chœur, surélevées, les reliques de saint Denis. Les rois de France reposent auprès de lui. Cela signifie qu’ils ne peuvent être considérés comme vassaux qu’uniquement de saint Denis. Avec le temps, les sépultures et les autels ont été placés le plus vers l’Est possible ; ils sont près de la Lumière. La représentation des rois est signifiante : ils sont veilleurs, très catholiques et priants, ils voient (les yeux sont généralement ouverts) ; ils sont ainsi dans l’attente sereine du Jugement dernier, leur attitude rappelant celle des vivants, ce qui suggère une foi chrétienne solide en la résurrection de la chair. Les bras, d’abord le long du corps, sont de plus en plus croisés et les mains sont jointes, ce qui est un indice d’une participation à la communion des saints.

La symbolique des gisants est forte : ils donnent un message d’espérance, par le repos de nos rois, dans la paix, en attendant la résurrection des morts.

Au Moyen Âge, on réalisait généralement trois gisants : un gisant d’entrailles, un gisant de cœur et un gisant de corps. Le roi était ainsi honoré par trois tombeaux. Cette multiplication des sépultures[iv] résulte des difficultés de conservation des corps lors de leur transport. Tout est symbole sur ces tombes : l’index sur les lèvres veut dire « on dort », les attributs de la guerre ont un sens différent suivant leur emplacement (l’épée est placée à gauche ou à droite). Il y a aussi des caractéristiques précises à considérer : les armoiries du roi, ses vêtements, sa couronne mais aussi parfois son chiffre. Les pieds et le corps dénudés correspondaient à une volonté de se montrer humble (humus), car nous sommes tous égaux devant la mort.

À partir du XIIe siècle, des animaux furent placés aux pieds des gisants. Ils protègent ainsi le défunt dans l’au-delà, mais ils représentent également la personne, ou comment elle est morte. Certains considèrent même qu’ils sont placés là pour empêcher un retour des morts et protéger ainsi les vivants. Cette tradition provient des statues de portails d’églises sur lesquels les personnages sont associés à un animal réel ou mythique qui représente une qualité ou un vice. Ces symboles, dont on trouve plusieurs exemples dans la basilique Saint-Denis, peuvent revêtir plusieurs significations.

Le chien, symbole féminin et gardien

Le chien est souvent aux pieds des gisants de femmes, parfois des enfants. C’est le cas pour le gisant de Louis de France, fils de Saint-Louis, mort à 17 ans. Il symbolise la fidélité au souverain et au royaume, mais aussi et surtout la foi. Le chien est aussi le guide dans le royaume des morts. Quand il tient un os entre ses pattes, c’est le signe que le corps se trouve sous le gisant comme sur la statue de Marguerite de Flandre. Aux pieds des religieux, il représente la fidélité à Dieu. 

Le lion, roi des animaux

Les Lions sont souvent aux pieds des hommes : ils représentent la puissance et la force. Ils sont aussi des gardiens car on affirme que les lions dorment les yeux ouverts. C’est tout naturellement que le lion est associé au roi. Le « roi des animaux » est symbole de force, de puissance et de justice. On y voit aussi l’évocation du père, mais aussi et surtout, de la résurrection du Christ. On pensait au Moyen Âge que les lionceaux naissaient mort-nés et revenaient à la vie trois jours après, grâce au souffle de la mère. Le lion est toujours aux pieds des gisants d’hommes, à l’exception du gisant de la petite princesse non identifiée, visible à la nécropole de Saint-Denis. On en trouve plusieurs à Saint-Denis, aux pieds des gisants de Jean, fils de Saint-Louis, Philippe III le Hardi, ou encore Charles, comte d’Étampes.

Le dragon, mythique et maléfique

Le dragon est associé au Mal. Placé au pied d’un gisant, il rappelle ceux placés bien souvent aux pieds de la Vierge Marie, victorieuse du mal. Le gisant attribué à Marie de Brienne à Saint-Denis en est un exemple. C’est d’ailleurs grâce à la présence de ce symbole que l’on a pu identifier ce gisant. Le Dragon défend aussi le mort dans l’au-delà.

Le porc-épic, « Qui s’y frotte s’y pique »

Le porc-épic évoque l’ordre du porc-épic fondé par Louis d’Orléans le jour du baptême de son fils Charles. Le porc-épic est le symbole des Valois-Orléans. Louis de France aurait pris cet animal guerrier comme emblème pour intimider le duc de Bourgogne. La célèbre devise « Qui s’y frotte s’y pique » a été attribuée par erreur aux Ducs d’Orléans. La devise de l’ordre du porc-épic était en réalité Cominus et eminus, « de près ou de loin ». Le roi Louis XII supprima cet ordre, mais en conservera l’emblème.

Le furet, un chasseur émérite

On trouve à Saint-Denis un furet au pied du gisant de Philippe d’Orléans, dans le tombeau des Ducs d’Orléans. Il fait référence au fait que le défunt était un bon chasseur. Ici le symbole a pour fonction de vanter une vertu du personnage.

Les animaux peuvent aussi représenter la personne elle-même :

L’ours était le symbole du duc de Berry ; la colombe était symbole de la douceur et de la pureté d’une femme, l’aigle et le Lion, du Courage d’un homme.

Ils sont aussi le signe de la façon dont la personne est morte : le lion indique que l’homme est mort au combat, le chien, qu’il est décédé dans son lit, en paix.

  • La symbolique révèle enfin une théologie de la lumière.

L’abbé Suger fit venir des artistes de différentes parties du royaume de France pour aboutir à une œuvre d’art total : l’abbatiale de Saint-Denis est considérée comme la première grande église gothique par son architecture, ses sculptures et ses vitraux. Dans son ouvrage Liber de rebus in administratione sua gestis, il recourt à des qualificatifs louangeurs pour décrire le rôle de la lumière qui pénètre dans le sanctuaire par les vitraux. Pour Suger, le vitrail est anagogique, c’est-à-dire qu’il « conduit vers le haut ». Pour tamiser la lumière qui aurait désarticulé un espace aux volumes ouverts et néanmoins circonscrits, Suger a conçu des vitraux chargés d’une grande signification symbolique et religieuse, jouant un rôle essentiel dans la mise en valeur de l’architecture.

Suger dit en une phrase le sens qu’il donnait à ce décor : « Cette élégante et digne d’éloge adjonction des chapelles en demi-cercle grâce auxquelles toute l’église allait resplendir de la lumière merveilleuse et continue des vitraux très sacrés, éclairant la beauté de l’intérieur ». Cela signifie que le déambulatoire avec ses chapelles rayonnantes était conçu en fonction des vitraux. La basilique est baignée de lumière grâce à une verrière importante qui obéit à une iconographie rigoureuse (vie de saint Denis et des papes, vies des rois et reines de France dans la nef), comme déjà évoqué.

Saint Bernard compare le chœur et son déambulatoire à Marie. La lumière le traverse, sans le détruire, à l’image de la Vierge donnant la vie à Jésus en restant pure. Cette comparaison montre tout l’intérêt porté au vitrail. Son rôle d’enseignement théologique, destiné à une population souvent illettrée, se conjugue avec l’émerveillement spirituel créé par des milliers de petits morceaux de lumières colorées. L’ensemble des vitraux concourt à donner à l’édifice l’image d’une cité fabuleuse qui évoque la Jérusalem céleste.

Pour son abbatiale, l’abbé Suger a souhaité réaliser un projet grandiose et personnel de vitraux par les meilleurs artistes et maîtres verriers de la région. Le verre coloré, matériau très rare au Moyen Âge, est magnifié. Fait exceptionnel, un maître verrier était attaché à l’entretien des vitraux : cela aurait coûté une fortune, ce qui témoigne de l’importance que Suger attachait à la lumière. Les sujets traités sont riches, complexes, essentiellement destinés aux moines érudits.

Dans ses écrits, Suger cite expressément trois verrières :

L’Arbre de Jessé dans la chapelle axiale ; cette généalogie simplifiée de Jésus représente celle qui ouvre l’Évangile de saint Mathieu. Mais pour Suger, c’est aussi une image idéale de la royauté. Les deux rois, la Vierge et le Christ sont d’origine ; Jessé et le premier roi David sont du XIXe siècle. Ce vitrail a servi de modèle pour celui de Chartres, vers 1150-1155. Les vitraux sont composés de pièces de verre soufflé teinté dans la masse sur lesquelles sont dessinés les traits et le modèles à l’aide d’une grisaille, ou peinture composée d’un oxyde métallique et d’un délayant liquide fixé au verre par cuisson ; les verres découpés sont assemblés et maintenus par des plombs pour former des panneaux eux-mêmes montés dans des armatures en fer appelé barlotières.

Les couleurs sont variées mais pas très nombreuses. Les analyses chimiques ont montré que les verres bleus, appelés « saphirs » par Suger, ne sont pas des saphirs broyés mais du cobalt. Au XIIe siècle, on importait à grand frais d’Europe centrale du cobalt. Pour les autres couleurs on employait des oxydes métalliques, de fer pour les pourpres, les jaunes et les verts, de cuivre pour les rouges. L’atelier des artisans verriers était peut-être originaire de Bourgogne. En effet, le sujet a été souvent illustré dans plusieurs manuscrits de l’abbaye de Cîteaux, certains motifs ornementaux étant voisins de ceux des lettres ornées des manuscrits de Cîteaux, tandis que la précision des figures et des détails allégoriques rappellent les sculptures romanes de Bourgogne.

Les Allégories de saint Paul ; l’abbaye prenait Paul pour son père spirituel suite à la confusion entre saint Denis, premier évêque de Paris et réel patron de l’abbaye, et Denys l’Aréopagite, disciple direct de l’apôtre Paul ; des cinq panneaux (le Christ entre l’Église et la Synagogue, Moïse dévoilé, le Moulin de saint Paul; l’Ouverture du Livre par le Lion et l’Agneau et le Quadrige d’Amminadab), seuls le premier et le cinquième sont du XIIe siècle.

La Vie de Moïse en cinq panneaux, tous d’origine : Moïse sauvé des eaux, le Buisson ardent, le Passage de la mer Rouge, la remise des Tables de la Loi et le Serpent d’airain. Les panneaux de la vie de Moïse, de par la qualité et la finesse des ornements, font songer aux pièces d’orfèvrerie que le grand abbé commanda ; les motifs de l’Arche d’alliance ont été rapprochés des éléments du calice de Suger, ce qui peut laisser penser qu’il y avait logiquement des contacts entre les artistes des différentes professions sur le chantier de Saint-Denis.

Mais il convient aussi de citer la rose Sud, une structure de pierre de plus de 14 mètres de diamètre, qui aurait servi de modèle à celle de Notre-Dame de Paris ; elle montre, autour de la figure centrale du Dieu bénissant, des anges, les douze signes du zodiaque représentant la course du soleil et vingt-quatre travaux agricoles réalisés au cours de l’année. Les vitraux de la rose Nord, également du XIXe siècle représentent l’Arbre de Jessé.

Encore lié à la lumière et à la recherche de sa mise en valeur, le 18 janvier 2018, Mgr Delannoy a consacré le nouvel autel de pierre et de verre de Vladimir Zbynovsky, symbolisant l’alliance de la pierre et du verre voulu par l’abbé Suger. Bien mieux, comme l’autel symbolise le Christ, la pierre représente son incarnation et la dalle en verre optique qui la surmonte illustre sa pureté ; la croix de lumière qui traverse la pierre se reflète dans la crypte où repose saint Denis et ses compagnons martyrs.

Nous avons ainsi mis en évidence la grande richesse symbolique de cette basilique cathédrale, dans son histoire et sa description. Son message peut être synthétisé ainsi :

La première cathédrale gothique, temple de la lumière divine, icône de la Jérusalem céleste, lieu du sacre des reines et nécropole des rois de France, illustre la continuité de la royauté française, chargée du salut des âmes de ses sujets, en ce temps confié par Dieu dans la communion des saints ; elle révèle l’alliance lumineuse entre la royauté française et l’Église catholique.


[i] Mais le trésor était riche de beaucoup d’autres objets précieux, d’époques différentes :

–             Les antiques :

Un certain nombre d’intailles ou camées des collections royales (Cabinet des médailles ou musée du Louvre) ;

Coupe des Ptolémées (Cabinet des médailles).

–             Époque carolingienne ou assimilée :

Trône de Dagobert (Cabinet des médailles) ;

Grande croix d’orfèvrerie (2 mètres) posée sur un piédestal en émaux (Cabinet des médailles) portant un Christ en or, cloué par trois saphirs, dont la Plaie était de saphir et de grenats (le Christ fut retiré par les ligueurs en 1590) ;

Pièces en ivoire du jeu d’échecs de Charlemagne (Cabinet des médailles) ;

Sommet de l’escrain de Charlemagne, intaille antique de Julie (Cabinet des médailles) ;

Olifant d’ivoire, dit de Roland (Cabinet des médailles) ;

Retable en triptyque, or et émaux (disparu) ;

Patène de serpentine aux dauphins (Cabinet des médailles).

–             Les vases de Suger :

Navette de Saint-Éloi (Cabinet des médailles) ;

Aigle de Suger (musée du Louvre) ;

Vase en cristal d’Aliénor (musée du Louvre) ;

Aiguière de sardoine (musée du Louvre) ;

Aiguière aux oiseaux (musée du Louvre) ;

Calice de Suger (National Gallery of Art de Washington).

–             Les insignes royaux :

Joyeuse (épée) et éperons (musée du Louvre) ;

Sceptre de Charles V (musée du Louvre) ;

Couronne de sacre de Louis XV (musée du Louvre) ;

le sceptre à la rose des reines de France (disparu pendant les guerres de Religion) ;

le sceptre dit de Saint Louis (en argent doré, datant de vers 1300, doté d’un sommet en forme de feuillage et était en argent doré).

[ii] Il s’agit d’un tableau sur bois appartenant à un retable dispersé et peint par un artiste du début du XVIe siècle connu sous le nom de Maître de Saint Gilles. Il est conservé dans les collections de la National Gallery à Londres.

[iii] On peut citer les sacres à la Basilique Saint-Denis de :

Anne de Bretagne, le 8 février 1492, sacrée et couronnée reine de France à Saint-Denis, elle est la première reine couronnée dans cette basilique et sacrée, « oincte, chef et poitrine », par André d’Espinay, archevêque de Bordeaux ;

Marie d’Angleterre, le dimanche 5 novembre 1514 ;

Claude de France, le dimanche 10 mai 1517 ;

Éléonore d’Autriche, le dimanche 5 mars 1531 ;

Catherine de Médicis, le lundi 10 juin 1549 ;

Élisabeth d’Autriche, le dimanche 25 mars 1571 ;

Marie de Médicis, le 13 mai 1610 (dernière reine sacrée à Saint-Denis).

[iv] Après le décès, on ouvrait le ventre du défunt et on en retirait les viscères. Puis on procédait à l’ablation du cœur. On identifiait un gisant de cœur par la présence d’un petit cœur sculpté dans la main gauche du personnage et un gisant d’entrailles par la présence d’un petit sac dans une main.

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