Répondant aux journalistes de La Croix qui semblaient s’inquiéter de voir des prêtres en soutane ou en clergyman, l’évêque de Marseille a répondu ainsi : « Sur la soutane, je dis aux jeunes prêtres comme aux anciens que c’est le même désir missionnaire qui s’exprime, adapté à son époque. Quand nos prédécesseurs ont quitté la soutane, c’était pour se rapprocher des gens, dans une société où la religion était bien établie. Aujourd’hui, dans une époque où la religion est devenue très diffuse, il peut falloir montrer qu’elle existe et qu’on peut s’adresser à des personnes identifiables. »
Ce constat est précieux. Là où certains voient dans la soutane une crispation identitaire, le cardinal reconnaît qu’elle est devenue un signe missionnaire, rappelant à une société sécularisée que l’Église existe encore. C’est une reconnaissance implicite que la visibilité sacerdotale, loin d’être un obstacle, peut redevenir une force d’évangélisation.Interrogé également sur les fidèles attachés à l’ancien rite, le cardinal poursuit :
« Dans toute recherche spirituelle – de sacré, de silence, de beauté –, il y a quelque chose de bon qui mérite d’être honoré. Le pape François voulait éviter que ce désir spirituel légitime ne se paie au prix d’un écart avec la communion de l’Église. Ce qui l’inquiétait, c’était moins la question liturgique que le risque de perdre le lien avec la grande Tradition de l’Église, dans laquelle s’inscrit le concile Vatican II. »
Le commentaire est nuancé. D’un côté, le cardinal reconnaît explicitement la valeur du désir de sacré, de silence et de beauté, piliers que le cardinal Robert Sarah n’a cessé de défendre comme essentiels à la liturgie. De l’autre, il demeure prudent, craignant un risque de rupture avec la communion ecclésiale. Pourtant, on peut se demander si ce n’est pas précisément la redécouverte de la Tradition liturgique – orgue, grégorien, silence – qui pourrait réenraciner l’unité spirituelle et doctrinale de l’Église.
Sur la crise sociale et les attentes de la jeunesse, le cardinal confie :
« Cette inquiétude sociale, cette colère, l’instabilité générale m’inquiètent car “ça peut partir” rapidement. Je sens des attentes envers l’Église, notamment chez les jeunes de 16-17 ans qui perçoivent cette fragilité et cherchent des bases plus solides. » Et plus loin : « L’effectivité sociale est l’un des meilleurs critères de l’engagement croyant. »Ici, la perspective est plus sociologique que spirituelle. Le cardinal insiste sur la transformation par le service, ce qui est vrai. Mais les jeunes, s’ils recherchent des bases solides, ont aussi besoin d’une identité chrétienne claire, nourrie par la doctrine et la liturgie. Sans cette dimension, l’action sociale risque de s’épuiser et de se confondre avec de simples initiatives humanitaires.
Concernant Nostra aetate, le cardinal souligne :
« Les textes de Vatican II sont encore loin d’être pleinement intégrés. Nostra aetate a obligé l’Église à prendre conscience que pour qu’elle puisse décliner son identité, il fallait qu’elle fasse référence à une altérité juive. »La remarque, intéressante, traduit l’effort de l’Église pour purifier sa mémoire. Toutefois, soixante ans après le Concile, une partie du clergé et des fidèles considère que l’urgence n’est pas tant de relire sans cesse Nostra aetate que de redonner à la foi catholique toute sa vigueur missionnaire, surtout face à l’islam politique que le cardinal lui-même reconnaît comme « préoccupant ».
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Comme tout ecclésiastique, les réponses du cardinal Jean-Marc Aveline paraissent souvent frappées de bon sens pastoral. Mais nombreux sont ceux qui nourrissent de fortes réserves sur le fond théologique qui anime sa pensée.À cela s’ajoute une incompréhension locale persistante. À Marseille, le cardinal est directement accusé d’avoir trahi la mémoire de ses fidèles en cédant deux églises paroissiales de Pont-de-Vivaux à un promoteur immobilier controversé. Pour les fidèles, il s’agit d’« une véritable trahison spirituelle et patrimoniale ». L’affaire est lourde : absence de transparence, désacralisation silencieuse, autorisation tacite de travaux transformant l’église Vivès en entrepôt et Chirié en logements, sans messe d’adieu ni geste pastoral. Beaucoup dénoncent une opération « purement lucrative », indigne d’un pasteur qui se veut proche des pauvres.
En refusant d’ouvrir un vrai dialogue avec ses fidèles et en laissant se vendre au privé des lieux de culte qui avaient façonné la vie de quartiers populaires, Mgr Aveline alimente un profond sentiment de trahison. Ses appels au sacré et au silence, relevés dans son entretien à La Croix, contrastent avec le silence assourdissant qu’il garde sur cette liquidation de son patrimoine religieux.Ainsi, le nouveau président de la CEF apparaît comme une figure ambiguë : à Paris et à Rome, il incarne l’ouverture et le dialogue ; à Marseille, il laisse derrière lui un diocèse marqué par la douleur d’une double perte et par une incompréhension croissante de fidèles qui attendaient une autre attitude de leur archevêque.