Les massacres se multiplient dans le centre du Nigeria, où des ONG chrétiennes dénoncent un anéantissement progressif des fidèles du Christ. Le magazine américain Newsweek rapporte les propos alarmants d’Emeka Umeagbalasi, fondateur de l’organisation Intersociety, qui affirme sans détour : « Si rien n’est fait dans les prochaines années, le christianisme cessera d’exister au Nigeria. » Son constat est glaçant, des milliers d’églises détruites, des villages chrétiens rayés de la carte, des prêtres enlevés, des familles massacrées. Selon l’ONG Open Doors, plus de 3 100 chrétiens ont été tués pour leur foi au Nigeria en 2024, soit près des deux tiers des martyrs chrétiens du monde entier. Les zones les plus touchées se situent dans le centre et le nord du pays, où des milices peules armées, Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest s’en prennent sans relâche aux communautés chrétiennes.
« Les chrétiens sont attaqués tous les deux jours », déclare Jabez Musa, avocat chrétien et défenseur des droits humains. Il décrit des raids méthodiques : « Des centaines de djihadistes arrivent à moto, armés d’AK-47, envahissent un village, brûlent, pillent et tuent. »
Pourtant, le gouvernement du président Bola Ahmed Tinubu refuse de reconnaître la dimension religieuse de ces massacres. Dans un communiqué officiel, Abuja a « catégoriquement réfuté » les accusations de génocide chrétien, estimant que présenter les violences comme une campagne contre une religion serait une « déformation de la réalité ».Cette position officielle trouve un écho dans un article publié le 2 octobre par Al Jazeera, signé par Gimba Kakanda, haut conseiller du vice-président nigérian. Sous le titre provocateur Non, Bill Maher, il n’y a pas de « génocide des chrétiens » au Nigeria (No, Bill Maher, there is no ‘Christian genocide’ in Nigeria), l’auteur s’en prend à l’humoriste américain Bill Maher, qui avait dénoncé un « massacre systématique des chrétiens » sur son émission Real Time.Selon Kakanda, les accusations de Maher et de certains médias étrangers relèveraient d’une propagande orchestrée, alimentant une image fausse d’un conflit purement religieux. Il soutient que les violences au Nigeria ont avant tout des causes ethniques, territoriales et économiques, affrontements entre éleveurs et agriculteurs, rivalités communautaires, criminalité, pauvreté et effets du changement climatique.
« Boko Haram n’est pas né pour combattre les chrétiens, mais pour s’opposer à l’État nigérian qu’il juge apostat », écrit Kakanda, ajoutant que la majorité des victimes du groupe sont des musulmans. Al Jazeera souligne par ailleurs que plusieurs dirigeants militaires nigérians sont eux-mêmes chrétiens, y compris le chef d’état-major, le général Christopher Musa, pour contredire l’idée d’un appareil d’État complice d’un prétendu génocide.
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Mais les chiffres avancés par les ONG demeurent accablants. Depuis le début de l’insurrection islamiste en 2009, plus de 19 000 églises ont été détruites selon Intersociety, et 16 millions de chrétiens auraient été déplacés en Afrique subsaharienne. Pour Newsweek, le déni du gouvernement nigérian s’apparente à une forme de complicité passive, « les soldats arrivent souvent trop tard, ou déclarent ne pas avoir compétence, tandis que les terroristes bénéficient d’amnisties et sont réintégrés dans la société », témoigne encore Jabez Musa.L’administration Tinubu, qui vante son programme de déradicalisation Operation Safe Corridor, se voit ainsi accusée de faillir à son devoir de protection envers les populations chrétiennes.
Deux récits s’affrontent désormais, d’un côté, les cris d’alarme des ONG et des témoins chrétiens qui dénoncent un nettoyage religieux systématique, de l’autre, la version officielle d’Abuja, qui rejette le terme de génocide comme une manipulation occidentale servant des agendas politiques.
Mais la réalité sur le terrain semble trancher. Dans les États du Plateau, de Benue ou de Kaduna, les cimetières s’étendent plus vite que les villages ne se reconstruisent, des paroisses entières ont disparu. Le cardinal John Onaiyekan, archevêque émérite d’Abuja, déclarait déjà en 2022 : « On ne peut pas prétendre que tout cela n’a rien à voir avec la religion. Quand on tue un prêtre à l’autel, ce n’est pas une querelle foncière. »
Alors que les chancelleries occidentales s’émeuvent des persécutions ailleurs dans le monde, le drame nigérian se déroule dans une indifférence quasi totale. Le département d’État américain se dit « préoccupé », sans toutefois reclasser le Nigeria parmi les pays de préoccupation particulière en matière de liberté religieuse.« Nous avons l’impression que les ambassades occidentales ne veulent pas voir la réalité », déplore Jabez Musa. « Le gouvernement ment, et les diplomates reprennent ses mensonges. »Les ONG chrétiennes ne prétendent pas que seuls les chrétiens souffrent, mais elles affirment que les attaques contre eux sont ciblées, répétées et s’inscrivent dans une stratégie de conquête religieuse du territoire. Le mot « génocide » peut déranger, mais il traduit une réalité, celle d’un peuple dont la foi devient une condamnation à mort.Pendant que le gouvernement de Tinubu parle de paix et de réconciliation, les croix continuent de brûler dans le centre du Nigeria, et si le monde ne veut pas nommer cette persécution pour ce qu’elle est, alors le silence finira d’accomplir ce que les armes ont commencé, l’effacement du christianisme dans la plus grande nation d’Afrique.