Cette fois, la lettre n’est plus anonyme. Signée des abbés Rémi Paclet et Frédéric Martin, prêtres du diocèse de Strasbourg, elle marque un tournant. L’indignation, longtemps contenue derrière la peur et l’anonymat, a laissé place à une parole claire et assumée.Transmise à notre rédaction ce samedi 4 octobre, cette nouvelle lettre fait directement suite à celle publiée le 8 septembre dernier (« Révélation exclusive : les prêtres du diocèse de Strasbourg demandent une visite apostolique »).
Deux textes, deux voix, mais un même cri : celui d’un clergé blessé, étouffé, et d’un diocèse à bout de souffle.
Les auteurs y dénoncent une gouvernance verrouillée, des réseaux d’influence installés, un clergé épuisé et un climat de peur qui mine toute confiance. Plusieurs prêtres parlent d’un quotidien marqué par les humiliations, le chantage et les intimidations. Certains affirment vivre dans une véritable atmosphère de contrôle, craignant d’être déplacés ou mis à l’écart à la moindre critique. « Beaucoup se taisent non par lâcheté, mais parce qu’ils ont tout simplement peur », confie un témoin.
Ce texte, à la fois sobre et précis, appelle à une visite apostolique et à un renouvellement complet de l’équipe diocésaine, seule voie possible pour restaurer la vérité et la paix.
La lettre a été envoyée alors qu’Emmanuel Siees, victime d’abus dans ce même diocèse, témoigne ce jour de son histoire. Cette coïncidence renforce l’impression d’une Église locale au bord de la rupture, où les blessures accumulées ne peuvent plus être tues.Depuis plusieurs semaines, Tribune Chrétienne reçoit des dizaines de témoignages similaires : prêtres isolés, laïcs désemparés, fidèles indignés. Tous décrivent une Église meurtrie, qui ne tient plus que par la structure matérielle du Concordat d’Alsace-Moselle, dernier rempart avant l’effondrement.
Notre rédaction n’a qu’un objectif, relayer ces voix qui refusent désormais le silence. Aucune arrière-pensée partisane, mais la conviction profonde que seule la vérité libère. L’Église d’Alsace, pour renaître, doit retrouver le courage de la lumière, de la justice et de la conversion des cœurs.
Lettre des abbés Rémi PACLET et Frédéric MARTIN
Remonter aux causes de la crise du diocèse de Strasbourg
« Rien n’arrive par hasard.
Gouvernance contestée, réseaux de copinage articulés autour de l’évêque auxiliaire reconduit dans ses fonctions, réhabilitation chaotique d’Hubert Schmitt, mensonge à demi reconnu par le vicaire général Jean-Luc Liénard, exaspération croissante d’une partie des prêtres et des fidèles, appel à la démission de l’archevêque : la vérité est douloureuse dans le diocèse de Strasbourg. La liste des faits révélés est si longue qu’il devient indispensable d’en rechercher les causes profondes afin d’en comprendre la véritable nature et d’y apporter une réponse efficace. Se contenter de traiter les symptômes, ce serait comme soigner une fièvre sans diagnostiquer l’infection.
Les racines de cette crise sont anciennes et ne sauraient se réduire à quelques erreurs de nomination. Dans les années 1990 et 2000, le diocèse de Strasbourg, sous l’épiscopat de Mgr Joseph Doré, a été largement influencé par des vicaires généraux et épiscopaux en place à cette période. Sous leur impulsion, une idéologie s’est imposée : le « réaménagement pastoral ».
Derrière cette expression technique se cache une véritable mutation de la conception de l’Église, qui est à l’origine du drame actuel. Avec ce réaménagement, l’appel à la conversion et l’annonce des vérités de la foi sont apparus dépassés ; les vertus conduisant à la sainteté sacerdotale ont été reléguées au second plan. La nouvelle vision de l’Église s’est alors construite autour d’un maître-mot : l’animation pastorale.
Un vocabulaire inédit s’est imposé : « les jeunes et les communautés doivent vivre quelque chose ». Mais quel est ce « quelque chose » ? Pour les promoteurs de cette approche, la question importe peu, pourvu que « ça bouge », que l’événementiel donne l’illusion d’une communauté vivante. Atteindre cet objectif supposait de transformer l’identité du prêtre, de pasteur d’une portion de l’Église, il devait devenir, avec d’autres ‘’forces vives de la paroisse’’, un agent pastoral. Peu à peu, la nature même de l’Église s’est transformée sur le modèle d’une association.
Ainsi, la catéchèse s’est appauvrie jusqu’à se réduire à un simple partage d’expériences.La liturgie, au lieu de tourner les cœurs vers le Christ, est devenue une célébration du vécu communautaire. De nombreuses homélies se sont mises au service de critères sociologiques et politique ,au détriment de l’annonce de l’Évangile.
Dans cette logique, le modèle sacerdotal promu n’était plus celui du pasteur appelé à une authentique cohérence de vie, mais celui de l’animateur.
Peu importait la fidélité morale et spirituelle des prêtres, pourvu qu’ils sachent « faire bouger » leur communauté.
Ce relativisme, conjugué aux tentations habituelles, a miné les consciences et ouvert la voie à des abus aujourd’hui mis en lumière par la presse.
Comme toute idéologie, le réaménagement pastoral a produit ses gardiens de la révolution. Leur mission : repérer les dissidents, verrouiller les nominations stratégiques et couvrir les abus des proches du système. L’évêque auxiliaire, d’abord formateur au séminaire puis évêque auxiliaire, a joué un rôle central dans ce dispositif. Son retour en grâce après les mesures conservatoires décidées par Monseigneur Ravel est choquant au même titre que les fausses allégations de l’abbé Liénard révélées par Mediapart.
Dans un contexte de peur, un nombre non négligeable de prêtre, se terrent dans le silence par crainte de représailles de menacent et d’intimidations pouvant aller, jusqu’au chantage.
Cette idéologie entretenue par ces arrangements de copinages, a crée un climat de désunion pour l’ensemble du clergé alsacien, allant jusqu’à la méfiance des uns envers les autres.
Pour un véritable relèvement
La sortie de crise ne viendra pas de nouveaux habillages administratifs mais d’un retour aux fondements de la vie de l’Église
- L’annonce courageuse des vérités de foi et l’appel à la conversion dans la catéchèse comme dans les homélies.
- La cohérence morale et spirituelle des prêtres, garants de la crédibilité de leur mission.
- La célébration digne de la liturgie, qui doit orienter les fidèles vers Dieu et non vers eux-mêmes.
Cette redécouverte des fondamentaux devra s’accompagner d’un renouvellement total de la gouvernance diocésaine, confiée à des hommes capables d’incarner cette cohérence de foi, de vie et de mission. Une visite apostolique serait judicieuse face à ce climat de souffrance.
Abbé Rémi PACLET
Abbé Frédéric MARTIN
Deux prêtres du diocèse de Strasbourg »