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À Tuam, en Irlande : la « fosse commune » qui n’existait pas, entre erreurs et falsifications du journal La Croix

site de l’ancien foyer pour mères et bébés de Sainte-Marie, à Tuam, dans la banlieue de Galway - DR
site de l’ancien foyer pour mères et bébés de Sainte-Marie, à Tuam, dans la banlieue de Galway - DR
Si le combat de Catherine Corless pour la vérité mérite d’être salué, il ne doit pas être instrumentalisé pour entretenir des fantasmes

Le 27 juin La Croix publiait sous la plume de Lucile Coppalle un reportage depuis Tuam, en Irlande, affirmant que près de 800 bébés avaient été « enterrés en secret dans les égouts » d’un ancien foyer pour mères et enfants tenu par les sœurs du Bon Secours. L’article évoquait une fosse commune, des enfants frigorifiés et affamés, et une Église coupable de silence et de négligence. Une nouvelle vague d’indignation s’en est suivie, à la veille du début des fouilles annoncées pour le 10 juillet sur le site de l’ancien foyer.

Mais ce récit, aussi émouvant soit-il, ne correspond pas aux faits établis par la Commission d’enquête officielle mandatée par le gouvernement irlandais, dont le rapport, publié en 2021, a été largement ignoré par les grands médias. C’est ce que rappelle avec rigueur le journaliste David Quinn dans un article du 1er juillet 2025 publié dans The Irish Catholic.

Contrairement à ce qu’écrit La Croix, Catherine Corless, l’historienne locale à l’origine des recherches, n’a jamais affirmé que les bébés avaient été jetés dans une fosse septique. Elle a simplement relevé l’absence d’enregistrement des sépultures correspondant à 796 certificats de décès. David Quinn précise que l’hypothèse d’une fosse commune où les sœurs auraient déposé des cadavres n’a jamais été confirmée par Corless elle-même. Pourtant, La Croix titre sur une « fosse commune » et affirme que l’historienne « a prouvé » l’existence d’une inhumation secrète dans les égouts, une formulation qui entretient l’idée d’un scandale criminel sans en apporter la preuve.

Plus encore, la Commission d’enquête précise noir sur blanc que les religieuses n’étaient pas responsables des enterrements. Cette tâche incombait au conseil du comté de Galway, propriétaire du foyer, qui devait enregistrer les inhumations. Ce point, crucial pour la compréhension du dossier, est totalement passé sous silence dans l’article de La Croix, qui préfère focaliser l’attention sur les émotions et le passé douloureux de la narratrice et pointer du doigt le comportement des religieuses ..pour La Croix c’est normal.

Le rapport ajoute que les restes humains se trouvent probablement sous le jardin commémoratif du site, connu des habitants depuis longtemps, et non dans une fosse dissimulée.

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La Croix suggère aussi que les décès étaient dus à la négligence ou à la maltraitance. Elle parle d’enfants « sous-alimentés », « effrayés », que les religieuses « ignoraient ». Mais David Quinn, s’appuyant sur les conclusions officielles, rappelle que les enfants sont morts de maladies infectieuses, dans un contexte de misère extrême, avant l’arrivée des vaccins et antibiotiques. La mortalité infantile était très élevée à l’époque, y compris hors des foyers. Elle l’était davantage dans les maisons mères-enfants en raison de la promiscuité, de la propagation rapide des infections et du manque de moyens. Ces réalités historiques sont absentes de l’article de La Croix, qui préfère peindre un tableau à charge contre les religieuses , sans rappeler la complexité du contexte.

L’article de La Croix passe également sous silence les témoignages positifs recueillis dans le rapport de la Commission. Plusieurs personnes ayant vécu ou travaillé au foyer de Tuam y parlent de la sœur Hortense, responsable de l’établissement, avec reconnaissance. Une femme déclare : « Sœur Hortense aimait les enfants et s’occupait d’eux. » Une autre affirme : « Elle avait un cœur en or. » Et encore : « Les religieuses qui géraient le foyer étaient les plus gentilles et les plus attentionnées que j’ai connues. » Ces témoignages contredisent directement l’image de religieuses cruelles et déshumanisées que véhiculent les médias et certains films comme The Magdalene Sisters ou Philomena. Ces voix discordantes, pourtant issues de personnes ayant connu les lieux, ne trouvent pas leur place dans le reportage de La Croix.

David Quinn souligne aussi que les médias, au moment de la publication du rapport en 2021, l’ont presque tous ignoré. Trop nuancé, trop complexe, il ne collait pas au récit déjà établi dans l’opinion. Pourtant, ce document, fruit de plusieurs années d’enquête, mérite d’être lu en priorité. Quinn invite ainsi les lecteurs à se pencher sur le chapitre consacré à Tuam, où les faits sont présentés avec rigueur. Il rappelle enfin que les foyers pour mères célibataires existaient dans de nombreux pays, y compris en Grande-Bretagne, et n’étaient pas tous tenus par des religieuses. Ce phénomène n’est donc pas propre à l’Église catholique, contrairement à ce que suggèrent certains reportages.

Si le combat de Catherine Corless pour la vérité mérite d’être salué, il ne doit pas être instrumentalisé pour entretenir des fantasmes

La souffrance des femmes et des enfants, bien réelle, n’autorise pas à falsifier les faits ni à désigner des coupables imaginaires. Le récit dominant, relayé une fois de plus par La Croix, repose sur des raccourcis et des omissions. À l’inverse, l’article de David Quinn apporte un éclairage salutaire, fondé sur les documents officiels et les témoignages de l’époque. Il rappelle que la quête de justice ne peut se faire sans vérité. Dans cette affaire comme dans tant d’autres, le devoir du journaliste n’est pas de renforcer les indignations automatiques, mais de restituer la complexité du réel.

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