Par Philippe Marie
Peut-on affaiblir la fête de Pâques sans y toucher directement ? En proposant de supprimer le lundi de Pâques comme jour férié, le Premier ministre François Bayrou prétend ne rien remettre en cause, puisque la solennité pascale tombe un dimanche. Mais cet argument est trompeur. Car si l’on ne touche pas à la date, on en réduit la portée. En retirant le temps qui permet à la fête de s’étendre, de rayonner, de se vivre pleinement, on en altère silencieusement la signification. Ce n’est pas une attaque frontale, c’est une érosion déguisée.
Dans l’Église catholique, le lundi de Pâques est également connu sous le nom de lundi de l’Ange, en référence à un passage de l’Évangile selon saint Matthieu (28, 1-15). Le lundi de Pâques n’est pas un simple jour de repos post-festif. Il est le premier jour ouvré de l’Octave pascale, cette semaine liturgique où l’Église prolonge, jour après jour, la joie de la Résurrection du Christ. Il est, dans le rythme chrétien du temps, ce qui empêche la fête de se refermer trop vite. Il donne à Pâques l’ampleur qu’elle mérite.
Sa suppression, même au nom d’une prétendue efficacité économique, traduit une incompréhension de la dynamique chrétienne du calendrier, la Résurrection n’est pas un point fixe dans le temps, mais un élan, une lumière qui dure.Le calendrier des jours fériés n’est pas un simple outil administratif, il est le reflet d’une mémoire partagée. Chaque jour chômé inscrit dans la loi dit quelque chose de ce que la nation estime digne d’être honoré collectivement.
En retirant le lundi de Pâques, l’État envoie un message silencieux mais clair, ce moment central de la foi chrétienne ne mérite plus d’espace dans la vie sociale. Ce n’est pas seulement une décision comptable, c’est un acte culturel.
Et dans une époque où l’on parle sans cesse de fracture mémorielle et d’identité, affaiblir un repère aussi ancien, c’est accentuer la discontinuité entre le passé et le présent.
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Que cette initiative vienne de François Bayrou n’est pas anodin. L’homme a toujours revendiqué sa foi catholique et son attachement aux racines chrétiennes de la France. Il fut, à ce titre, l’un des rares responsables politiques à défendre publiquement l’idée d’une culture chrétienne commune. Le voir aujourd’hui proposer d’effacer un jour férié aussi symbolique interroge, le souci de redressement budgétaire justifie-t-il de rompre avec ce qu’on prétend encore défendre ?
Certes, l’Octave pascale survivra dans le calendrier liturgique. Mais dans le calendrier civil, celui qui façonne la vie collective, le message envoyé est clair, la fête chrétienne peut être écourtée, comprimée, réduite à sa portion congrue. Une société qui rogne ainsi sur ce qu’elle a reçu depuis des siècles ne fait pas que gagner un jour de travail. Elle organise son propre détachement culturel.Ce n’est jamais par hasard que l’on propose de supprimer un jour férié chrétien. C’est toujours au nom de la modernité, de l’adaptation, de la rationalisation. Mais derrière ces mots se cache une réalité plus brutale, la religion n’a plus sa place dans l’espace commun. Et l’on préfère grignoter ses traces plutôt que d’assumer ce choix.
Le lundi de Pâques ne vaut pas seulement par tradition. Il a un sens, une fonction, une charge symbolique. L’effacer, c’est amputer Pâques de son souffle. Une décision peut-être marginale sur le plan comptable, mais lourde de conséquences pour l’âme d’un pays.