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Un pape inaudible

[EXTRAIT LES DERNIERS SECRETS DU VATICAN] – auteur Bernard Lecomte


Ecarté, le pape ! Pourtant, si quelqu’un a défendu la paix dès le premier jour
contre la quasi-totalité des dirigeants européens, c’est bien Benoît XV. Au point
d’être incompris de tous ceux qui, dans chaque camp, attendaient de lui une
position tranchée. Quand le pape à peine élu, le 8 septembre 1914, adresse « aux
catholiques du monde entier » un appel pathétique face à l’Europe qui « ruisselle
de sang chrétien », il prêche dans le désert : partout les nations, unies ou réunies,
sont tendues vers la guerre. Y compris les catholiques. Le discours neutre n’est
entendu de personne, il est même suspect.
Ainsi, dans les pays victimes de l’invasion allemande, on ne comprend pas
que le pontife ne condamne ni la brutale violation du droit international dont le
Reich s’est rendu coupable, ni les destructions et les massacres qui ont jalonné
l’avancée des troupes allemandes en Belgique. Le pape ne trouve donc rien à
dire quand on brûle des monastères, quand on assassine des prêtres, quand on
viole des religieuses, quand on bombarde la cathédrale de Reims ? Plus
largement, l’Eglise ne fait donc pas la différence entre un pays agresseur et un
pays agressé ?
Le 1er novembre 1915, Benoît XV publie l’encyclique Ad beatissimi où il
fustige avec émotion et gravité le « carnage » et la « démence humaine »,
toujours sans prendre parti entre les belligérants. Il confirme cette neutralité
obstinée dans un discours prononcé devant le consistoire du 22 janvier 1915, où
il condamne la « légitime défense » avancée indûment par l’Allemagne, mais
aussi la guerre « juste » que prétendent livrer les Alliés :
— Nous réprouvons grandement toute injustice de quelque côté qu’elle
puisse avoir été commise. Mais impliquer l’autorité pontificale dans les
différends propres aux belligérants ne serait certainement ni convenable ni
utile…
Le pape est parfaitement informé, bien sûr, des atrocités commises par les
troupes allemandes. Il n’ignore pas que celles-ci ont gravement attenté au droit
et à la justice en envahissant la Belgique. Il entend parfaitement, par évêques
interposés, la plainte des catholiques belges, anglais et français, qui ne
comprennent pas les silences et les atermoiements du chef de l’Eglise. Il lit dans
le journal La Croix la douloureuse injonction signée de l’écrivain B. Sienne :
« Le monde attendait la parole du pape : pourquoi le pape n’a-t-il pas parlé ? »
Mais il maintient son cap.
En 1916, la coupe déborde. Le torpillage du paquebot britannique Lusitania
en mai 1915 (plus de mille victimes) et les déportations de populations civiles
dans le nord de la France sont autant d’exactions allemandes obstinément
ignorées par le pape. Ce silence assourdissant provoque une nouvelle vague de
critiques virulentes, y compris quelques lettres bien senties de la part de
responsables ecclésiastiques aussi importants que les cardinaux Mercier
(Belgique), Gasquet (Angleterre) et Amette (France). « Il y a des moments, écrit
le cardinal anglais, où le silence équivaut à donner un accord tacite à l’infraction
de la loi. » « Les catholiques et le clergé français sont peinés, désolés et
découragés », avertit l’archevêque de Paris.
Le 16 août, Benoît XV réunit une sorte de comité de crise composé des
cardinaux Gasparri, Merry del Val, Giustini, De Lai et Vanutelli. Ordre du jour :
faut-il réagir, oui ou non, aux déportations de populations civiles par les
Allemands dans le Nord ? Première surprise : le rapport qui sert de document de
travail a été rédigé par le cardinal Hartmann, archevêque de Cologne et
« chapelain » du haut quartier général allemand. Seconde surprise : les
conseillers du pape, à l’unanimité, invitent le Saint-Père à « ne prendre parti ni
pour les uns ni pour les autres » (Vanutelli), estimant que dans cette triste affaire,
« tous sont un peu responsables, et pas seulement l’Allemagne » (Merry del
Val) !
Certes, les cardinaux se déterminent en fonction de l’intérêt de l’Eglise, et
tout particulièrement du Saint-Siège, davantage que par sympathie pour les
forces des empires centraux. La neutralité de l’Eglise est défendue et justifiée par
la garde rapprochée du Saint-Père. Mais c’est un fait : pendant toutes ces années,
la diplomatie vaticane ne parvient pas à se débarrasser de son image
proallemande.

Il n’est pas étonnant qu’on entende un jour Clemenceau traiter,
avec colère, Benoît XV de « pape boche ». Il est vrai que le général Ludendorff,
commandant en chef des armées allemandes, le qualifiera de « pape français » !

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