Après la présentation de l’histoire de Notre-Dame, sa description, venons-en au cœur de notre sujet : son sens, par les symboles…Mais avant d’interpréter la symbolique de la cathédrale, et en particulier pour la façade Ouest, il est important de se remémorer les éléments suivants, très souvent omis ou ignorés lors des visites.
Dans la tradition chrétienne, Marie est la « Porte du Ciel », la « Porte vers l’Orient », le « Soleil Levant », la « Porte du Salut », la « Tente de la Rencontre », la « Reine du Ciel », la « Reine des martyrs », la « Consolatrice des affligés », la « Nouvelle Eve », la « Mère de Dieu », « l’Immaculée Conception » etc.

La proclamation par le pape Pie IX du dogme de « l’Immaculée Conception », c’est-à-dire qu’elle fut conçue sans péché, ou plutôt sans la cicatrice du « péché originel »[ii], n’eut lieu qu’en 1854 (c’est-à-dire bien après la construction de la cathédrale, mais concomitamment avec la restauration de Viollet-le-Duc) ; pourtant, elle fut le fruit d’une lente évolution dans l’Église catholique. La fête de la Conception de la Vierge était célébrée en Orient dès le VIIIe siècle, elle arriva en Occident autour du Xe siècle et se développa progressivement en Europe (les abbayes de Westminster et de Canterburry la fêtaient le 8 décembre déjà au XIe siècle). Un débat théologique s’en suivit entre des théologiens de différents ordres. Les uns et les autres s’appuyaient sur les Pères de l’Église, qui dès les premiers siècles avaient évoqué cette croyance. Le débat se développa à partir du XIVe siècle et s’étendit jusqu’au XVIIIe siècle avec des prises de position de plus en plus répétées des papes, qui tout en encourageant les fidèles à célébrer la fête de l’Immaculée Conception, se refusaient toujours à en prononcer le dogme. Pie IX, après avoir consulté l’ensemble des évêques catholiques ainsi que des commissions de théologiens, définit ce dogme de manière solennelle le 8 décembre 1854, par la bulle Ineffabilis Deus. La fête de l’Immaculée Conception est liturgiquement fixée au 8 décembre, et celle de la naissance de Marie au 8 septembre.
Marie fut aussi qualifiée de « Rose mystique » par saint Bernard de Clairvaux dans la première moitié du XIIe siècle (c’est-à-dire juste avant la conception de la cathédrale, ce qui influença certainement la recherche de représentation de roses lumineuses pour les bâtiments dédiés à Marie.
Marie est aussi « l’Arche de l’Alliance » car « elle a accueilli en elle Jésus ; elle a accueilli en elle la Parole vivante, le Verbe, tout le contenu de la volonté de Dieu, de la Vérité de Dieu ; elle a accueilli en elle Celui qui est « l’Alliance nouvelle et éternelle », celui qui est allé jusqu’au don de son corps et de son sang : un corps et un sang reçus de Marie. C’est donc à juste titre que la piété chrétienne, dans les litanies en l’honneur de la Vierge, s’adresse à Elle en l’invoquant comme Foederis Arca, c’est-à-dire « Arche de l’Alliance », Arche de la présence de Dieu, Arche de l’Alliance d’amour que Dieu a voulu établir de façon définitive avec toute l’humanité dans le Christ, selon Benoît XVI.
Ainsi, tous ces titres ou noms sont représentés sur la façade Ouest ou en influencent la lecture. Ils sont donc des clefs de compréhension de la cohérence du message du bâtiment.
La présence du Christ, Lumière du monde dans la cité
Contrairement à la cathédrale de Chartres, qui se voit de plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, entourée des plaines de la Beauce, celle de Paris ne se découvre qu’aux derniers lacets de la Seine, car, étant située sur l’ile de la Cité, elle est par définition à l’une des altitudes les plus basses du bassin parisien. Pourtant, elle répond à la même logique architecturale que sa sœur chartraine. Nous retrouvons ici la conception des peuples du Nord de l’Occident chrétien, plaçant Dieu (kyrios, le Seigneur) dans la cité ; étant la Lumière du monde, Il rayonne sur toute la cité, sur tout l’évêché, et, dans le cas de Paris, sur tout le royaume de France. Cet espace Lui est consacré, ayant supplanté les cultes païens. L’église est consacrée à sa mère, Marie, c’est pourquoi elle est orientée dans l’axe du soleil levant le jour de l’Immaculée Conception (le 8 décembre), et qu’elle garde sous sa protection ses grands serviteurs, avec la sépulture de nombreux archevêques de Paris notamment. Elle est donc moins exclusivement la « maison de Marie » que ne l’est la cathédrale de Chartres, qui n’a aucun gisant, et elle est aussi moins « solaire » (dans son orientation, sa symbolique, ses ornements etc.), elle se prête moins à certaines lectures ésotériques (il n’y a pas de labyrinthe, ni de légende druidique, d’horloge astronomique, etc.). Elle est en revanche très symbolique de Marie, mère du Christ et mère des hommes, chemin dans notre vie, dans notre cité, vers le Christ et la Trinité.
Rappelons ce que l’on a vu en introduction de ce cycle, sur la présentation théologique des trois églises : en un seul ensemble, le Christ, sont réunies « l’Église Triomphante » (les saints déjà au Ciel), « l’Église Militante » (les personnes vivantes sur la Terre) et « l’Église Souffrante » (les morts au Purgatoire). La superposition de ces « trois Églises » illustre la communion des saints :
– les tours et les clochers dressés vers le ciel suggèrent l’Église Triomphante ;
– prenant appui au sol, il y a l’Église Militante (avec la lutte contre le péché jour après jour),
– et la crypte ou les vestiges enterrés évoquent l’Église souffrante (ou le Purgatoire).
La cathédrale adopte un plan en croix, signant et bénissant ainsi le sol en le sanctifiant. Elle a la forme de l’Homme couché, en croix ; celle du Fils de l’Homme crucifié, les pieds vers le soleil couchant. Son axe légèrement désaxé symbolise, selon la tradition, la tête affaissée du Christ sur la croix.
Elle est baignée de lumière colorée, grâce à ses vitraux, et en particulier à ses roses. La rose est d’abord la représentation d’une roue. Elle apparaît dans la vision d’Ézéchiel. Les animaux de cette vision sont reliés aux êtres vivants de la première vision de l’Apocalypse et aux quatre Évangélistes. La première représentation de la roue en architecture peut se voir sur la façade du croisillon Nord de l’église Saint-Étienne de Beauvais. C’est alors une roue de la Fortune. La représentation de la roue est reprise par Suger sur la façade occidentale de l’abbatiale de Saint-Denis.
Ce n’est que progressivement, comme à Chartres et à Notre-Dame de Paris, que la roue se transforme en rose, symbolisant la Vierge. Dès-lors, par la représentation de Marie dans les roses, un message est transmis quant à sa place dans l’histoire de la Révélation et dans notre propre histoire. Elle est le pivot entre l’Ancien Testament (rose Nord, dont elle occupe le centre), et elle permet la naissance de l’Église, (rose Sud) : un Christ en majesté occupe à présent le centre, elle s’efface, mais est présente. Dans le transept, elle nous rencontre, et nous pouvons cheminer avec elle, car elle a toujours veillé sur nous, depuis notre conception (rose Ouest), elle est au centre de notre humanité (rose Ouest), faite de vices et de vertus, dans ce temps qui nous est donné (signes du zodiaque), jusqu’à notre mort, comme elle était présente à la mort de son fils (la Piéta du chœur). Le lieu de rencontre de notre histoire personnelle et de celle de la Révélation est le transept. Nous y trouvons ainsi le sens de notre présence en ce monde, dans la vie quotidienne de cette cité, et nous avons à rayonner et à transmettre ce message. Nous entrons par le portail central occidental, encadré de 12 statuts d’apôtres, douze étant la multitude, certes, les 12 tribus d’Israël, mais aussi le 12 de l’Incarnation, (3X4 : Dieu venu sur Terre) ; en arrivant au transept, celui-ci est encadré de deux portails (Nord et Sud), chacun étant encadré de 6 statues (reconstituées au Sud, détruites au Nord). Marie permet cet accomplissement de l’Incarnation, visible dans le transept.
Un sanctuaire pour le Dieu trinitaire et Marie
Il s’agit d’un lieu séparé du reste de l’espace public par une grille d’entrée à l’Ouest, au Sud et au Nord, et par quelques marches à toutes les entrées pour accéder à une élévation spirituelle.
Comme le signifient les bas-reliefs de la porte Rouge, il y a incitation à l’élévation, malgré la dualité de l’homme : l’interprétation du panneau droit de la porte rouge est relativement simple, puisque nous voyons une élévation des états de l’homme, de sa condition la plus vile et bestiale à une représentation quasiment christique (le cerf), par la prière. Il s’agit donc d’une incitation pour les moines avant de prier, à bien prendre en compte l’enjeu de la liturgie des heures. Sur le panneau de gauche, nous retrouvons sur la ligne la plus basse des monstres rampants, sortes de crocodiles ou de dragons. On s’élève ensuite avec des griffons, animaux mythiques à la fois carnassier et oiseaux, à la fois charnels (surtout quand la queue est en direction de la terre) et mystiques. L’avant dernière ligne est difficilement lisible, mais pourrait distinguer une sorte de coq, oiseau qui aspire à voler sans y arriver, ou un griffon à la queue levée vers le ciel. La dernière ligne fait figurer des représentations apparemment contradictoires. Les oiseaux témoignent de l’élévation de l’âme, de son immortalité, si l’on y voit un paon, mais celle-ci est accolée à une sirène, signe de luxure, du péché en général. Ce panneau fait apparaitre, malgré les bienfaits de la prière à droite, la dualité des hommes.
Cette dualité est visible aussi par les fenêtres abat-son des tours, par les vices et les vertus présents en bas-reliefs de la façade Ouest, et repris dans la rose occidentale, dans les vierges folles et les vierges sages de la même façade, par les deux anges encadrant Marie au centre de la rosace occidentale extérieure, l’un représentant la Faute, l’autre la Rédemption, par saint Marcel, entouré du bien et du mal.
Il y a appel à l’élévation, certes, mais cependant il est intéressant de voir que l’édifice est quasiment au même niveau que le parvis, au même niveau que « les gentils », les non-croyants, le pape François aurait parlé de « la périphérie de l’Église ». Il s’agit bien d’une particularité de Paris, quand on compare avec les autres cathédrales, ou les autres lieux cultuels. Ce sanctuaire divin est au niveau des hommes, pour qu’ils rencontrent mieux leur Créateur. De même, contrairement à Chartres par exemple, la nef n’est pas ascendante. Il y a donc vraiment à Paris la recherche de montrer que Dieu se met au niveau des hommes pour les rencontrer.
Grâce à l’étymologie du parvis, on se rend compte par ailleurs que l’on est dès ici-bas déjà dans la vie éternelle, et que l’on peut y trouver une parcelle de paradis, une élévation ; ainsi, on monte 8 marches (l’accès à la vie éternelle) pour atteindre l’autel : 3, l’accès à la Trinité, puis 2, le témoignage, puis 3, pour devenir peu à peu à la ressemblance de Dieu, de la Trinité, nous qui sommes créés à l’image de Dieu au début de notre vie et à chaque instant (symbolique du portail Ouest).

La prière dans ce sanctuaire est scandée par les cloches situées dans les tours ; elles sanctifient l’espace de la paroisse. L’accès principal de l’église se fait par le portail Ouest composés de trois portes : en pénétrant dans ce lieu, on entre dans la maison de Dieu, créateur de toute chose, de tous les éléments, on participe à la gloire de Dieu (la forme harmonique symbolisant un arc de triomphe nous le rappelle). Les éléments sont représentés dès la façade, avec la Terre carrée entre les deux tours, sur laquelle se trouve l’eau (le cercle de la rosace), surmontée de l’Esprit, du monde invisible, avec la forme triangulaire de la toiture. Les trois éléments de l’alchimie étant en place, a-t-on remarqué au XIXe siècle, la transformation de notre être va pouvoir s’opérer, selon la foi catholique, par l’action de Dieu, sa miséricorde, et non par notre seule volonté intérieure comme l’expliquent certaines philosophies ou théories. En entrant dans ce lieu, on le fait parce que l’on « croit » nous dit St Augustin, (verbe associé à l’entrée de l’église), et que l’on veut approfondir les mystères de la foi, l’Incarnation par Marie (porche de gauche, encadrée de 4 statues), dans l’histoire humaine (porche de droite, la sagesse, les vices et les vertus, le temps donné, porte aussi encadrée de 4 statues), la Parousie ou le retour du Christ dans sa Gloire (porche central, qui dispose aussi d’un tétramorphe, symbolisant à compter du XIIe siècle certes les 4 Évangélistes, mais aussi le Christ Lui-même). La lumière éblouissante de Dieu était mise en valeur par une polychromie vive tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, puisque la cathédrale était entièrement peinte de couleurs vives.
Le chemin de conversion
La fonction principale du portail Ouest est de porter au loin le son des cloches, de solenniser l’entrée dans l’église, de donner un point de départ aux liturgies des pèlerinages, et en même temps d’afficher par le programme iconographique les grands principes de la foi, en mêlant des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, et en associant ainsi les précurseurs de la Chrétienté – le peuple juif, la Synagogue, les 28 rois d’Israël et de Juda, aïeux de Marie – à l’accomplissement de la promesse, formulée selon le dogme chrétien. Les trois tympans proclament l’entrée de Dieu dans notre temps par amour.
Mais surtout, en entrant par le porche Ouest, on vit un pèlerinage, un chemin de conversion.
Celui-ci commence par la prise de conscience que nous sommes finis, c’est-à-dire soumis au temps, à ses lois, alors que Dieu est éternel, hors du temps, mais qu’il reviendra dans sa Gloire juger les vivants et les morts. C’est pourquoi Il est représenté en juge dès le porche Ouest, qu’Il figure dans ce même porche central avec le Tétramorphe comme nous l’avons déjà remarqué : Jésus, le Fils de l’Homme (tête d’homme), s’est offert en sacrifice (tête de taureau), est mort mais ne s’est pas endormi dans les enfers (comme le lion veilleur), et est monté au Ciel, (comme l’aigle). Symbolisant aussi les Évangélistes, ceux-ci nous invitent aussi à être ouverts à la Parole de Dieu par les évangiles (les quatre Vivants de l’Apocalypse). Cette vie sur Terre est pour nous soumise au temps de notre vie, au cycle des saisons, à l’alternance du jour et de la nuit.
Les signes du zodiaque sont présents sur les porches. En entrant ici, on prend conscience de notre condition humaine, homme et femme (Adam et Eve, encadrant la rosace, au niveau aussi du portail de la Vierge, encore présents dans le transept quand il y avait le jubé), jeunes ou vieux (à droite du trumeau du portail de la Vierge) ; condition humaine limitée dans le temps, mais sous le regard bienveillant de Marie, et avec les exemples de saint Étienne, sainte Geneviève et saint Marcel, et avec une promesse de paix et de vie (l’olivier derrière saint Jean et le figuier derrière saint Paul dans le linteau central du tympan du portail de la Vierge). Ce chemin de vie, de conversion, est enrichi par le nouvel agencement de chapelles.
Par ailleurs, le coq situé au sommet de la flèche jusqu’à l’incendie, contient trois reliques : une petite parcelle de la Sainte Couronne d’Épines, une relique de saint Denis et une de sainte Geneviève. Le coq constitue ainsi, à l’instar de la foudre représentée sur la flèche, une sorte de « paratonnerre spirituel » protégeant tous les fidèles qui œuvrent et pratiquent selon la loi de Dieu dans cette cathédrale. Il est aujourd’hui dans le déambulatoire, et est remplacé par un magnifique coq flamboyant dessiné par Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques ; outre le symbole que tous les coqs des clochers représentent, celui-ci, à qui on a confié des reliques contenues dans l’ancien coq, est aussi symbole de résilience.et de résurrection.
En entrant dans ce lieu, on entre dans le Temple, la maison de Dieu, la Jérusalem céleste, le paradis (cf. les dimensions symboliques), des entrailles de la Terre au Ciel de Dieu, en passant par la commune-union des saints.
Nous arrivons dans le narthex, entrailles de la terre matrice.
De ce narthex, nous sommes invités ici, non pas à choisir entre le bien et le mal, comme dans beaucoup d’églises, nià nous ressourcer aux sources de la Vie et à nous élevercomme à Chartres, mais à avancer sur notre chemin d’humanité, représenté par les 4 clefs de voute (chemin terrestre) de la nef, par les 28 colonnes de la nef et des bas-côtés (28 rois d’Israël et de Juda). Ce chemin se veut le plus doux possible (il n’y a pas de labyrinthe, les chapiteaux sont décorés de feuilles d’armoise, c’est-à-dire qu’elles n’ont même pas les épines de l’acanthe, qui décore souvent le sommet des colonnes, elles représentent donc la vie et la douceur).
Pour cheminer, nous recevons le souffle de vie de Dieu, ce qui est signifié par l’orgue, dès le début de notre parcours.
Depuis la restauration, la Vierge à l’Enfant nous accueille, car nous devons passer par Marie pour aller à Jésus. De plus, nous faisons face d’emblée à présent à la cuve baptismale, ce qui accentue la compréhension du besoin vital d’être baptisé pour mourir au péché originel par l’eau, et renaitre de l’Esprit. Nous avons aussi ce message par les fonts baptismaux de bronze de la chapelle de Noé, au début du nouveau chemin de conversion ; en forme de croix grecque, ils comportent un couvercle pyramidal à quatre côtés (la Terre) dominé par une statuette de Saint-Jean-Baptiste. Cette cuve repose sur 8 colonnes (notre vocation à la résurrection, à l’éternité), flanquées des 4 Évangélistes portant leur attribut. Les bras de la croix grecque sont décorés du visage en ronde-bosse des 12 apôtres.
Ces fonts baptismaux sont posés au centre d’un carré sur le sol. Grâce au baptême, nous sommes armés pour progresser sur notre chemin de vie, intégrés dans l’une des classes de la société (les paysans – les grandes arches du bas, la noblesse – le triforium, et le clergé – les grandes fenêtres ; remarquons que Viollet-le-Duc a ajouté un quatrième étage en extrémité de nef et dans le transept, ce qui parait représentatif du XIXe siècle, avec une bourgeoisie triomphante, une quatrième classe) ; nous sommes l’une des pierres de la voute, scellées par l’amour de Dieu avec les autres pierres, représentant ses frères, sur le chemin de la Vie.
Durant cette progression le long de la nef, les orgues jouent et occupent l’espace sonore, l’envahissant de la voix divine, en alternance avec les psalmodies des laïcs (dans la nef) et du clergé (dans le chœur).
En chemin, après 4 arches (la Terre) et avant les 3 dernières arches de la nef (chiffre de la Trinité), la chaire nous enseigne la Parole de Dieu. Nous pouvons alors accéder, après l’espace du verbe « croire », à celui du verbe « Savoir », le transept.
La croisée du transept est la jonction de la verticalité et de l’horizontalité, l’Incarnation, représentée par une grande flèche, appuyée sur des piliers renforcés. Le transept est le pivot entre l’Ancien Testament, l’Ancienne Alliance au portail Nord, l’année 1, (l’Incarnation déjà suggérée au portail Ouest), et l’Église, (la Nouvelle Alliance) au portail Sud. Le linteau central du portail Ouest réunissait déjà l’Ancien et le Nouveau Testament avec les patriarches et les prophètes, jouxtant les apôtres, pieds nus, car ils étaient en contact direct avec Jésus), sous le Christ en Gloire. Cette continuité est confirmée avec la rosace Sud et quatre personnages montés deux à deux. Les quatre grands prophètes de l’Ancien Testament (Jérémie, Isaïe, Ézéchiel et Daniel) portent sur leurs épaules les quatre Évangélistes. Cette représentation traduit la continuité entre les deux Testaments. Ces prophètes et les Évangélistes ont annoncé le Royaume de Dieu, représenté dans la rose placée au-dessus.
Si vous vous asseyez dans le transept, à droite, face à la statue de Notre Dame, en ayant conscience de ce que vous avez derrière (le parvis, les tours, la nef, les fonts baptismaux, l’Église « militante »), dessous (« l’Église souffrante », ceux qui ont disparu), vous pouvez mieux comprendre le mystère de l’Incarnation. C’est à cet emplacement que Paul Claudel a fait l’expérience à 18 ans, à Noël 1886, de prendre la mesure de la façon dont il était aimé de Dieu. Ce fut pour lui une révélation et il se convertit.
Regardez l’autel et le chœur : le rideau du Temple s’était déchiré depuis la mort du Christ, donnant au profane accès à Dieu, après la Résurrection, par la communion. L’ancien jubé fut remplacé par une grille marquant la proximité du « Saint des Saints », des Espèces consacrées dans le tabernacle. Le Christ ressuscité est là, présent, sur son trône de Gloire, successeur du trône de David, surélevé de 5 marches (la perfection). Marie L’a rejoint depuis l’assomption. Elle était déjà à ses côtés au pied de la croix, représentée en piéta avec l’ancien maître-autel. La France lui est consacrée, en tant que « fille ainée de l’Église ». Le clergé, installé, est le témoin privilégié de cette commune-union entre Dieu et l’Homme ; il prie sans cesse avec les laïcs dans le transept et la nef. Nous avons accès alors, par la communion, à Dieu, signifié par les trois clefs de voute du chœur, à la divinité de Celui qui a pris notre humanité, pour reprendre la formule de l’Offertoire. Après l’espace du verbe « croire », celui de « savoir », nous atteignons celui de « connaître », naître avec…
Il est ainsi le Chemin (la nef), la Vérité (le transept), et la Vie (le chœur).
Une tradition vivante
Mais ce chemin de conversion n’est pas figé, et la symbolique vit.
Elle se perpétue au travers des âges et des techniques, que ce soit pour les vitraux, les sculptures ou les objets d’orfèvrerie par exemple.
Viollet-le-Duc avait restauré de nombreux vitraux, en particulier dans la nef, avec des grisailles incolores, proches de celles utilisées au XVIIIe siècle. Le maître verrier Jacques Le Chevallier permit au milieu des années soixante (juste après Vatican II), d’apporter des reflets colorés à la lumière, en respectant et en mettant en valeur les rosaces anciennes.
C’est dès 1935[iii] que le Cardinal Verdier, célèbre pour les chantiers qu’il a menés dans la région parisienne, fit appel à douze artistes contemporains pour remplacer ces vitreries [figurent à ce projet : Mademoiselle Reyere, Messieurs Le Chevallier[iv], Grüber, Ingrand, Ray, Gaudin, Mazeltier, Barillet, Hébert-Stevens, Rinuy, Louzier, le R.P. Couturier]. Le thème proposé était une suite des saints et saintes de France pour les lancettes et les douze versets du Credo pour les roses des tympans. Il laissa libre court à l’imagination des artistes. Pour autant, l’administration des monuments historiques veilla à la conservation d’une cohérence dans la création puis dans la présentation des pièces. De concert, les artistes développèrent un projet cohérent, en lien avec la luminosité supposée de l’édifice au Moyen Âge – la coloration générale choisie était alors bleue et rouge, avec une dominante de bleu au Nord et de rouge au Sud – mais aux traits résolument modernes.
La volonté était d’apporter de la vie à la cathédrale par l’apport de couleurs jusqu’alors oubliées si ce n’est dans les rosaces du transept. Jacques Le Chevallier présenta alors une baie composée sur la gauche d’une figure de saint Marcel terrassant un dragon, et sur la droite de sainte Geneviève tenant la lampe que voulait, dans la légende, souffler le démon. Au-dessus de sa tête était représenté le navire figuré dans le blason de la ville de Paris, rappelant ainsi son statut de sainte patronne de la ville. La rose située dans la partie supérieure et centrale du vitrail présentait l’Agneau Pascal entouré des symboles des Évangélistes. À leurs alentours était écrite la phrase : « la vie éternelle, ainsi soit-il ». L’ensemble des personnages était entouré de motifs décoratifs propres aux années 1920-1930, que l’on retrouve notamment dans la peinture de Robert Delaunay. Présentées quelques temps à la cathédrale, les douze réalisations furent ensuite exposées dans le pavillon Pontifical de l’Exposition de 1937. La mise en place s’effectua en 1938 sous les écrits hostiles de conservateurs farouchement opposés à l’entrée de l’art moderne dans les monuments historiques ou plutôt à la modification d’une œuvre d’art du passé.
S’engagea alors une « Querelle des vitraux » [du titre d’un article de journal réalisé par deux courriers de Jacques de Laprade et d’Achille Carlier] qui fit couler beaucoup d’encre dans les journaux français et européens. Une année plus tard et suite à l’entrée en guerre de la France, les douze verrières furent descendues dans leur intégralité et semblent avoir été restituées à leurs créateurs.
En 1952, les monuments historiques chargèrent Jacques Le Chevallier d’une nouvelle étude pour les verrières de Notre-Dame de Paris. La demande était alors de garder les mêmes sujets iconographiques qu’avant-guerre mais de les adapter en les colorant légèrement plus et en modifiant la taille des personnages, afin de les rendre plus identifiables. La graduation allant du bleu au rouge se fit alors d’Ouest en Est. Ce nouveau travail resta à l’état de projet.
En 1961, la même administration fit à nouveau appel à l’artiste et lui demanda un travail tout à fait novateur pour son édifice de destination. Il s’agissait à présent pour Le Chevallier de réfléchir à un ensemble de vitreries colorées pour toutes les fenêtres hautes de la nef, du mur occidental du transept et des tribunes. Partant du postulat qu’il donnait dans l’un des numéros de L’Art chrétien de 1957, « l’art abstrait, avec sa richesse inépuisable de formes et de couleurs […] est profondément accordé à notre sensibilité », Jacques Le Chevallier proposa un projet dans lequel les verrières « vivent » et se répondent par un choix de couleurs [parmi le choix des couleurs, il est à noter que le bleu est inspiré de la teinte du Moyen Âge que Jacques Le Chevallier a eu le droit de prélever sur une des roses du transept] semblant vibrer les unes par rapport aux autres. Sur les verrières que le public peut encore voir dans la cathédrale, l’artiste veut évoquer une Jérusalem céleste en lien avec le XXe siècle où chaque âme solidaire l’une de l’autre se révèle par la lumière qui la traverse. C’est là également l’objet d’une de ses réflexions données préalablement dans la revue L’Art sacré : « L’art religieux a pour objet de toucher dans ses fibres les plus délicates l’homme, l’homme de la rue, de l’usine, de la terre. L’art religieux devrait être le premier à retrouver ce nécessaire contact humain. » [L’Art sacré, août 1948]. Ce nouvel ensemble fut présenté au public le 26 avril 1966.

Artiste accompli, Jacques Le Chevallier prouva durant toute sa carrière et notamment à Notre-Dame de Paris une volonté de mise en lumière sans trahison de la vie de ses contemporains et des édifices dans lesquels il fut appelé. La lumière se veut utile, ludique, à même d’amener l’homme à une situation particulière telle que de la piété dans un lieu religieux. Il donna une nouvelle expression à l’espace gothique sans le trahir. Mais l’œuvre de Le Chevallier – qui est avant tout l’œuvre d’un peintre – n’appelle pas la comparaison avec les vitraux anciens ; elle se place à part et atteint son but car elle réussit à s’intégrer parfaitement à l’architecture de Notre-Dame.
Ce qui est vrai pour le vitrail, l’est aussi pour la sculpture.
Au[v] fond du chœur de la cathédrale, derrière la piéta, encadrée de Louis XIII et Louis XIV, se trouve depuis 1994 l’une des œuvres les plus réussies de l’art sacré de notre temps. Il s’agit de la Croix et la Gloire de l’artiste Marc Couturier. Elle monte majestueusement au-dessus de cette scène, entourée harmonieusement par l’arche en fond d’hémicycle. Un halo – un rayon de lumière, la gloire sous forme de lame – semble flotter juste au-dessus de la croix, comme une couronne. L’œuvre est le résultat d’une commande et l’artiste a été choisi parmi un groupe de quatre candidats pour la créer dans le cadre d’un concours initié par le Diocèse de Paris en partenariat avec la Commande publique de l’État. Les autres artistes-candidats étaient Christian Boltanski, Lucian Fabro et Piotr Kowalski, tous connus internationalement pour leur travail dans le champ des arts plastiques. Le but officiel de la commande était de remplacer la croix disparue pendant les travaux conduits par Viollet-le-Duc au XIXe siècle pour redonner à la cathédrale son caractère «gothique». Le projet a été pensé et dessiné par Marc Couturier avec le soutien de son ami et confident, l’Abbé Louis Ladey (1910-2003). La Croix est une structure sculptée en bois recouverte à la feuille d’or, réalisée par l’artiste à la prestigieuse Fondation Coubertin de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, entre Versailles et Rambouillet. Elle est dépouillée d’ornementation, ses angles sont arrondis. Son élégance aérodynamique et sa simplicité font qu’elle se glisse dans son environnement sans attirer immédiatement l’attention sur elle-même.
Elle s’élève à une hauteur de six mètres, mais cela ne se remarque guère car elle s’ancre derrière la Pietà, à la base du dos de celle-ci. Elle peut être observée depuis la chapelle du Saint Sacrement, située derrière le chœur. On y voit bien son côté imposant et sobre, d’une parfaite finition.

La Gloire, l’objet-halo au-dessus de la croix, est en fait une longueur de bois présentée à l’horizontale, sculptée et couvert à la feuille d’or blanc, suspendue pour donner l’impression qu’elle est en lévitation. Elle rappelle subtilement la forme d’un poisson, presque plate à l’extrémité qui serait sa « queue », plus large à l’autre extrémité. Marc Couturier évoque le symbolisme du poisson, signe de reconnaissance entre les premiers chrétiens, avec le nom de Jésus correspondant au mot grec signifiant poisson, ICTHUS. Elle est ainsi une interprétation unique de la Gloire traditionnelle, cette auréole ou nuée qui entoure parfois les représentations des Christs et des Crucifixions dans l’art. La Gloire de Couturier mesure 193 cm de large, la même longueur que les bras étendus de Marie en Pietà en-dessous d’elle. En effet, l’attention que Couturier a donné à l’espace sculptural et architectural autour de la Croix et la Gloire concourt également au succès de l’œuvre. L’origine de la forme de la Gloire n’est pas une anomalie dans l’œuvre de Marc Couturier, elle fait partie de l’un des types de réalisations que Marc Couturier qualifie de lame.
Par le biais de ce mot, avec le concept et la sorte d’objet qu’il nomme, Marc Couturier fait également l’allusion au mot « l’âme ». Les lames de Marc Couturier sont faites de bois, de pierre ou de métal, sont monumentales et accrochées au mur de manière à sembler flotter, ou sont petites et insérées dans des espaces plus intimes, ou encore installées à la verticale, semblant tenir toutes seules debout. Elles sont gracieuses, poétiques, mystérieuses. L’artiste a décrit la Croix de Notre-Dame comme le lien, la rencontre, entre deux lames, l’une horizontale, l’autre verticale (La mort et la résurrection du Christ). La Croix et la Gloire de Couturier témoignent du Christ ressuscité, l’œuvre s’intégrant parfaitement à l’espace auquel elle est destinée.
Nous avons également évoqué précédemment le maître-autel de Jean et Sébastien Touret réalisé en 1989. Il mettait l’accent sur la jonction entre l’Ancien Testament (quatre grands prophètes Ézéchiel, Jérémie, Isaïe, Daniel), et les quatre Évangélistes du Nouveau. Par son emplacement, il était aussi riche de sens pour la Rencontre entre l’homme et Dieu, au cœur de ce monde.
Depuis l’incendie, le nouveau maître-autel de Bardet surgit de terre, en bronze, et prend la forme d’une coupe pour devenir ta Table sacrificielle, immuable, dans la perspective, dès l’entrée de la cathédrale, de cette même forme de coupe que la cuve baptismale. Cet axe sacrificiel, orienté vers le soleil levant, mais aussi vers la chasse-reliquaire qui couronne et illumine ce parcours, est le bois dressé de la Croix qu’est la cathédrale, dont le plan épouse cette forme ; il est ce qu’est le Christ : l’Amour, l’Humilité de Dieu, l’Agneau de Dieu, le Don de sa vie, la toute-puissance uniquement de l’Amour par la résurrection et la victoire sur la mort, couronnée d’épines, celle du péché, celles de nos péchés… ; il est aussi l’axe de notre vie, celle proposée par Dieu, qui conduit, dès la naissance, ou dès la renaissance par le baptême, à Lui et à la vie éternelle, par l’offrande de notre propre vie.
Les objets d’orfèvrerie ont connu la même évolution dans cette continuité de la symbolique.
En 1986 par exemple, comme nous l’avons évoqué, maître Goudji créa et réalisa les fonts baptismaux portatifs, l’aiguière et le chandelier pascal de la cathédrale Notre-Dame de Paris, à la demande de François Mathey, Conservateur en Chef du Musée des Arts Décoratifs de Paris, et du Comité national d’Art sacré. Lors des journées mondiales de la jeunesse de 1997, le pape Jean-Paul II utilisa ces fonts baptismaux, tout comme il revêtit les chasubles conçues par le couturier Castelbajac.
Les lectures alchimiques et ésotériques de la cathédrale.
Il me parait important aussi d’aborder d’autres « lectures » des messages de la cathédrale et des cultes païens associés, développées surtout depuis le XIXe siècle (ce qui est très récent au regard de l’Histoire de la cathédrale). Ainsi, elles peuvent participer à faire réfléchir le pèlerin, mais doivent être manipulées avec beaucoup de mesure et d’esprit critique, car les bâtisseurs ont certainement décliné des messages compatibles avec les consignes des évêques, donc les dogmes catholiques.
A vrai dire, ces lectures sont beaucoup moins pertinentes à Notre-Dame de Paris que dans d’autres cathédrales, en particulier Chartres, du fait des remaniements successifs et d’absence de vestiges celtiques importants ou de labyrinthe. Nous avons évoqué Fulcanelli et son école ésotérique précédemment, ainsi que la présence de « la statue de l’alchimiste », ajoutée par Viollet-le-Duc sur la galerie des Chimères face à l’Est. Mais creusons à présent les indices d’une lecture « alchimique » de la cathédrale de Paris.
L’Alchimie est l’art de la transformation. L’art de se transformer soi-même pour, ensuite, apprendre comment transformer les autres. L’enceinte du lieu sacré serait l’emplacement de la « première table » ou « table mystique ». L’énigme traditionnelle des constructeurs dit que « trois tables portèrent le Graal : l’une était ronde, l’autre carrée et la troisième rectangulaire ». Toutes trois ont la même surface et leur nombre est 21, ou plutôt 2 et 1. La table rectangulaire est la « table mystique », celle de la Cène. Elle se situe vers l’Orient, après la croisée du transept. Le chœur de Paris est rectangulaire, il a un rapport de 2 sur 1. Les proportions de cette forme sont liées au nombre d’or[vi] : celui-ci correspond à la constante permettant de trouver le périmètre de la surface d’un cercle dont on connait le diamètre. La table rectangulaire contient la racine de la transformation d’une surface angulaire en surface circulaire ; on atteint alors la « quadrature du cercle ». De la même façon serait construite la table carrée à partir du grand axe de la table rectangle. Le calcul de la table carrée marquerait la limite des premiers collatéraux du chœur.
Selon cette théorie, l’homme, le pèlerin, devient vase, être incarné, Graal vivant, qui reçoit au cours de trois voyages les énergies que lui offrent les trois tables, à savoir l’Intuition, l’Intelligence et la Mystique (nous retrouvons nos verbes croire, savoir et connaître…).La première table, ou table ronde, ne serait pas ici le labyrinthe, comme à Chartres[vii], mais la rose Ouest, table de transformation intérieure faisant apparaitre les vices et les vertus. Elle déterminerait la limite entre l’espace profane sur le parvis du Temple à l’Occident et l’espace sacré qui mène à la table carrée, parcours d’intelligence et de connaissance (d’ailleurs, la rosage est inscrite dans un carré). La transformation intuitive réalisée par le pèlerin à l’issue de son passage sous la rose le préparerait à passer de l’initiation instinctive à l’initiation consciente, fondée sur le raisonnement. On y retrouverait là certaines analogies avec les rites initiatiques de la franc-maçonnerie. La table carrée permet d’accéder à une connaissance réelle de la matière.
Ainsi, les trois tables ont porté le Graal, selon trois étapes, pour « finir le Grand-Œuvre, la transmutation » :
- la première, « l’œuvre au noir », serait représentée dans la table ronde, la rose ; il faut dissoudre la matière première, d’ordre physique, psychique et spirituel ;
- la deuxième, « l’œuvre au blanc », la table carrée, à la croisée du transept, est la purification ;
- la troisième, « l’œuvre au rouge », serait la table rectangulaire, représentée par l’autel dans le chœur. C’est la phase de transmutation, le dépassement de sa nature, l’accès à l’universel[viii].
Cette théorie présente une certaine cohérence, reprenant bon nombre d’éléments traditionnels de la symbolique chrétienne, mais elle leur donne un sens parfois légèrement dévié, car l’homme agit, sans la grâce de Dieu, sans sa miséricorde. Mais il n’est pas possible d’adhérer à ces thèses dans un ouvrage fondé sur des éléments historiques, car il n’existe pas d’écrit contemporains de la construction du bâtiment les justifiant ; notons que l’alchimie n’avait rien d’ésotérique, car elle était pratiquée au grand jour par beaucoup, en particulier les herboristes ou pharmaciens, les médecins, voire des évêques et des abbés etc. (Albert le Grand, Arnaud de Villeneuve, Nicolas Flamel), et que les messages qui devaient être délivrés étaient par définition chrétiens, puisque les travaux étaient commandés et payés par l’évêque.
Ainsi s’achève notre découverte de Notre-Dame de Paris de 1163 à nos jours. Si nous devons retenir une chose, c’est son message, que je synthétise par ces mots : Notre-Dame est la cathédrale de tous les Français, croyants ou non, mais aussi le symbole de la Rencontre, avec nos frères en humanité et avec le Dieu d’amour trinitaire, sous le regard bienveillant de Marie.
Stéphane BROSSEAU
[i] Photos : Stéphane Brosseau
[ii] Il s’agit de la conception de Marie, par sainte Anne et saint Joachim, ses parents, pas de celle de Jésus, conçu du Saint-Esprit.
[iii] Inspiré du site cathedraledeparis/histoire/grandes figures et personnalité/Lechevalier et de l’article « Vingt-quatre nouveaux vitraux posés à Notre-Dame de Paris » de Sabine MARCHAND dans la revue Les Arts du 16 juin 1965
[iv] Né à Paris le 26 juillet 1896, Jacques Le Chevallier suivit de 1911 à 1915 les cours de l’École nationale des arts décoratifs. Après sa mobilisation durant la fin des hostilités de la première Guerre mondiale, il intégra en qualité d’illustrateur, le jeune groupe des Artisans de l’Autel où il rencontra Louis Barillet, peintre décorateur et disciple de Maurice Denis.
A ses côtés, il fit des réalisations prestigieuses, véritables révolutions du vitrail français des années 1920-1930, tant en France qu’à l’étranger [notamment dans la cathédrale de Luxembourg où en 1937 l’atelier Barillet a la charge du décor de l’ensemble de l’extension de l’édifice]. Membre fondateur de l’Union des Artistes modernes en 1929, il y développa ses connaissances sur la lumière au point d’être considéré comme étant le premier éclairagiste avec notamment des luminaires au design novateur créés en complicité de René Koechlin.
En 1948, il contribua à la réorganisation des anciens Ateliers d’Art sacré autrefois fondés par Maurice Denis, maintenant appelés Centre d’Art sacré. Il en prit la direction et y enseigna l’Art monumental du vitrail.
En 1950, Nicolas Untersteller fit appel à Jacques Le Chevallier pour enseigner l’art du vitrail à l’École supérieure des Beaux-Arts de Paris.
Le travail de Le Chevallier se caractérise par une volonté d’être au service de l’homme et de l’aider à vivre dans son temps. Cette idée transparaît dans son art : que ce soit l’œuvre peinte, dessinée, gravée, ou encore ses ouvrages pédagogiques en direction des plus jeunes, Le Chevallier répond à quatre préceptes qui, selon lui, sont propres à l’artiste moderne :
– répondre aux besoins directs et positifs de la vie moderne ;
– sensibiliser la nécessaire réponse aux impératifs de la vie moderne ;
– l’art vivant est très exactement fidèle au rendez-vous que lui donne la vie moderne ;
– l’artiste créateur est/reste fidèle au rendez-vous que lui propose notre vie moderne, ses disciplines et ses techniques
Il mourut le 23 avril 1987 à Fontenay-aux-Roses où il avait ouvert son premier atelier en 1938 avant de s’y installer de façon définitive en 1945.
[v] Extrait d’un article du site Narthex (conférence des évêques de France)- Inge Linder – Gaillard, Comité Artistique de Narthex, septembre 2010
[vi] Cf. « nombre d’or » de l’encyclopédie en ligne. Le nombre d’or (ou section dorée, proportion dorée, ou encore divine proportion) est une proportion définie initialement en géométrie comme l’unique rapport a/b entre deux longueurs a et b telles que le rapport de la somme a + b des deux longueurs sur la plus grande (a) soit égal à celui de la plus grande (a) sur la plus petite (b) c’est-à-dire lorsque : a + b / a = a / b .
Le découpage d’un segment en deux longueurs vérifiant cette propriété est appelée par Euclide découpage en « extrême et moyenne raison ». Le nombre d’or est maintenant souvent désigné par la lettre φ (phi). Ce nombre irrationnel est l’unique solution positive de l’équation x2 = x + 1.
Il vaut V(racine carrée de) : 1 + V5/2 ≈ 1,618 0339887
Il intervient dans la construction du pentagone régulier. Ses propriétés algébriques le lient à la suite de Fibonacci et au corps quadratique ℚ(√5). Le nombre d’or s’observe aussi dans la nature. Des artistes l’ont également adopté (architecture de Le Corbusier, musique de Xenakis, peinture de Dalí, écrits de Paul Valéry).
L’histoire de cette proportion commence dans l’Antiquité sans être vraiment datée ; la première mention connue de la division en extrême et moyenne raison apparaît dans les Éléments d’Euclide. À la Renaissance, Luca Pacioli, un moine franciscain italien, la met à l’honneur dans un manuel de mathématiques et la surnomme « divine proportion » en l’associant à un idéal envoyé du Ciel. Cette vision se développe et s’enrichit d’une dimension esthétique, principalement au cours des XIXe et XXe siècles où naissent les termes de « section dorée » et de « nombre d’or ». Celui-ci est érigé en théorie esthétique et justifié par des arguments d’ordre mystique, comme une clé importante, voire explicative, dans la compréhension des structures du monde physique, particulièrement pour les critères de beauté et surtout d’harmonie ; sa présence est alors revendiquée dans les sciences de la nature et de la vie, proportions du corps humain ou dans les arts comme la peinture, l’architecture ou la musique. À travers la médecine, l’archéologie ou les sciences de la nature et de la vie, la science infirme les théories de cette nature car elles sont fondées sur des généralisations abusives et des hypothèses inexactes.
[vii] A Chartres, le labyrinthe est l’exact symétrique de la rose occidentale par rapport à l’entrée ; nous sommes donc dans la même logique.
[viii] Reprenant un raisonnement alchimiste, d’aucuns[viii] présentent les portails de la façon suivante :
« Devant Notre-Dame, au grand portail, dit porche central ou du Jugement, au-dessous du Christ debout, juste au milieu et à hauteur des yeux, on remarque une petite statue: une femme assise représente l’Alchimie. « Sa tête touche aux ondes du ciel », elle tient de la main gauche le sceptre de l’Art Royal, tandis que de la droite elle tient, debout sur son avant-bras, deux livres; « l’un est fermé qui symbolise le sujet grossier, et l’autre ouvert qui figure la même matière passive après qu’elle a subi la pénétration de l’esprit.
Elle tient devant elle une échelle à 9 degrés -scala philosophorum- dont les alchimistes doivent patiemment gravir les échelons tout au long des 9 opérations qui les conduiront à la réalisation de l’Œuvre. Sur les faces latérales des contreforts qui limitent le grand portail, à hauteur de l’œil, deux petits bas-reliefs sont encastrés chacun dans une olive.
Sur celle de gauche, nous voyons un homme arrêté devant une source: l’alchimiste contemple la Fontaine mystérieuse qui jaillit avec impétuosité du vieux chêne creux.
Ce chêne creux représente, pour les alchimistes, leur fourneau, l’Athanor. On remarque un oiseau perché sur l’arbre: il figure la nature volatile du composant.
En face de ce motif, le contrefort opposé montre la cuisson du compost philosophale:
Un chevalier en armure, qui paraît être sur la terrasse d’une forteresse (on remarque des créneaux derrière lui), menace de son javelot une forme imprécise qu’il est difficile d’identifier « mais il se pourrait qu’elle eût été une masse rocheuse », estime le maître Canseliet. Derrière notre combattant, on distingue un athanor sous lequel brûle une flamme.
Les frises qui s’étendent de chaque côté du porche, sur deux rangs superposés, comportent chacune 12 sujets ayant au travail alchimique.
En allant de l’extérieur vers l’intérieur, et en commençant par le rang supérieur de gauche, nous voyons, sur le premier bas-relief, l’image du corbeau, symbole de la couleur noire; alors que la femme qui tient le disque symbolise la putréfaction.
Le second bas-relief présente un caducée, symbole de Mercure. Le médaillon suivant représente une femme dont les longs cheveux sont semblables à des flammes. Elle presse sur sa poitrine le disque de la Salamandre « qui vit du feu et se nourrit du feu » ainsi que l’écrit Fulcanelli. C’est la calcination.
Le quatrième sujet: un personnage expose l’image du Bélier, symbole du principe métallique mâle. La femme qui vient ensuite montre l’oriflamme aux trois pennons, qui symbolise les trois Couleurs de l’Œuvre: le noir, le blanc et le rouge; elle personnifie l’Evolution.
Le sixième médaillon représente la Philosophie. Le disque que présente la femme porte une croix grecque: l’expression des quatre éléments. En haut du disque, à gauche, on distingue encore le soleil, mais à droite, la lune a été martelée: ce sont les deux principes métalliques, soufre et mercure.
Examinons maintenant le côté droit du porche:
Sur le premier bas-relief de cette série, une femme tient un disque sur lequel on distingue nettement l’Athanor, mais coupé dans le sens de la longueur, et qui montre ainsi l’intérieur de l’appareil, et la partie destinée à supporter le résultat de l’Œuvre. D’ailleurs, cette femme tient une pierre de la main droite qu’elle semble présenter comme le sujet du labeur philosophale.
Sur le médaillon suivant, une femme présente un disque sur lequel, avec un peu d’attention, on peut distinguer un griffon. Cet animal mythologique a la tête, la poitrine et les pattes de devant d’un aigle, tandis que le reste du corps est celui d’un lion. C’est l’union des deux principes opposés: c’est la première conjonction.
Puis, une femme nous désigne les matériaux nécessaires à la fabrication du vaisseau hermétique: elle tient à la main un morceau de bois; le chêne sculpté sur le disque qu’elle maintient contre elle indique, sans équivoque, l’essence de ce bois.
Passons au dixième sujet: une femme tient un écu sur lequel est sculpté un animal fabuleux, tenant à la fois du coq et du renard: c’est le symbole du Soufre rouge et incombustible.
Sur le motif suivant, un taureau est sculpté sur un disque. Cet animal étant consacré au Soleil, représente le Soufre, principe mâle.
Enfin, le dernier personnage est un chevalier recouvert de son armure. Il lève son épée d’une main, tandis que, de l’autre, il maintient un écusson sur lequel on voit distinctement un lion. Nous ne pouvons savoir aujourd’hui si cet animal était vert ou rouge; mais il est certain que le lion est le signe de l’or, tant alchimique que naturel.
Examinons à présent le rang inférieur du soubassement:
Deux des douze médaillons ont trop souffert des intempéries pour qu’il soit possible de les déchiffrer: ce sont le cinquième médaillon du côté gauche, et le onzième, à droite.
Auprès du contrefort, le premier sujet nous présente un cavalier désarçonné qui s’accroche à sa monture: le cheval est un symbole de rapidité et de légèreté; il figure la partie volatile qui se dégage du corps métallique grossier, représenté par le cavalier. C’est la Dissolution philosophique.
Au médaillon suivant, un personnage qui semble courir nous présente un miroir, tandis que, de l’autre main, il élève la corne d’abondance. Près de lui, on remarque l’Arbre de vie. Le rébus se déchiffre ainsi: le miroir figure le mercure grâce auquel le Sage découvre les secrets de la Nature, l’Arbre de vie en marque la vertu, et la corne d’abondance, le résultat.
Le troisième sujet nous montre un personnage découvrant une balance. C’est là l’indication que tout doit être pesé avec soin dans l’Œuvre alchimique. Puis, c’est un vieillard qui s’appuie sur un bloc de pierre; sa main gauche est glissée dans une sorte de manchon. Ce vieillard représente Saturne, emblème de la décomposition qui engendre la couleur noire.
Le sixième médaillon est un rappel du premier: un personnage -qui peut être l’Alchimiste- mains jointes, admire un sujet féminin reflété dans un miroir, miroir dans lequel « on voit toute la nature à découvert ».
A droite du porche, le médaillon nous montre un personnage qui va franchir, ébloui, le seuil du Palais Royal. A ses pieds -placés en équerre- est tombé le voile de la porte, qu’il vient d’arracher. Ce personnage était jadis peint en vert, tandis que l’intérieur du Palais était pourpre. Il s’agit là, selon l’expression poétique de Philalète, de « l’Entrée au Palais fermé du Roy ».
Puis, ensuite, nous voyons deux enfants qui se battent; l’un d’eux a laissé tomber un pot, l’autre une pierre. Ce sont les deux principes opposés, qui s’affrontent, le fixe et le volatil, ainsi que nous l’indique le sexe différent des jeunes gens.
Le bas-relief suivant présente une reine assise qui, d’un coup de pied, renverse un jeune homme agenouillé devant elle. Cette scène représente la dissolution du sujet vulgaire, pour obtenir le mercure commun des Philosophes.
Enfin, le dernier médaillon montre un guerrier dont l’épée est à terre; il regarde un bélier au pied d’un arbre qui porte trois énormes fruits, on aperçoit, dans cet arbre, la silhouette d’un oiseau. Deux interprétations peuvent être envisagées; la première: Jason conquiert la toison d’Or, et l’arbre est celui du Jardin des Hespérides, deux thèmes chers aux alchimistes. La seconde interprétation: il se pourrait que le Bélier indique la saison favorable pour commencer l’Œuvre alchimique, l’oiseau préciserait alors la nature volatile du composé, tandis que l’arbre serait l’arbre solaire duquel il faut extraire l’eau, selon le Cosmopolite.
Le portail gauche est traditionnellement appelé, Portail de la Vierge.
Au centre du tympan, on remarque une scène de la vie du Christ: Jésus ressuscitant Lazare; sur le sarcophage, 7 cercles sont sculptés: ils ont attiré l’attention de Fulcanelli qui les considère comme « les symboles des 7 métaux planétaires ». En regardant attentivement, on remarque que le cercle central est décoré d’une façon particulière, et les six autres se répètent deux à deux. D’après Fulcanelli, le cercle central symboliserait le Soleil, les deux cercles qui l’entourent représenteraient Mars et Vénus, puis Jupiter et Mercure, et les cercles des extrémités indiqueraient Saturne et la Lune.
A l’extrême gauche, le soubassement de ce portail présente également de curieux motifs: voici un chien et deux colombes, que les alchimistes appellent le Chien de Corascène et les Colombes de Diane. Puis un agneau; et un homme qui se retourne, hiéroglyphe de l’opération qui consiste à volatiliser le fixe et à fixer le volatil.
C’est dans cette partie du porche que se trouvait autrefois le corbeau sculpté dont parla Victor Hugo, et qui est un des symboles les plus importants de l’élaboration physique. En outre, une légende subsista longtemps: on racontait que Guillaume de Paris avait caché la pierre philosophale dans l’un des piliers de la nef; et le regard du corbeau, disait-on, indiquait la place exacte de la cachette.
A main gauche de ce même portail, on voit les 12 signes du Zodiaque, divisés en deux parties:
« En la première partie du côté droit, sont les signes du Verseur d’eau et des Poissons, qui sont hors d’œuvre, ce qu’il faut remarquer et noter.
Puis en œuvre sont le Bélier, le Taureau et les Jumeaux, au-dessus l’un de l’autre.
Et au-dessous des Jumeaux est le signe du Lion, quoique ce ne soit pas son rang, car il appartient à l’Ecrevisse (le Cancer)…
Au bas, un peu au-dessus du Verseau et vis-à-vis des Poissons, l’on voit un Dragon volant, qui semble regarder seulement et fixement: Aries, Taurus et Gemini, c’est-à-dire les trois signes du Printemps, qui sont le Bélier, le Taureau et les Jumeaux.
Ce dragon volant qui représente l’esprit universel, et qui regarde fixement les trois figures, semble nous dire que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels l’on peut recueillir fructueusement cette matière céleste, que l’on appelle lumière de vie…
En la seconde partie de ce Portail, au côté gauche et tout en haut, est le signe de l’Ecrevisse, à la place du Lion.
Sur la même ligne que l’Ecrevisse, sont la Vierge, la Balance et le Scorpion, tous quatre en œuvre. Et ensuite le Sagittaire et le Capricorne, qui sont hors d’œuvre.
On remarque aussi, sous ce porche, à gauche, un petit bas-relief très curieux: un enfant tombe d’une jarre, que tient un ange qui fait le geste de frapper cet enfant. Sans doute, s’agit-il là du « Massacre des Innocents », allégorie chère à Nicolas Flamel et, nous dit Canseliet : « qui cache un point secret de la pratique ».
A droite du portail central, le Portail de sainte Anne ne nous offre qu’un seul motif, mais d’un grand intérêt; car c’est au pilier central de ce porche qu’était accotée la statue de Saint Marcel.
Cette statue exprime la voie sèche, la voie la plus rapide pour réaliser l’Œuvre alchimique, et un alchimiste en donne l’indication:
« Vois, dit Grillot de Givry, sculpté sur le portail droit de Notre-Dame de Paris, l’évêque juché sur l’aludel où se sublime, enchaîné dans les limbes, le mercure philosophal. Il t’enseigne d’où provient le feu sacré; et le Chapitre laissant, par une tradition séculaire, cette porte fermée toute l’année, t’indique que c’est ici la voie non vulgaire, inconnue à la foule et réservée au petit nombre des élus de la Sapience. »
Cependant, ce pilier a été refait, et le socle original de la statue se trouve actuellement dans la tour Nord de la cathédrale. »


