Série- LES GRANDS DOSSIERS ET SECRETS DU VATICAN
extrait de Bernard Lecomte.
Et voilà, ô surprise, que le gouvernement français s’en mêle. A contretemps.
Il y a belle lurette que les puissances européennes ont décidé de ne pas intervenir
dans les affaires du pape, considéré comme quantité négligeable. Or, à Paris, le
comte Napoléon Daru, nommé ministre français des Affaires étrangères en
janvier 1870, se passionne pour le concile. Lui, catholique, redoute la déclaration
sur l’infaillibilité pontificale, convaincu qu’elle donnera surtout des arguments
aux ennemis de la religion. Le 20 février, il écrit au secrétaire d’Etat, le cardinal
Antonelli, pour le mettre en garde contre la tentation infaillibiliste.
Le 9 mars, le marquis de Banneville, ambassadeur de France à Rome, est prié d’intervenir à
plusieurs reprises pour exiger soudain qu’un représentant officiel de l’Empire
soit accrédité auprès du concile ! Déjà les noms d’Adolphe Thiers et d’Albert de
Broglie circulent dans les journaux…
A la Curie, on est perplexe. Antonelli sait que Daru n’est pas soutenu par
Napoléon III, ni même, sans doute, par son Premier ministre Emile Ollivier.
Mais ce dossier est un champ de mines : le ministre ne laisse-t-il pas entendre
qu’il pourrait retirer la garnison française qui stationne à Civitavecchia ? Jusqu’à
quel point l’empereur n’en profiterait il pas pour se dégager de cette obligation
qui lui pèse, surtout à l’époque où la Prusse, son ennemi juré, se fait de plus en
plus menaçante ?
Le 23 mars, Antonelli fait recevoir Daru par le pontife en personne. Le
ministre, accompagné de son ambassadeur, se rend à l’audience en voiture de
gala et en uniforme de cérémonie. Le long des marches du palais apostolique, les
gardes suisses lui rendent les honneurs. Il est conduit auprès du pape par le
majordome secret de Sa Sainteté, qui le reçoit revêtu du camail blanc avec
l’étole, sur une estrade surmontée d’un dais : Daru – fils de Pierre Daru, comte
d’Empire, et filleul de Napoléon Ier – a beau être habitué aux honneurs, il est très
impressionné.
Le même jour, le cardinal Antonelli reçoit en grande pompe les
ambassadeurs des autres puissances « catholiques » – Autriche, Bavière,
Espagne, Portugal – qui lui transmettent les inquiétudes de leurs Etats. Daru, de
Paris, a sensibilisé ses collègues européens sur le risque que comporte cette
affaire d’infaillibilité : il ne craint pas que les dirigeants politiques redeviennent
les affidés du pape, bien sûr, mais que les évêques locaux, obéissant à un pape
« infaillible », ne constituent un Etat dans l’Etat, refusant d’obéir aux lois civiles,
revenant sur les concordats en vigueur…
La tactique d’Antonelli est de gagner du temps. Il n’a pas tort. A quelques
jours de Pâques, le 18 avril, le Vatican reçoit deux télégrammes en moins de
vingt-quatre heures. Le premier est inquiétant : « Daru brandit la menace d’une
rupture avec Rome. » Le second annonce un remaniement ministériel : « Daru se
retire, Ollivier remplace, concile libre. » Fin de l’alerte. Tout rentre dans l’ordre.