Le cardinal Robert Sarah a fêté ses 80 ans le 15 juin dernier, juste à temps pour participer au conclave qui a élu le cardinal Prevost au trône de Pierre, devenu Léon XIV. Dix ans les séparent : l’actuel pontife, premier pape d’origine américaine, fête lui ses 70 ans ce dimanche 14 septembre. « J’ai eu le privilège de connaître et de collaborer avec certains saints : Mère Teresa de Calcutta, saint Jean-Paul II, puis Benoît XVI et François. Aujourd’hui, je regarde avec grande confiance Léon XIV », confie le cardinal guinéen.Dans un entretien accordé au media italien AVVENIRE , le 12 septembre dernier, le cardinal Sarah souligne que le nouveau pape « fait resurgir la centralité irremplaçable du Christ » et qu’il conjugue dialogue avec le monde et fidélité à la Tradition :
« La Tradition est comme un moteur de l’histoire, y compris celle de l’Église. Sans elle, il n’y aurait pas de transmission de la Révélation divine. Tout cela est en continuité avec le Concile Vatican II. »
Interrogé sur le retour de la mozzetta papale ( courte cape liturgique) , objet de polémiques médiatiques, il relativise : « C’est un signe de juridiction qui appartient aussi aux évêques. Je ne comprends pas le bruit autour de ce choix. Sans doute parce que François ne l’avait pas portée. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour une telle agitation. ». Dans le cours de l’interview son Eminence Sarah salue l’appel du pape Léon XIV à l’unité : « Deux idéologies s’affrontent : d’un côté ceux qui voudraient effacer la Tradition au nom d’une ouverture inconditionnelle au monde, de l’autre ceux qui la figent comme une relique intouchable. Les deux postures sont stériles. La mission de l’Église est unique et présuppose la communion. »
Il constate aussi la faiblesse de certains témoins de la foi : « L’Église n’a pas abandonné l’homme, mais certains chrétiens, oui, chaque fois qu’ils ont eu honte du Christ et réduit la pastorale à une simple promotion sociale. »
Evoquant son nouveau livre, Dieu existe ? il dénonce l’oubli du transcendant : « En Occident domine l’idée que l’on peut se passer de Dieu. L’homme s’est assis à sa place et a inventé un nouvel ordre qui nie celui créé par Dieu. » Le prélat rappelle l’avertissement de Benoît XVI : Etsi Deus daretur (« vivre comme si Dieu existait »). Et il ajoute : « Dieu n’est pas une idée ni une émotion. Il est une certitude : le Fils de l’Homme est venu dans le monde et habite encore parmi nous. L’Incarnation est un fait. »Il fustige les nouveaux idoles : « Succès, richesse, pouvoir, possession des choses et des personnes. Mais ces idoles sont enfants du hasard. L’homme a cessé de chercher le sens de sa vie. »
Interrogé sur la synodalité, le cardinal Sarah la redéfinit ainsi : « La communion est la fin, la synodalité n’est qu’un moyen, un style. La communion est hiérarchique, ainsi le Christ a voulu son Église. »
Quant à la Curie, il reprend la formule de Léon XIV : « La Curie reste, les papes passent. » Et il ajoute : « La Curie doit recoudre certaines fractures récentes, au service du Christ dont elle est l’instrument. » Sur la liturgie, le cardinal Sarah est catégorique : « Un rite ne s’invente pas dans un bureau, il est le fruit de siècles de foi vécue. Je me demande s’il est possible d’interdire un rite millénaire. La diversité liturgique a toujours été une richesse pour l’Église. Et si la liturgie est source de théologie, comment interdire l’accès aux sources anciennes ? Ce serait comme interdire l’étude de saint Augustin pour comprendre la grâce ou la Trinité. »À propos de la déclaration ouvrant la bénédiction de couples en situation irrégulière, sa réponse est sans appel : « J’espère qu’elle pourra être clarifiée et reformulée. C’est un document théologiquement faible et injustifié. Il met en danger l’unité de l’Église. C’est un texte qui doit être oublié. »
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Le cardinal Sarah refuse de se dire « pont » entre Afrique et Occident, préférant « témoin » : « Au Nord, rassasié et désespéré, je veux rappeler les raisons de vivre et de mourir. Au Sud, encore habité d’espérance malgré de graves problèmes, je veux offrir courage. »Il rappelle aussi le prix du sang versé : « L’Afrique paie un lourd tribut de martyrs. Ce sacrifice fécond deviendra semence de nouveaux chrétiens. »Enfin, il évoque ses souvenirs : « Le plus grand don fut de naître dans une famille chrétienne et de recevoir la vocation sacerdotale. Tout a changé là. J’ai commencé une histoire d’amour qui ne finira jamais : être alter Christus, dire “Ceci est mon Corps” et “Ceci est mon Sang” avec toute la responsabilité et la grâce que cela implique.
En écoutant le cardinal Robert Sarah, c’est la voix d’un veilleur qui résonne au cœur de l’Église : il rappelle que l’on ne bâtit pas le Corps du Christ sur des compromis fragiles ni sur des inventions éphémères, mais sur le roc de la foi transmise. Son avertissement est limpide : un rite ne se fabrique pas dans un bureau, il se reçoit comme un héritage vivant façonné par des siècles de prière. De même, une doctrine ne s’altère pas au gré des modes, mais s’enracine dans la Parole qui ne passe pas.Dans un monde qui croit pouvoir effacer Dieu et remodeler l’homme à son image, la voix du cardinal Sarah prend la force d’un cri prophétique : l’Église doit demeurer fidèle à son Seigneur, humble dans sa mission et courageuse dans son témoignage. Fiducia supplicans n’a pas vocation à devenir une pierre d’angle, mais à être corrigée et dépassée par la lumière de l’Évangile.
À l’heure où le pape Léon XIV appelle à recentrer l’Église sur le Christ, le cardinal Sarah s’élève comme un témoin de vérité. Son appel est clair : revenir aux sources, se laisser purifier par la liturgie, et reconnaître que l’homme ne peut rien sans Dieu. Car seule la fidélité au Christ, unique Sauveur, donnera à l’Église la force de traverser la tempête et d’offrir au monde non pas des illusions passagères, mais l’espérance qui ne déçoit pas.