Le Canada est devenu le laboratoire d’une dérive qui devrait faire réfléchir l’Europe et particulièrement la France. Depuis la légalisation de « l’aide médicale à mourir » (MAiD) en 2016, ce pays autrefois réputé pour son système de santé universel glisse vers une culture où l’on propose plus facilement la mort que les soins. En 2023, 15 343 personnes sont mortes par euthanasie ou suicide assisté, soit 4,7 % de tous les décès.
Les histoires individuelles illustrent de manière frappante ce basculement. Jennifer Brady, 47 ans, mère de deux enfants en Nouvelle-Écosse, souffrait d’un lymphœdème douloureux. Après des années sans obtenir les traitements adéquats dans sa province, ruinée par des soins à l’étranger, elle a demandé le suicide assisté. Mais en 2024, après une longue bataille judiciaire, elle obtint finalement l’accès à une chirurgie aux États-Unis qui transforma sa vie.
Elle retira alors sa demande d’euthanasie. Combien d’autres, moins tenaces, sont déjà morts faute d’avoir reçu les soins qu’on leur devait ?
Le cas d’Allison Ducluzeau, en Colombie-Britannique, est tout aussi alarmant. En 2022, diagnostiquée d’un cancer, elle se vit expliquer que la chimiothérapie ne serait pas très efficace et qu’elle devrait envisager « l’aide à mourir ». Consternée, elle paya de sa poche un traitement aux États-Unis, qui lui permit de reprendre son travail quelques semaines plus tard. En clair, le système public avait choisi d’économiser sur les soins, préférant offrir la mort légale à une femme encore jeune et désireuse de vivre.
Ces exemples confirment la mécanique implacable de l’euthanasie : à mesure que les « conditions strictes » se desserrent, la tentation grandit d’écarter les plus vulnérables, pauvres, malades chroniques, personnes âgées ou handicapées, pour leur proposer la mort comme unique horizon. Les associations médicales canadiennes elles-mêmes discutent de stratégies pour « obtenir le consentement » de patients confus ou réticents, en recourant à la sédation. Une fois franchi le pas de l’empoisonnement légal, la logique devient celle du tri sélectif entre les vies « dignes » d’être prolongées et celles que l’on peut éteindre.
La France, hélas, s’avance sur le même chemin. Le 27 mai 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une loi consacrant un « droit à l’aide à mourir ». Derrière le langage feutré des juristes se profile l’introduction dans notre droit d’une pratique que la médecine a toujours tenue pour contraire à sa vocation : provoquer délibérément la mort. Certes, on parle de conditions restrictives : affection incurable, souffrances insupportables, discernement intact. Mais l’expérience étrangère démontre que ces garde-fous cèdent les uns après les autres, sous la pression des idéologies et des contraintes budgétaires.Dans les prochaines semaines, ce sera au Sénat de se prononcer. Les sénateurs porteront une responsabilité immense, non seulement devant la Nation mais devant l’Histoire. Voter cette loi, c’est ouvrir la porte à la banalisation d’une culture de mort qui, tôt ou tard, pèsera sur les plus fragiles et détruira la confiance entre le médecin et son patient.
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L’Église catholique a toujours été d’une clarté limpide sur cette question. Le Catéchisme rappelle que « quelle qu’en soit la forme, l’euthanasie directe met fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes. Elle est moralement irrecevable » (CEC, n° 2277).
Le pape François n’a cessé de dénoncer une « fausse compassion » qui cache en réalité l’abandon du malade. « Nous ne devons pas céder à la tentation d’utiliser la médecine pour hâter la mort », avertissait-il encore, rappelant que la dignité humaine ne se mesure jamais à l’absence de souffrance ou de dépendance.
Ce constat devrait d’autant plus alerter nos responsables que les exemples étrangers abondent en Europe. Aux Pays-Bas, où l’euthanasie est légale depuis 2002, la pratique s’étend désormais aux mineurs et aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, autrefois exclues du dispositif. En Belgique, des cas d’euthanasie pour dépression ou fatigue de vivre ont suscité des polémiques, sans pour autant enrayer la machine législative. En Espagne, à peine trois ans après la légalisation, des familles dénoncent déjà des pressions exercées sur des patients âgés, alors même que les unités de soins palliatifs manquent cruellement.La France ne peut pas feindre d’ignorer ces dérives. Son propre système de soins palliatifs est notoirement insuffisant : seule la moitié des besoins est couverte, laissant chaque année des dizaines de milliers de malades mourir sans accompagnement digne.
Comment prétendre instaurer un « droit à mourir » alors que le droit d’être soulagé et entouré n’est même pas garanti ? C’est pourtant ce renversement que porte la loi actuelle.
L’avertissement de saint Jean-Paul II, dans Evangelium vitae, résonne aujourd’hui avec une force renouvelée : « Une société qui tue ses enfants et ses malades est une société sans avenir ». L’urgence n’est pas d’accélérer la mort, mais de réapprendre à soigner, à accompagner et à aimer jusqu’au bout. Les sénateurs auront à dire si la France choisit encore la vie ou si elle se résigne à légaliser le désespoir. La France est donc placée devant un choix de civilisation. Soit elle investit dans les soins palliatifs, dans l’accompagnement véritable des malades, dans la solidarité face à la souffrance. Soit elle cède à la logique qui tue, où l’on en vient à considérer la mort comme une solution économique. Aux parlementaires de choisir : la civilisation de la vie ou la mécanique froide de la mort.