Par Anne-Marie Michel
Le disciple n’est pas au-dessus du maître (Lc 6, 40). Si le Christ a été dépouillé de ses vêtements, l’Église subit le même sort tout au long de son histoire, en particulier lors de la spoliation de ses biens à la Révolution. Et puisque la Révolution française n’est pas terminée[1], le détournement des églises de leur vocation première et unique se poursuit de façon lente, presque discrète. Cette situation n’est pas le seul fait des ennemis de l’Église.
L’effondrement des vocations engendre mathématiquement la vacuité de plus en plus de bâtiments. Certaines « réaffectations » provoquent l’affliction ou l’inquiétude, d’autres lèvent le cœur et suscitent une juste indignation. Mais certains catholiques, bien conscients du problème, ont retroussé leurs manches et travaillent à la préservation de ce patrimoine, en proposant un usage des bâtiments acceptable.
L’Église est attaquée et détestée, dans ses membres à travers les martyrs dans de si nombreux pays, dans ses symboles religieux à travers les innombrables profanations et bien sûr dans son enseignement et sa morale à travers les incessants blasphèmes. Ces attaques se répandent comme une traînée de poudre sur tous les continents. La France n’est pas la plus à plaindre dans ce tableau sombre.
En Amérique latine, les provocations blasphématoires émanant de milieux “artistiques” LGBT suscitent de vives réactions des catholiques. En Amérique du Nord, « sur 2800 églises que comptait le Québec, 600 ont été détruites, 600 autres le seront d’ici deux ans », expliquait en 2022 l’historien Pierre Lahoud, dans une émission de France 3 « des racines et des ailes », consacrée à la Belle Province.[2] Partout dans le monde les Chrétiens sont en lutte et le film a commencé il y a deux mille ans… Nous sommes l’Église militante.
« Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : “Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce.” » (Jn 2, 14-16) La colère du Christ n’a rien d’une colère impulsive propre au péché capital. Son attitude traduit une parfaite maîtrise de soi et un amour profond et infini. Un amour exigeant et zélé[3]. Or, dans les rangs de l’Église, dans le milieu politique et parmi les simples laïcs, l’exigence et le zèle font souvent défaut.
C’est pourtant vers cette disposition intérieure manifestée par le Christ que nous devons tendre quand certains se permettent l’affront de proclamer le Coran devant le Saint Sacrement[4], quand les femen souillent de leurs impuretés les lieux sacrés ou quand le rock and roll menace de brailler au pied de l’autel[5]. Mais il est aussi permis de s’indigner de bien des inventions farfelues de certains liturgistes dont les pratiques pendant les offices sont trop éloignées des recommandations du Concile lui-même qui rappelle que le grégorien reste le chant liturgique par excellence… Certaines cérémonies de baptême, de funérailles ou de mariage laissent trop souvent le champ à l’inventivité de chacun. L’on ressent fréquemment de l’agacement, voire également de l’indignation.
L’Église, de nos jours, a deux ennemis : l’un à l’extérieur, l’autre à l’intérieur et la frontière entre les deux semble poreuse. L’énergie de l’extérieur rencontre l’affadissement de l’intérieur. Le résultat crée le vide. Et nos églises se vident.
Sur le site d’une agence immobilière haut de gamme[6], l’on peut acquérir des églises ou des chapelles désacralisées. 19 annonces apparaissent dans la rubrique édifices religieux. Parmi elles figurent des presbytères, des prieurés, une hostellerie, un couvent entier ou des belles demeures comprenant une chapelle privée. Mais les amateurs de vieilles pierres peuvent aussi s’amouracher d’une « église néogothique en position dominante, réaménagée en habitation confortable à plusieurs niveaux » ou d’une « église inscrite MH rénovée et son jardin de 5 000 m² » ou encore de ce « Havre de calme et de sérénité, dominant la ville, tout près du centre, la pure chapelle de l’ancien carmel ».
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Le professionnalisme de l’agence fournit moult détails historiques et architecturaux des édifices et se laisse emporter par l’imagination quant à sa future fonction : « espace de travail partagé, salle d’activités physiques douces, salle d’exposition, de répétitions ou de spectacles, bibliothèque ou librairie, siège d’association(s), etc. -, peut trouver avec la chapelle l’enveloppe qu’il lui faut. » Pour 220000€, cela vaut le coût. Pour seulement 430000€, l’on peut acquérir un ensemble immense dans la Bas-Quercy composé d’une ancienne école fondée par un prêtre au XIXème siècle, d’une chapelle et de plusieurs appartements. Face à la fermeture d’une école catholique, peut-être faut-il s’inquiéter bien davantage, si l’on en croit saint Pie X : « Entre bâtir une église et ouvrir une école, je choisis sans hésiter l’école ».
Notons cependant que ces réaffectations valent mieux que la ruine. Elles permettent de garder l’espoir que ces pierres pourront à nouveau faire résonner un jour le chant des moines ou les leçons d’enfants bien élevés…
Bien consciente de la perte de nombreux biens d’église, faute de religieux, l’Association Oykos[7] répond aux diocèses et communautés religieuses en étudiant leurs biens. Oykos acquière certains de ces anciens monastères pour y placer des porteurs de projets chrétiens, de façon à prolonger le lien ecclésial dans ces lieux centenaires. Selon le service communication de l’Association, il y a aujourd’hui « 660 couvents et monastères implantés en France. Mais d’ici à 10 ans, 30 à 50 % des lieux de vie religieuse fermeront. »
L’objectif est clair : « prolonger la vie spirituelle de ces lieux, pérenniser ces biens spirituels contraints à la vente en les achetant via sa foncière[8], puis en les louant à des porteurs de projets chrétiens, pour développer des habitats partagés. »
Ainsi, en 3 ans, Oykos a acquis l’ancien Carmel d’Avignon, l’ancien Cénacle de Lalouvesc dans l’Ardèche et l’ancien patronage du square Léon Guillot à Paris. Un nouveau projet sort des cartons actuellement, rue Gay Lussac, dans le 5ème arrondissement.
Oykos lève les fonds pour acquérir une partie du couvent de la Congrégation des Sœurs de l’Adoration Réparatrice, lieu qui pratiqua l’adoration perpétuelle pendant 150 ans. « La reprise du bien par Oykos et par les Carmes permettra le maintien de la vocation priante de l’ordre. Dans les 2000 m2 acquis par Oykos, prendront place une aumônerie d’une grande école prestigieuse, et les colocations missionnaires d’Anuncio. » Pour acquérir ce bien, la Foncière Oykos va faire une augmentation de capital de l’ordre de 3,5 millions d’euros.
À Avignon, trois familles avec treize enfants portent le projet de vie partagée dans l’ancien Carmel. La vie spirituelle y est maintenue avec notamment les Laudes quotidiennes « avec un horaire spécial le mercredi afin que les enfants puissent venir » et la venue mensuelle d’un religieux de la Communauté Saint Jean. Les milliers de visiteurs du site à l’occasion de très nombreux événements artistiques sont autant d’occasions saisies pour l’évangélisation. Comme en témoigne un investisseur d’Oykos, « ces bâtiments de congrégations sont construits pour une vie partagée. Toute la conception permet d’avoir une vie partagée fructueuse, pensée par des siècles de vie religieuse. » Ce Carmel a ainsi échappé à un projet d’hôtellerie de luxe et le témoignage de l’Évangile y demeure.
À ceux qui répondraient que ces quatre projets ne sont rien devant les 50% des 660 bâtiments religieux promis à la fermeture, citons Mère Térésa : « Nous réalisons que ce que nous accomplissons n’est qu’une goutte dans l’océan. Mais si cette goutte n’existait pas dans l’océan, elle manquerait. »
AMM
[1] Vincent Peillon, La Révolution française n’est pas terminée, Seuil, 2008
[2] L’Église dans le monde, bimestriel de l’AED, février 2022.
[3] « Le zèle pour ta maison me dévorera. » Jn 2, 17
[4] https://tribunechretienne.com/reciter-le-coran-dans-une-eglise-lirrespect-de-fobus-et-la-provocation-assumee/
[5] https://tribunechretienne.com/honte-profanation-et-folie-non-le-rocknroll-na-pas-sa-place-dans-les-eglises/