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« Vous avez votre Liban et j’ai le mien » : Une disparition annoncée, et déjà en partie actée des chrétiens du Liban

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Alors que le cessez-le-feu entre Israël et le Liban ne tient plus que sur le papier, les églises chrétiennes sont désormais protégées par l’armée. Un climat de peur s’installe. La communauté chrétienne, pilier historique du pays, est plus que jamais en sursis

Le Liban, autrefois appelé « la Suisse du Moyen-Orient », semble aujourd’hui basculer dans une inquiétante fragilité. Officiellement en « cessez-le-feu » avec Israël depuis sept mois, le pays est en réalité plongé dans une instabilité chronique, entre menaces djihadistes, paralysie politique, et tensions militaires permanentes. Et dans cette équation explosive, les chrétiens du Liban, qui ont façonné l’âme de la nation, vivent sous la menace, entre la peur et l’espérance.

Depuis le terrible attentat du 22 juin à Damas, où trente fidèles ont été tués dans une église orthodoxe, toutes les églises chrétiennes du Liban sont gardées chaque dimanche par des soldats armés. Devant les sanctuaires, à l’heure de la messe, de jeunes appelés montent la garde, fusil à la main. Une scène qui aurait paru inconcevable il y a encore quelques années, mais qui est devenue tristement banale dans une région où les fidèles sont désormais des cibles.

Le Liban que Saint Charbel chérissait semble aujourd’hui se débattre dans un piège qui se referme.

Les armes prolifèrent. Si l’on parle beaucoup de l’arsenal du Hezbollah, organisation terroriste chiite lourdement armée, on oublie que chaque communauté au Liban est armée, souvent par crainte plus que par volonté de domination. Dans ce climat de méfiance généralisée, même les hôpitaux doivent afficher des panneaux interdisant les armes dans leurs enceintes.Le réveil du jihadisme en Syrie a aussi ravivé des tensions confessionnelles jusque dans les quartiers sunnites de Beyrouth. De jeunes Libanais, séduits par l’idéologie radicale, partent combattre avec les milices d’Hayat Tahrir al-Sham contre les druzes, rêvant d’une guerre religieuse dans un pays encore officiellement multiconfessionnel.

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Au-delà de l’insécurité, les chrétiens du Liban font face à une autre réalité alarmante : celle d’un recul démographique rapide. Jadis majoritaires dans le pays, ils sont aujourd’hui devenus une minorité, notamment en raison d’un taux de natalité plus faible que celui des communautés musulmanes, combiné à une émigration continue de la jeunesse chrétienne. À cette érosion démographique s’ajoute une marginalisation sociale croissante : l’accès à l’emploi, aux postes à responsabilité et aux aides publiques devient de plus en plus difficile pour de nombreux Libanais chrétiens, surtout issus des classes moyennes et populaires. Le confessionnalisme, toujours présent dans les rouages de l’État, ne les protège plus.

Le rêve d’un Liban pluraliste semble s’effacer au profit d’un déséquilibre qui relègue peu à peu les chrétiens à la périphérie de la vie nationale.

Rappelons que l’envoyé spécial américain Tom Barrack est revenu à Beyrouth pour tenter d’imposer le respect des clauses de cessez-le-feu. Mais ses déclarations laissent un goût amer : tout en affirmant vouloir « la stabilité et la prospérité du Liban », il admet que les États-Unis « ne peuvent contraindre Israël à rien ». Or, Israël, malgré les accords signés, n’a jamais cessé ses incursions dans le Sud-Liban, causant des morts, souvent civiles, chaque semaine.De son côté, le Hezbollah refuse toute reddition tant qu’Israël poursuit ses opérations. L’impasse est totale, et la médiation américaine, inopérante.

Aujourd’hui, les chrétiens du Liban , maronites, orthodoxes, melkites, sont surtout une population menacée. Entre les violences de l’extérieur, l’immobilisme intérieur, et les calculs géopolitiques des grandes puissances, ils vivent dans une forme de siège psychologique et spirituel.

Dans un communiqué de presse publié le lundi 21 juillet, L’Œuvre d’Orient alertait sur les graves exactions commises dans le sud de la Syrie, où près de 940 personnes ont été tuées, dont 262 civils, et 80 000 déplacées. Des villages à population mixte chrétienne et druze ont été pillés et incendiés, notamment l’église melkite de Sara. Des centaines de personnes se réfugient sans eau ni électricité dans des paroisses de Sweida. L’association appelait au respect du cessez-le-feu, à une enquête sur les crimes commis, à la justice pour le pasteur Khaled Mazar exécuté avec sa famille, et réclamait un couloir humanitaire ainsi qu’une aide internationale conditionnée à la protection des minorités.

Face à cela, une question s’impose : quel avenir pour les chrétiens du Liban ?

Peuvent-ils continuer à vivre leur foi librement, protégés seulement par deux soldats le dimanche ? Peuvent-ils encore espérer un rôle dans un pays qui se fragmente chaque jour davantage ?Beaucoup fuient. D’autres tiennent bon, enracinés dans la terre de leurs ancêtres. Mais la tentation du départ grandit. L’histoire du Liban chrétien ne s’éteindra pas sans bruit. Mais si rien ne change, elle risque bien de s’écrire en exil.

« Vous avez votre Liban et j’ai le mien », écrivait Khalil Gibran avec douleur. Le Liban des chrétiens – spirituel, enraciné, hospitalier – risque aujourd’hui de devenir l’ombre de lui-même, le fantôme d’un passé révolu. Une disparition annoncée, et déjà en partie actée.

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