Située à Entrammes, en Mayenne, l’abbaye du Port-du-Salut est un haut lieu de prière et de travail manuel qui a marqué l’histoire spirituelle et économique de la région depuis 1815. Cette communauté cistercienne-trappiste, célèbre pour son fromage éponyme, fermera ses portes en 2025 à cause d’une absence de vocations, problème crucial auquel sont confrontées de nombreuses abbayes en France.
L’abbaye du Port-du-Salut voit le jour en 1815, alors que la France tente de se relever des troubles de la Révolution. Les moines trappistes, revenus d’exil en Suisse, s’installent à Entrammes, sur les terres d’un ancien domaine agricole. Avec foi et détermination, ils restaurent la vie monastique en suivant la règle de Saint Benoît, centrée sur la prière, le silence et le travail manuel.
L’histoire de l’abbaye remonte bien avant sa fondation officielle en 1815. À l’origine, le site accueillait le Prieuré de Port-Ringeard, fondé en 1233. Cependant, avec la Révolution française et la suppression des ordres religieux, les moines durent s’exiler pour rester fidèles à leur vie monastique. Conduits par Dom Augustin de Lestrange, maître des novices de la Trappe, certains trouvèrent refuge en Suisse, à La Valsainte, où ils instaurèrent une vie communautaire particulièrement austère. Cette communauté fonda ensuite plusieurs monastères, dont celui de Darfeld en Allemagne.
En 1790, les terres du prieuré furent vendues, et les bâtiments restèrent abandonnés. Ce n’est qu’après la chute de Napoléon que l’idée de rétablir les moines en France prit forme. En 1814, Louis XVIII autorisa la fondation d’un monastère trappiste sur le site du Port-Ringeard. Peu après, un moine de Darfeld, anciennement rattaché à Morimond (près de Langres), posa les bases de cette nouvelle communauté.
L’abbaye, rebaptisée Notre-Dame du Port-du-Salut, devint ainsi le premier monastère cistercien rétabli en France après la Révolution, marquant un tournant dans la renaissance de la vie monastique en Europe.
Rapidement, l’abbaye devient un lieu de rayonnement spirituel. Les moines, fidèles à leur devise Ora et labora (prie et travaille), s’investissent dans l’agriculture et l’artisanat. Ils transforment le domaine en un havre de paix où la prière et le labeur se mêlent harmonieusement.
Au XIXᵉ siècle, les moines créent le fromage du Port-Salut, une pâte pressée non cuite à la texture douce et crémeuse. Initialement destiné à leur propre consommation, il devient rapidement un produit recherché dans la région, puis à l’échelle nationale.
Les moines avaient développé une activité agricole et transformaient le lait en fromage, dont les surplus étaient vendus localement. Face au succès, dès 1850, ils achètent du lait dans les fermes voisines, agrandissent leur laiterie et construisent des caves d’affinage. En 1873, leurs fromages estampillés « Port-du-Salut » arrivent sur le marché parisien, et la marque est déposée en 1874, bien que le nom « Port-Salut » soit préféré par les consommateurs.
En 1959, la marque est vendue à la Société anonyme des fermiers réunis, qui passe à une production industrielle à base de lait pasteurisé, tout en continuant à utiliser la laiterie de l’abbaye. Les moines, eux, relancent une production artisanale sous le nom « Fromage de l’Abbaye ». Après le rachat de la marque par le groupe Bel en 2012, le fromage Port-Salut est fabriqué dans plusieurs usines en Europe. Cependant, à partir de 1987, l’abbaye cesse toute production agricole et fromagère sur place.
Malgré son riche passé, l’abbaye du Port-du-Salut a été confrontée à un défi majeur : l’absence de nouvelles vocations. En 2024, la communauté ne compte plus que six moines et deux familiers (laïcs partageant leur vie monastique). Cet effritement des effectifs n’est pas simplement dû à l’âge avancé des membres, mais reflète une crise plus large touchant de nombreuses congrégations en Europe : le manque de jeunes hommes souhaitant consacrer leur vie à Dieu dans un cadre monastique.
Le 21 décembre 2024, lors de l’assemblée générale des Amis de l’Abbaye, Dom Gérard Meneust, père abbé, a annoncé la fermeture de la communauté en 2025. Cette décision, bien que douloureuse, est rendue inévitable par l’impossibilité de maintenir une vie monastique structurée sans nouvelles vocations.
La fermeture de l’abbaye ne marque pas la fin de son influence. Les bâtiments historiques, témoins d’une foi vivante, continueront de porter la mémoire des siècles de prière et de travail qui ont façonné le lieu. Les Amis de l’Abbaye travaillent déjà à des projets pour transformer cet espace en un centre spirituel ou en lieu d’accueil pour retraites.
L’héritage de l’abbaye réside également dans son message intemporel : un témoignage de foi incarnée dans le quotidien, de travail réalisé avec amour et d’accueil pour tous ceux en quête de silence et de paix intérieure.
Ce drame de l’absence de vocations invite à une réflexion plus large sur l’avenir de la vie monastique dans un monde en mutation : « Les monastères sont des poumons spirituels pour l’Église et le monde. Nous ne pouvons pas permettre qu’ils s’éteignent. » Pape François.