Par Philippe Marie
Comme toujours La Croix s’évertue à donner la parole à des personnes qui se disent catholiques sans en assumer réellement la foi. C’est une ligne éditoriale, une marque de fabrique : neutraliser le message de l’Église en le minant de l’intérieur, pour mieux dispenser ses ennemis de se déclarer.
Voici une réponse à Jean-Louis Schlegel, philosophe et sociologue des religions, qui se veut catholique… tout en défendant l’euthanasie ( cf article : Jean-Louis Schlegel : « Catholique, je suis pour la proposition de loi sur la fin de vie » La Croix Publié le 23 mai 2025 ).
« Catholique, je suis pour la proposition de loi sur la fin de vie » affirme sereinement Jean-Louis Schlegel dans La Croix, sans voir qu’il vient là de se contredire profondément. Car on ne peut pas à la fois se dire catholique, c’est-à-dire uni à l’enseignement du Christ et de son Église, et défendre l’euthanasie, que l’Église a toujours condamnée comme un mal intrinsèque. C’est comme vouloir être végétarien tout en militant pour l’industrie de la viande. Cela n’a pas de sens. Mais avec La Croix, ce genre de contradiction est devenu routine : la foi y devient une opinion, et l’Évangile, une option.
Monsieur Schlegel, vous vous interrogez sur la place des religions dans le débat public, et semblez dérangé par la voix claire et unanime de l’Église ( même si elle reste trop timide à notre avis ) contre la légalisation de l’euthanasie. Pourtant, c’est précisément sa mission prophétique : annoncer la vérité même quand elle dérange. Et non pas suivre le vent mauvais du siècle, comme le font certains sociologues plus enclins à flatter l’air du temps qu’à témoigner de l’Évangile.
Vous évoquez la souffrance, l’isolement, les maladies dégénératives, et vous concluez : il faut permettre à chacun de choisir sa mort. Comble de l’arrogance ! Car prétendre que l’homme pourrait s’ériger en maître absolu de sa vie au point d’en décider l’heure et le terme, c’est oublier qu’il ne s’est pas donné la vie à lui-même. Cette prétendue liberté est une illusion prométhéenne, un simulacre de toute-puissance qui nie radicalement la condition humaine.
Ce n’est pas la compassion qui parle ici, mais l’orgueil d’une société qui refuse la dépendance, la fragilité, la limite. Vous appelez cela autonomie, mais c’est une fuite. Une fuite devant la souffrance, devant le mystère du mal, devant la vérité nue de notre condition mortelle. Et c’est un piège moral, car ce discours flatteur justifie la mise à mort sous couvert de liberté.
Or, ce n’est pas en supprimant la personne souffrante que l’on supprime la souffrance. Cette prétendue liberté ultime, qui consisterait à choisir sa mort comme on réserve un billet de train, n’est qu’un vernis philosophique recouvrant une profonde désespérance. En réalité, cette posture n’élève pas l’homme : elle le rabaisse. Elle consacre la rupture avec l’humilité fondamentale qui reconnaît que la vie est un don reçu et non une propriété privée à gérer comme un capital. Voilà pourquoi c’est le comble de l’arrogance et le début du naufrage moral.
Car tuer n’a jamais été un soin la souffrance appelle la compassion, non la piqûre létale. Le Catéchisme est sans ambiguïté : « Quelle qu’en soit la forme et les motifs, l’euthanasie directe est moralement inacceptable » (§ 2277). Le pape François lui-même a rappelé avec force : « Nous devons accompagner, jamais abréger la vie. » Accompagner ne signifie pas injecter un poison, mais aimer jusqu’au bout.
« Chacun est responsable de sa vie devant Dieu qui la lui a donnée. C’est Lui qui en demeure le souverain maître. Nous sommes tenus de la recevoir avec reconnaissance et de la conserver pour son honneur et le salut de nos âmes. Nous sommes les gérants, non les propriétaires de la vie que Dieu nous a confiée. Il n’est pas permis d’en disposer.
Le suicide contredit l’inclination naturelle de l’être humain à conserver et à perpétuer sa vie. Il est gravement contraire à l’amour du Dieu vivant. Il est aussi une offense à l’amour du prochain parce qu’il rompt injustement les liens de solidarité avec les sociétés familiale, nationale et humaine dont nous demeurons redevables. Le suicide est contraire à l’amour du Dieu vivant.
Si le suicide est commis avec l’intention de servir d’exemple, surtout pour les jeunes, il prend aussi la gravité du scandale. Les troubles psychiques graves, l’angoisse, ou la peur de l’épreuve, de la souffrance, ou de la torture peuvent diminuer la responsabilité du suicidé.
On ne doit pas désespérer du salut éternel des personnes qui se sont donné la mort. Dieu peut leur avoir ménagé, par des voies que lui seul connaît, l’occasion d’une salutaire repentance. L’Église prie pour les personnes qui ont attenté à leur vie.«
(Catéchisme de l’Église catholique, nos 2280-2283)
Vous opposez à l’Église les mots-clés du lexique républicain : liberté, dignité, fraternité. Mais ces mots, détachés de la vérité sur l’homme, deviennent de simples slogans. La dignité ne réside pas dans l’autonomie ou la productivité, mais dans le fait d’être créé à l’image de Dieu. La liberté n’autorise pas à tuer. La fraternité n’implique pas d’éliminer celui qui souffre, mais de lui tenir la main, de l’entourer, de l’accompagner avec foi et espérance.Vous affirmez que la loi Claeys-Leonetti vous suffit. Alors pourquoi vouloir aller plus loin ? Parce que, comme toujours, on commence par des cas exceptionnels pour aboutir à une norme sociale. La Belgique et les Pays-Bas en sont les exemples glaçants : euthanasie des personnes dépressives, des mineurs, des personnes seules… Voilà la « pente glissante » dont vous niez l’existence, alors qu’elle est désormais un gouffre ouvert sous nos pieds. C’est un fait, pas un fantasme.
Vous vous moquez de l’expression « rupture anthropologique » mais quelle plus grande rupture que celle qui consiste à faire de la mort une option médicale comme une autre ?
L’euthanasie détruit le cœur du pacte social : la certitude que l’État ne me tuera jamais, même par compassion. Elle change le regard que l’on porte sur les plus fragiles, qui ne sont plus perçus comme des personnes à protéger, mais comme des problèmes à résoudre. Comme le disait le cardinal Eijk : « L’euthanasie installe une pression invisible sur les personnes âgées pour qu’elles cessent d’exister. »
Vous semblez dire : après tout, chacun est libre de faire ce qu’il veut. Mais cette prétendue « liberté ultime » est un leurre et le comble de l’arrogance de l’homme devant son Créateur et cela toutes les religions en conviennent. Ce que vous appelez liberté deviendra demain une norme, une attente. Et beaucoup, par culpabilité, par pression sociale ou par isolement, choisiront une mort qu’ils ne souhaitent pas vraiment.
Le plus terrible, c’est que cette loi ne donnera pas le choix : elle créera un climat où la mort sera suggérée, attendue, proposée. Est-ce cela, la compassion ?
Enfin, vous demandez pourquoi l’Église se permet de parler encore, alors qu’elle serait minoritaire. Mais l’Église ne parle pas parce qu’elle est puissante, mais parce qu’elle est fidèle à la Vérité !
êtes-vous certain d’être catholique ? Fidèle à Celui qui a dit : « Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites. » (Mt 25,40); les plus petits ici sont les plus fragiles vieux, les malades, les handicapés dépourvus de tout et abandonnés de tous..
Fidèle à la vie, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle. Fidèle à ceux que personne ne défend, quand d’autres veulent les faire taire à jamais.
Alors non, Monsieur Schlegel. On ne tue pas par compassion. On ne choisit pas de devenir son propre bourreau. Et on ne travestit pas la foi catholique en alibi moral pour une loi mortifère. Car l’Évangile, que vous citez si peu, ne dit jamais : « Fais ce que tu veux de ta vie », mais : « Aime ton prochain comme toi-même », même lorsqu’il souffre, même lorsqu’il pleure, même lorsqu’il meurt.
C’est là notre fidélité. Et elle ne changera pas.