Par Philippe Marie
Diffusée en direct sur KTO le vendredi 12 décembre , la veillée organisée à l’église Saint-Roch à Paris par le collectif Cité Céleste, composé de jeunes des quartiers populaires d’Île-de-France, se voulait un événement spirituel fort. Pour la troisième année consécutive, cette initiative était présentée comme une expérience résolument catholique, profondément populaire et pleinement ecclésiale, destinée à répondre aux défis posés par certaines Églises pentecôtistes dans les quartiers.
🚨FLASH I "Ils vont détruire l’Église avec ça": l’église Saint-Roch à Paris transformée en scène de louange identitaire
— Tribune Chrétienne (@tribuchretienne) December 13, 2025
🔴⚡️« Ils vont détruire l’Église avec ça » cette phrase du @Card_R_Sarah prend tout son sens quand dans ce genre de manifestation, l’église devient une scène… pic.twitter.com/yavouYmIaL
Enseignements, témoignages et louange ont rythmé cette nuit de prière, retransmise en direct par la chaîne catholique. Le discours est maîtrisé, le vocabulaire soigneusement calibré, et l’intention affichée paraît irréprochable. Mais l’erreur est ailleurs, plus profonde. Elle consiste à vouloir contrer certains mouvements hors de l’Église en adoptant leurs codes, leurs ressorts émotionnels et leurs mécanismes de séduction. Comme si le témoignage chrétien devait désormais rivaliser avec d’autres expressions religieuses sur le terrain du bruit, de l’émotion et de la performance.
Or le vrai témoignage n’est pas là. Il ne s’agit pas de séduire les jeunes à la façon du monde, mais de les convertir à la façon de du Christ
Le cardinal Robert Sarah n’a cessé de le dénoncer avec force. Le Christ a-t-il dansé pour annoncer le Royaume ? Marie a-t-elle dansé au pied de la Croix ? L’Évangile ne s’est jamais transmis par l’imitation des codes dominants, mais par la rupture, par la vérité, par l’appel radical à la conversion. En voulant attirer en reproduisant ce qui fait le succès d’autres mouvements, l’Église prend le risque de ne plus annoncer ce qu’elle seule peut donner.
Le cardinal Sarah dénonçant les dérives liturgiques africaines
🌍 ✝️ "Ils vont tuer l'Eglise avec ça": Le cardinal Robert Sarah dénonce les dérives liturgiques en Afrique
— Tribune Chrétienne (@tribuchretienne) November 22, 2025
⚡️Ce n’est pas la vitalité africaine qui s’exprime, mais une confusion entre l’expression culturelle et le langage sacré de la liturgie@Card_R_Sarah
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Ce qui se joue ici n’est ni une question de génération, ni une question sociale, ni une question culturelle. Ce n’est pas davantage une question de couleur de peau ou d’origine africaine. Le prélat guinéen l’a rappelé avec force. Le problème n’est jamais un peuple, encore moins une culture, mais la perte du sens du sacré et de l’humilité devant Dieu. Réduire ce débat à des considérations ethniques serait une erreur grave et profondément injuste.
Lors de notre entretien à Rome en octobre 2025, le cardinal Robert Sarah a exprimé sa douleur face à certaines pratiques observées dans des célébrations africaines. En découvrant des images de prêtres et parfois d’évêques dansant devant l’autel, il a confié avec gravité que ce n’était pas de la musique sacrée et qu’ils allaient « détruire l’Église avec cela ». Il a surtout souligné que ce n’était pas la vitalité africaine qui s’exprimait, mais une confusion entre l’expression culturelle et le langage sacré de la foi chrétienne.
Ce diagnostic dépasse largement le cadre africain. Il trouve aujourd’hui un écho troublant dans ce que l’on observe à l’église Saint-Roch. Les codes émotionnels empruntés au monde évangélique, les formes de louange démonstratives, la place envahissante de l’expression corporelle et sonore traduisent la même confusion, celle qui transforme l’église en lieu d’expression communautaire, alors qu’elle est d’abord la maison de Dieu.On objectera que la louange peut prendre différentes formes, que chacun peut s’exprimer selon sa sensibilité et que Dieu accueille toutes les prières. Mais cette objection repose sur une confusion fondamentale. La louange devient alors un prétexte pour adopter les codes et les mêmes mécanismes que les églises évangéliques dont on connaît beaucoup les dérives, dont certaines sont sectaires.
La Parole de Dieu ne se vit pas dans le bruit, elle s’entend dans le silence
Une question plus grave encore doit être posée, et elle concerne directement la responsabilité des prêtres et des évêques présents. Pourquoi mentir à ces jeunes en leur faisant croire que ramener la présence de Dieu à sa propre vibration, à son émotion ou à son ressenti serait en soi une véritable rencontre avec le Seigneur ?
Pourquoi laisser s’installer l’idée que Dieu se manifeste d’abord dans l’intensité sonore et l’exaltation collective, alors que toute la tradition chrétienne enseigne l’inverse ? Pourquoi n’osent-ils pas dire avec courage que le silence, l’intériorité et la transmission reçue ne sont pas le fruit d’une invention humaine, mais d’un héritage spirituel reçu du Seigneur lui-même ?
Enfermer ces jeunes dans une identité spirituelle prétendument spécifique, sous prétexte qu’ils ne seraient pas capables de prier autrement que par l’émotion, revient à les enfermer dans une vision réductrice et profondément injuste.
Cela n’a rien à voir avec l’origine, la culture ou la couleur de peau, mais tout à voir avec une pastorale qui abdique sa mission de conversion et de vérité.
Apprendre à prier, c’est apprendre l’humilité. C’est accepter de se laisser former par ce qui nous dépasse. Ce n’est pas parce que l’on est jeune, ni parce que l’on vient des quartiers populaires, que l’on devrait être dispensé de cette exigence. Refuser de transmettre cette profondeur sous prétexte d’efficacité ou d’attractivité revient à priver ces jeunes du cœur même de la foi chrétienne.
Les concerts improvisés, l’exaltation collective et la recherche d’une émotion partagée ont leur logique propre. Ils correspondent aux grandes assemblées évangéliques, qui expriment leur foi par l’intensité émotionnelle. Ce n’est ni un jugement ni une condamnation, mais un constat. L’Église catholique ne s’est jamais définie par ce registre. Elle se tient dans la discrétion, dans l’écoute, dans la conversion intérieure.
Lorsque tout devient bruit, mouvement et mise en scène, la rencontre avec Dieu se dissout dans l’expérience collective. Or la foi chrétienne ne repose pas sur une vibration partagée, mais sur une présence réelle, silencieuse et exigeante.
C’est pourquoi les propos du cardinal Robert Sarah, qui dénonçaient certaines dérives observées en Afrique, prennent aujourd’hui tout leur sens face à ce qui se donne à voir dans l’église Saint-Roch à Paris, lors d’une veillée organisée par le collectif Cité Céleste. Ce qu’il pointait n’était pas un problème local ou culturel, mais une tentation universelle de l’Église contemporaine, celle de se conformer au monde pour paraître vivante, au risque d’oublier que l’Évangile ne se transmet pas par imitation, mais par conversion.
L’enjeu n’est pas d’être moderne, populaire ou visible. Il est d’être fidèle. Car l’Église ne sauvera jamais en cherchant à séduire, mais en appelant, humblement et sans compromis, à se tourner vers Dieu.


