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Série – Les cathédrales : Le sens et la direction de notre vie…

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Chefs-d’œuvre architecturaux et véritable héritage spirituel vivant

Par Stéphane Brosseau*

Au terme du dernier article sur la symbolique des églises, nous avons compris ce que représentaient les clochers et flèches, les nombres, les formes associées, les végétaux et les couleurs.A présent il nous reste à présenter les deux derniers éléments du langage symbolique, les meubles et les figures allégoriques (christiques, maléfiques ou humaines), avant de comprendre la pensée des bâtisseurs.

Revenons sur le sommet des clochers.

Les cloches nous appellent à la prière, mais nous ne répondons pas toujours, divertis par ce monde et ses préoccupations (les 2 fenêtres des abat-son marquent notre dualité), car nous sommes tels des griffons ou des chimères, à la fois de chair et d’esprit, attirés par nos sens (les griffes carnassières) mais conscients de notre vocation spirituelle (les ailes levées vers le Ciel), même si nous maitrisons ces sens (quand la queue du carnassier passe entre les jambes, ou est levée vers le ciel). Les cloches symbolisent aussi la présence de Dieu à nos côtés, qui vit nos joies et nos peines, et qui nous confie le temps pour multiplier nos talents (les horloges, les signes du Zodiaque illustrant les travaux des champs selon la saison, les cadrans solaires). Notre dualité est liée aussi à nos états changeants de l’âme, représentés parfois en console autour des églises (celui qui écoute, celui qui parle trop, qui calomnie, se laisse entrainer par ses sens, est fidèle, offre des sacrifices, est violent, paresseux etc.).

Les gargouilles servent certes à éloigner l’eau des façades, mais aussi, formes de démons maîtrisés par les hommes, elles effraient et chassent les esprits mauvais qui surgissent de terre la nuit venue et gardent ainsi le sanctuaire…

Des pots à feu peuvent orner les façades, clochers ou dômes (les Invalides, Beaumont-sur-Oise, Versailles) ; ils représentent la prière perpétuelle.

Le coq, symbole de l’Espérance du jour nouveau, qui fait face aux vents de ce monde (la girouette), comme l’Église, est le symbole païen des gaulois, qui craignaient que le jour suivant ne vienne pas ; or, premier à chanter au lever du jour, d’où l’espoir suscité, il fut christianisé. Ce coq est aussi symbole de notre nature humaine qui veut s’élever mais n’y parvient pas seule, rappel de nos petitesses et de nos lâchetés (reniement de St Pierre). Et, sommet de notre humanité, la croix glorieuse, instrument de mort, devenu symbole de la victoire de la Vie sur la Mort, illustre l’Espérance chrétienne et la transmet au-delà de nos contrées.

Finissons en sachant reconnaître les symboles divins ou trinitaires : le chiffre 3, une main à 3 doigts, le triangle (parfois avec l’œil omniscient), le trifron, la ménorah ;

mais aussi les symboles christiques : le pélican (qui nourrit son enfant en donnant ses entrailles), le phénix, qui renaît de ses cendres, le cerf, le dauphin, l’ancre, l’Agneau immolé, le Bon-pasteur, le chrisme, le poisson, le sacré-cœur, la vigne, le paon (dont la chair ne se putréfie pas) ;

et enfin les symboles de l’Esprit-Saint : colombe, langues de feu.

Entrons dans cette église, forêt de colonnes (le jardin d’Eden), arche retournée (la barque de l’Église, l’arche de Noé qui sauve du Déluge), croix au sol, homme couché (homme de Vitruve), crucifié glorieux

Après les marches, car on s’élève pour aller vers Dieu, il y a souvent le narthex, entrée carrée, qui symbolise la terre, cette glaise à partir de laquelle nous fument créés ; cela invite à l’humilité, d’où la sobriété fréquente des façades occidentales (Issoire, ND du Port à Clermont, Bordeaux etc.).

Les fonts baptismaux sont dans la Tradition symbolique à gauche en entrant, côté Nord associé au paganisme, car le baptême est le sacrement de l’initiation, au cours duquel le baptisé est plongé pour mourir par l’eau au péché originel et pour renaître par l’Esprit à la vie éternelle. Ils sont généralement ovoïdes (l’œuf : naissance de la vie), ou octogonaux (8, jour de la résurrection), et recouverts d’un disque de bois ou de métal (la plénitude et l’hostie), voire d’une demi-sphère (la voute céleste, au-delà de laquelle Dieu-le-Père se trouve).

En entrant, nous passons fréquemment sous une tribune d’orgue. Cet instrument symbolise le souffle de vie donné par Dieu à l’homme, et son chant de louange en retour. S’il est placé dans le transept ou en nid d’hirondelle dans la nef (cathédrales de Strasbourg ou Chartres), il fait le lien entre la prière de l’assemblée et celle du clergé, installé (dans les stalles du chœur). Cet échange et cette alternance entre clergé et assemblée sont aussi symbolisés par la tribune sur laquelle se plaçait la psallette, groupe d’environ 7 (voire plus) jeunes chanteurs et servants de messe.

Il y a fréquemment alors un « espace de la liberté », représenté sur deux colonnes ou deux angles par l’opposition entre le Bien (un ange, un sourire, une forme de Bible), et le Mal (une grimace, Satan, une sirène (sauf en pays romano-rhénan où elle est symbolise la fécondité), un roi avec jambes relevées). Cela signifie qu’en entrant dans ce monde, nous avons le choix entre le Bien et le Mal.

La nef, parfois ascendante (Pont-Croix, Chartres) représente notre chemin de vie terrestre (4 arches), d’humanité (6 arches), vers la vie éternelle (8 arches). Elle était souvent interrompue au premier tiers (rarement depuis le XVIIe siècle), par un labyrinthe, représentant les turpitudes de notre vie (Amiens, Chartres).

Alors, nous rencontrons la Parole de Dieu, par la chaire (et l’ambon), nous entrons dans le sanctuaire après une porte (ou une arche) de gloire. Cet espace était ceintd’un jubé (St Etienne-du-Mont à Paris, Albi) jusqu’au concile de Trente, puis d’une grille (Amiens, Reims), symbolisant paradoxalement la proximité de Dieu, en représentant le rideau du Temple déchiré à la mort du Christ par le tremblement de terre. Les lévites, les prêtres ne sont dès lors plus les seuls à être en contact avec Dieu, mais chacun l’est. Alors nous rencontrons Dieu par son eucharistie (l’autel, la table de communion), et pouvons atteindre la Jérusalem céleste, la vie éternelle (le vitrail axial).

Nous voyons ainsi le mouvement de l’église, qui représente notre vie, de la naissance à la re-naissance, la pâque de la mort, sous la bénédiction de Dieu (la voute, même symbole que la calotte de l’évêque, du pape, ou la kippa juive), pour cette Église constituée des pierres vivantes (formes de pierres des voutes) que nous sommes, car Dieu s’appuie sur nos forces et nos faiblesses (la charpente) pour la charité. En entrant dans une église, on vient donc du monde profane, voire païen, de la terre, de la mort, et, parce que l’on « croit » (verbe associé au narthex), on va vers la lumière, pour « savoir » (verbe associé au transept, fort de la Parole reçue), vers la Rencontre avec le Sacré, pour enfin « connaître » (verbe associé au chœur), afin d’aller vers la vie éternelle en union avec Dieu. Nous allons du « croire » au « savoir », et non l’inverse. Cette Rencontre avec Dieu peut se faire sur plusieurs niveaux, de la crypte au maître-autel en passant par la nef (Chartres).

Il y eut une modification profonde des mentalités, entre les années 1050 et 1250. Nos ancêtres sont passés d’une conception de la vie très pessimiste et millénariste (le monde étant voué à vieillir et mourir, il convenait de le mépriser ; le centre d’intérêt artistique était alors le Jugement dernier), à la prise de conscience que l’homme est sur la Terre pour vivre et la faire prospérer ; il n’a plus tant à craindre Dieu mais à le louer. Le Christ n’est plus uniquement vu comme un juge lointain et dur, mais comme aussi un homme. On est passé d’une religion austère et humble (le Roman) à une religion de la Joie (le Gothique).

Dieu est présent dans la lumière et la raison, les proportions les mieux choisies sont le miroir de sa perfection ; il est donc logique de vouloir à tout prix faire entrer la lumière dans un lieu de prière de plus en plus ouvert et élancé (théologie de la Lumière), qui doit être pétri de science, car la vision que l’on a de Dieu est bien plus rationnelle. En effet, le néoplatonisme (relecture du platonisme avec un prisme chrétien) affirme que la contemplation du beau permet d’accéder à la beauté divine par effet miroir et quela lumière est symbole d’absolu, donc de Dieu. Avec Platon, « l’Idée » préexiste ; saint Augustin en déduisit que la perfection est née de Dieu, voulue par Dieu, visible dans le cosmos ; il convenait donc d’essayer de l’atteindre, de s’y conformer : la conséquence architecturale en fut l’art roman, très signifiant, mais qui ne chercha jamais à dépasser la perfection donnée.

Avec l’art gothique, l’influence d’Aristote prédomina : pour lui, « la Matière » préexiste à « l’Idée »; il convenait donc de l’étudier, d’expérimenter, de tester pour progresser ; cette conception fut christianisée par saint Thomas d’Aquin, et fut déclinée dans les universités, en particulier la Sorbonne. Dès lors, les bâtisseurs expérimentèrent de nouvelles techniques, de nouvelles formes, pour repousser les limites par une méthode empirique, pour s’élever le plus haut possible, pour laisser entrer la lumière (théologie de la Lumière de Suger), pour s’approcher de Dieu ; ainsi, la flèche de la cathédrale de Strasbourg fut le plus haut bâtiment construit jusqu’en 1889, date d’édification de la tour Eiffel. Le tracé régulateur de l’édifice déplaça son centre tout naturellement du chœur de l’église dans le Roman, là où Dieu est, au transept dans le Gothique,lieu de sa Rencontre avec l’homme.

Outre les évolutions philosophiques et techniques, un événement eut une grande importance dans l’Histoire de l’art, car il fit prendre conscience de la nécessité d’insister sur l’humanité charnelle de Jésus, et de sa mère, la Vierge-Marie. En mars 1244, ce fut la chute du château de Montségur, qui marqua la fin de l’hérésie cathare ; en fait, on devrait dire des « albigeois » ou des « bons hommes » . Ceux qui étaient qualifiés de « purs » ou « parfaits » avaient dévié le message de l’Évangile et rejetaient tout ce qui était lié à la chair et à la matière ; cela allait jusqu’à l’eau du baptême, la Croix, l’hostie et, par conséquent ils niaient donc que Dieu se soit incarné). A partir de ce milieu du XIIIe siècle donc, en réaction, l’Église découvrit la beauté et la réalité du corps humain : on représenta ainsi le Christ INCARNÉ, en chair et en os, souffrant sur une croix (les gisants, le retable d’Issenheim); Marie, sa mère, fut quant à elle représentée avec les traits de plus en plus féminins, réalistes, avec des seins et des hanches, et plus seulement en majesté sur une cathèdre comme au XIIe siècle (pensons à la statue de Notre-Dame de Paris, XIVe s.).

Nous avons vu l’essentiel des bases de la symbologie et pouvons à présent découvrir des cathédrales remarquables dans les prochains articles, vues sous cet angle symbolique.

Stéphane Brosseau


[1]   « Ecoute la Pierre », TheBookedition (par Internet),

« Chartres, quintessence de la symbolique », Edilivre (Internet ou librairie),

« Symbolique de l’église Notre-Dame-de-L’Assomption d’Auvers-sur-Oise », Edilivre (Internet ou librairie),

« Symbolique de l’église de Notre-Dame de Lourdes de La Baule », Edilivre  (Internet uniquement)

*Biographie de Stéphane Brosseau

Stéphane BROSSEAU lors d’une intervention sur CNews

Ancien directeur du sanctuaire de la cathédrale de Chartres, Stéphane BROSSEAU s’attache à montrer la cohérence des bâtiments cultuels, la profondeur et l’intemporalité des messages que les bâtisseurs nous ont transmis dans leur symbolique (orientations, matériaux, formes, couleurs, nombres etc.).

Il est sociétaire de l’Association des Ecrivains Catholiques de Langue Française, auteur de 24 autres ouvrages (encyclopédie sur les 231 cathédrales françaises, essais, poésie, guides d’Histoire de l’art, romans historiques etc.) aux éditions CoolLibri, Nouveaux Mondes, Economica, TheBookedition et Edilivre ; il est aussi conférencier aux journées du patrimoine ou dans des salons littéraires, et formateur en symbologie.

Saint-Cyrien de formation, historien, musicien, breveté de l’Ecole de guerre, il a présidé, dans le cadre des fonctions qu’il occupait jusqu’à l’été 2018, la commission scientifique d’historiens et musicologues, chargée du recensement des œuvres de musique militaire.

Il intervient sur les médias (Cnews « En quête d’esprit » sur ND de Paris et Chartres, L’Homme Nouveau, France-Catholique, Radio Espérance, L’Écho Républicain, prononce de nombreuses conférences, fréquente les salons littéraires.

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