La célébration qui devait rassembler des dizaines de milliers de fidèles à Caracas pour honorer le nouveau saint vénézuélien, le « médecin des pauvres » José Gregorio Hernández, a été brutalement annulée. L’Église catholique a invoqué des raisons logistiques et de sécurité, mais l’événement intervient dans un climat de tension croissante entre le régime de Nicolás Maduro et la hiérarchie ecclésiastique.L’archidiocèse de Caracas a annoncé mercredi que la grande messe prévue dans le stade de baseball de la capitale, d’une capacité de près de 40 000 personnes, ne pourrait avoir lieu. Les demandes de participation avaient largement dépassé les capacités du lieu, a précisé le père Armelim De Sousa. « C’est une question de sécurité », a-t-il expliqué, soulignant qu’il aurait fallu « trois stades » pour accueillir tous les fidèles.
L’Église a donc choisi de remplacer cette cérémonie nationale par des messes dans chaque paroisse du pays. Le Venezuela célèbre en effet la canonisation de deux de ses enfants, José Gregorio Hernández, figure immensément populaire, et la religieuse Carmen Rendiles. Le pape Léon XIV avait présidé la cérémonie de canonisation au Vatican le week-end précédent.Mais derrière cette annulation se profile une querelle plus profonde. La veille de la canonisation, le cardinal Baltazar Porras, ancien archevêque de Caracas et critique constant du chavisme, avait dénoncé depuis Rome la situation « moralement inacceptable » du Venezuela. Il évoquait « la diminution de la liberté citoyenne, la croissance de la pauvreté et la militarisation du pouvoir ». Il avait aussi réclamé la libération des prisonniers politiques, un appel repris par la Conférence épiscopale vénézuélienne.
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Des paroles qui ont aussitôt déclenché la colère du président Maduro. « Baltazar Porras a consacré sa vie à conspirer contre José Gregorio Hernández », a-t-il accusé, avant d’ajouter : « Il a été vaincu par Dieu, par le peuple. » Ces attaques illustrent une fois de plus la tension historique entre le pouvoir chaviste et l’Église catholique, remontant à l’ère de Hugo Chávez.
Si l’Eglise au Vénézuela évite les confrontations directes, il demeure l’une des rares institutions à oser dénoncer les abus du régime. La voix du cardinal Porras, respectée dans tout le pays, résonne particulièrement au moment où les fidèles voient en José Gregorio Hernández un symbole de charité et de résistance morale face à la misère et à la corruption.En annulant cette grande messe, l’Église a sans doute voulu éviter tout débordement, mais l’épisode souligne à quel point la foi du peuple vénézuélien reste une force que le pouvoir ne contrôle pas. Dans un pays marqué par la pénurie et l’exil, la figure du nouveau saint apparaît comme un rappel lumineux : la charité, la dignité et la liberté ne se négocient pas.
Au-delà de cet épisode, la vie de l’Église au Venezuela est devenue un véritable chemin de croix. Depuis plusieurs années, les menaces contre les évêques et la surveillance constante des institutions catholiques témoignent d’un climat de persécution silencieuse. Le régime de Maduro considère souvent l’Église comme la dernière voix libre du pays, et cherche à la réduire au silence.
La mort récente de Monseigneur Moronta, évêque émérite de San Cristóbal, a rappelé la profondeur de cette fracture : ce prélat, défenseur des pauvres et critique du pouvoir, était devenu un symbole de résistance spirituelle. Sa disparition a été décrite comme « un moment de vérité pour Nicolás Maduro », révélant la peur du régime face à une autorité morale que ni la censure ni la répression ne parviennent à éteindre.Dans ce contexte, la foi demeure le refuge d’un peuple éprouvé. L’exemple de María Corina Machado, récemment couronnée du Prix Nobel de la paix 2025, l’illustre avec force. Lors de sa dernière apparition publique à Caracas, bénie par un prêtre et une religieuse sous les acclamations de la foule, elle a rappelé que sa lutte n’est pas seulement politique mais spirituelle : « Ce que nous vivons n’est pas seulement une crise politique, c’est une confrontation entre le bien et le mal. » Croyante fervente, issue d’une famille catholique, Machado a toujours enraciné son engagement dans la foi et la dignité humaine. Arrêtée, menacée, contrainte à la clandestinité, elle continue d’incarner une espérance chrétienne pour un pays en quête de liberté. Sous les croix levées et les bénédictions du clergé, son combat rejoint celui d’une Église persécutée, mais vivante : une Église qui, au cœur de la nuit, continue de faire briller la lumière du Christ.