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[ Sinaï ] Le monastère Sainte-Catherine en pleine tempête : l’abbé Damianos se dit « otage »

Monastère Sainte-Catherine - DR
Monastère Sainte-Catherine - DR
La crise qui secoue le monastère Sainte-Catherine du mont Sinaï, haut lieu spirituel et patrimoine mondial, atteint son paroxysme. L’abbé (higoumène), l’archevêque Damianos, se déclare « otage » dans l’enceinte monastique, tandis que la Fraternité du Sinaï affirme l’avoir révoqué pour de graves fautes

Fondé au VIᵉ siècle par l’empereur Justinien, le monastère Sainte-Catherine est l’un des plus anciens encore en activité. Situé au pied du mont Sinaï, là où la tradition biblique situe la rencontre de Moïse avec Dieu, il abrite le Buisson ardent et une bibliothèque inestimable, riche de manuscrits grecs, arabes, syriaques et éthiopiens parmi les plus anciens du christianisme. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce sanctuaire attire pèlerins, chercheurs et visiteurs du monde entier.Aujourd’hui pourtant, le lieu de prière se retrouve au cœur d’une crise institutionnelle et spirituelle qui menace son équilibre séculaire.

Dans une déclaration du 29 août, l’archevêque Damianos, abbé du monastère depuis plus de trente ans, a dénoncé sa situation dramatique. « Après soixante ans au monastère, je me sens prisonnier, otage, presque enfermé, sans accès à mes médicaments, à la nourriture ni aux vêtements », a-t-il déclaré. Selon lui, la police locale, en lien avec un moine dissident et un homme d’affaires grec armé, bloquerait toute entrée de biens essentiels malgré l’appui de l’ambassadeur de Grèce.

Damianos en appelle directement au gouvernement égyptien afin que l’accès vital aux vivres et médicaments soit garanti. Il présente son combat comme celui de religieux « libres mais assiégés », livrant la « dernière bataille pour l’avenir du monastère ».

La Fraternité du Sinaï, qui se présente comme l’autorité suprême de gouvernement du monastère, affirme avoir révoqué Damianos dès le mois de juillet. Elle l’accuse d’absences prolongées au profit de séjours à Athènes, d’avoir paralysé l’administration communautaire, d’avoir provoqué le scandale par la présence d’une femme proche dans sa résidence, d’irrégularités financières et patrimoniales, de ventes immobilières non autorisées et de cession de droits sur des manuscrits palimpsestes à l’université UCLA en Californie. Elle lui reproche également des démarches politiques en Grèce pour imposer un nouveau statut du monastère sans l’approbation de la Fraternité.Selon elle, Damianos aurait franchi un pas supplémentaire en reprenant le contrôle du monastère par la force le 26 août, avec l’aide de gardes rémunérés, rompant ainsi la légalité canonique.

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Face à ces accusations, Damianos a annoncé son intention de saisir la justice grecque. Il estime que le « mémorandum » des moines expulsés contient des calomnies qui doivent être examinées devant les tribunaux. Il promet que toute indemnisation sera versée au bénéfice du monastère et présente ses excuses au peuple fidèle pour le scandale provoqué.« Nous sommes au cœur d’un combat spirituel et juridique », confie-t-il, en assurant que la vérité sera rétablie.

Devant l’ampleur de la crise, Athènes a réagi. Le secrétaire général grec aux affaires religieuses, Giorgos Kalantzis, est arrivé au Sinaï le 1er septembre, mandaté par de hauts responsables gouvernementaux, pour tenter une médiation. La Grèce, liée historiquement et spirituellement à ce monastère, ne peut rester spectatrice.Mais la résolution dépend aussi du gouvernement égyptien, qui détient l’autorité territoriale et sécuritaire, et peut seul garantir la libre circulation des personnes et des biens. Le patriarcat de Jérusalem, auquel le monastère est canoniquement rattaché, pourrait également être amené à trancher.La crise du Sinaï dépasse largement une querelle interne. Elle met en jeu la survie spirituelle d’un haut lieu du christianisme oriental, la protection patrimoniale de manuscrits inestimables, la légitimité canonique de la gouvernance du monastère et la stabilité diplomatique entre Athènes et Le Caire.

L’avenir dira si la médiation grecque permettra d’apaiser les tensions ou si le conflit judiciaire et canonique s’envenimera davantage. Une chose est certaine : le monastère Sainte-Catherine, gardien du Buisson ardent, traverse l’une des plus graves épreuves de son histoire moderne.

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