La scène se déroulera le 15 octobre dans la cathédrale Saint-Ignace de Shanghai, Joseph Wu Jianlin, choisi et imposé par les autorités communistes, sera ordonné évêque auxiliaire. Ni le pape, ni la Secrétairerie d’État, ni même la nonciature n’ont été consultés. Rome, une fois encore, apprend la nouvelle par les communiqués du régime.Cette ordination illégitime constitue un nouvel épisode humiliant dans l’histoire tumultueuse des relations entre la Chine et le Vatican. Malgré les promesses de dialogue, l’accord secret signé en 2018 n’a jamais produit que confusion, divisions et soumissions. En sept ans, moins d’une dizaine d’évêques ont été nommés, la plupart selon la volonté de Pékin. Le 29 avril dernier, à peine quelques jours après la mort du pape François, la Chine a profité du vide du Siège apostolique pour imposer deux nouveaux évêques. Un geste d’une froide insolence, le Parti communiste s’arroge le droit de nommer les pasteurs de l’Église en pleine sede vacante.
Cet épisode est le dernier d’une longue série de tensions entre l’Église et le pouvoir chinois. L’accord de 2018, voulu comme un pont entre la communauté officielle et l’Église clandestine restée fidèle à Rome, devait mettre fin à des décennies de division. Mais sept ans plus tard, le résultat est tout autre. De nombreuses paroisses ont été contraintes d’arborer des drapeaux rouges, les crucifix ont été retirés des sanctuaires, et les prêtres fidèles au Saint-Siège sont toujours surveillés ou emprisonnés. La promesse d’une coexistence pacifique s’est muée en contrôle idéologique.Selon plusieurs organisations chrétiennes, plus de 1 500 églises ont été fermées ou « sinisées » ces cinq dernières années. Des séminaristes ont été exclus pour avoir refusé de signer des déclarations d’allégeance au Parti.
Cette politique vise à réduire l’Église à un instrument de propagande, une foi sans Rome, une obéissance sans liberté.
Face à ce nouveau bras de fer, la réaction romaine se résume à un silence embarrassé. Le cardinal Pietro Parolin, principal artisan de l’accord, persiste à parler de « patience » et de « confiance ». Des mots qui sonnent creux alors que le gouvernement chinois piétine ouvertement l’autorité du successeur de Pierre. Le directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, a d’ailleurs choisi de ne pas commenter.Plusieurs voix se lèvent pourtant dans l’Église pour dénoncer cette passivité. Le cardinal Joseph Zen, évêque émérite de Hong Kong, n’a cessé d’alerter sur la naïveté du Vatican, « Pékin n’a jamais respecté un seul engagement pris », déclarait-il déjà en 2022. Pour lui, l’accord secret n’est qu’un piège politique « immoral », qui met en danger la minorité catholique demeurée loyale à Rome. D’autres prélats, plus discrets, partagent en privé le même constat, l’heure est venue de repenser une diplomatie qui, sous couvert de prudence, confine désormais à la capitulation.
Lire aussi
Le pape Léon XIV hérite ainsi d’un dossier explosif, symbole de l’échec d’une stratégie conciliante. Interrogé récemment sur la Chine, le Saint-Père a reconnu qu’il cherchait encore la bonne approche, tout en exprimant le désir de comprendre et de respecter la culture chinoise. « Je suis en dialogue constant avec différentes personnes chinoises, des deux côtés, pour mieux comprendre comment l’Église peut poursuivre sa mission », a-t-il confié. Mais Pékin, lui, ne comprend qu’un langage, celui du contrôle total.Le nouveau pontificat s’ouvre donc sous le signe d’une épreuve de vérité. Léon XIV, qui insiste depuis son élection sur la fidélité au Christ avant toute diplomatie humaine, devra choisir entre la continuité prudente de ses prédécesseurs et une rupture prophétique. Son silence, pour l’instant, ressemble à une méditation avant le combat.
Ce nouvel épisode prend une résonance particulière à Shanghai, diocèse emblématique du martyre catholique sous Mao. C’est là qu’en 1955, l’évêque Ignace Kung Pinmei fut arrêté et emprisonné pendant trente ans pour avoir refusé de se soumettre à l’Association patriotique. Jean-Paul II, admiratif de sa fidélité, le créa cardinal in pectore en 1979. Son exemple résonne encore aujourd’hui, alors que le Parti tente une fois de plus de transformer l’Église en simple instrument du régime.Après la nomination unilatérale de Monseigneur Shen Bin en 2023, finalement reconnue par le Vatican après trois mois d’hésitation, la nouvelle ordination de Wu Jianlin confirme la stratégie de Pékin, imposer les évêques puis forcer Rome à les avaliser. Chaque concession affaiblit un peu plus la crédibilité de la diplomatie vaticane et nourrit la frustration des catholiques chinois, tiraillés entre obéissance et fidélité.
Mais ce qui se joue à Shanghai dépasse la seule question chinoise. C’est le rapport entre l’Église et le pouvoir temporel qui se redessine. Dans un monde où la foi est souvent reléguée au silence, le courage de Rome face à Pékin sera un test décisif pour l’avenir de la liberté religieuse. De la réponse du pape Léon XIV dépendra peut-être la survie même d’une Église vraiment catholique en Chine, libre, universelle et fidèle à Pierre, malgré la peur et la persécution.