Le dialogue entre l’évêque de Nanterre et Éric Zemmour a révélé une gêne croissante : affirmer que la France est façonnée par quinze siècles de christianisme suffit aujourd’hui à susciter la suspicion. Pourtant, pour Monseigneur Matthieu Rougé, « l’identité chrétienne est assez solide et profonde pour être en dialogue, en débat, voire en conflit ». Le christianisme n’a jamais redouté l’altérité : pour le prélat des Hauts de Seine, il s’expose au monde depuis deux millénaires en assumant ce qu’il est.
Encore faudrait-il pouvoir le dire sans être immédiatement renvoyé à un soupçon politique
C’est ici que se joue une confusion majeure, entretenue volontairement : celle entre identité et identitarisme.
Une identité est un héritage reçu, transmis comme une langue ou une mémoire familiale ; elle n’exclut personne, elle se contente d’exister. L’identitarisme, au contraire, est une posture idéologique fondée sur le rejet. Confondre volontairement les deux relève d’une malhonnêteté intellectuelle dont la finalité est claire : disqualifier une identité légitime en la faisant passer pour une posture militante, afin que la crainte d’être taxé “d’identitaire” empêche les catholiques d’exprimer paisiblement ce qu’ils sont. Ainsi, ce qui était autrefois une évidence historique devient presque suspect.Cette logique se manifeste jusque dans des situations désormais familières : les crèches de Noël, simples symboles culturels et spirituels de la civilisation chrétienne, sont contestées au nom d’une laïcité dévoyée. Il ne s’agit plus d’assurer la neutralité de l’État, mais d’effacer un signe pourtant constitutif de l’identité française. L’interdiction des crèches dans les mairies ou les bâtiments publics illustre ce glissement où l’identité devient suspecte dès qu’elle est chrétienne, tandis que d’autres expressions religieuses s’affirment sans être accusées d’atteinte à la neutralité.
Pour éclairer le débat, l’évêque de Nanterre évoque l’écrivain Rémi Brague, membre de l’Institut. Notons que dans le cadre de l’interview qu’il avait accordée à Tribune Chrétienne, Rémi Brague avait clairement rappelé que l’Europe moderne a perdu la conscience de ses racines au point de « s’asseoir sur des trésors que nous ne songeons pas à ouvrir ». Il soulignait que l’Occident a laissé s’effondrer l’anthropologie qui le structurait, en rompant avec la vision de l’homme héritée de la tradition grecque et chrétienne. L’auteur observait aussi que la modernité glisse jusqu’à nier la nature elle-même, en prétendant que « le sexe est une construction sociale » ou que « l’homme peut être enceint ». Pour lui, une civilisation qui détache l’homme de la nature finit par se détruire elle-même.Dans la même interview, il rappelait que, dans l’islam, religion et civilisation restent étroitement liées, l’islam étant aussi une « Loi » qui structure la vie quotidienne. Cette cohérence explique pourquoi l’identité musulmane s’exprime sans hésitation.
Dès lors, il est légitime de s’interroger : pourquoi les catholiques seraient-ils les seuls à devoir taire leur identité dans le pays même où elle a façonné la culture, les institutions et l’imaginaire ?
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Cette question prend un relief particulier à la lumière des appels du pape Léon XIV. Le Saint-Père invite régulièrement les catholiques à ne pas céder à la peur face à l’islam, à refuser la crispation comme l’hostilité, mais à dialoguer sans renoncer à leur identité. Son attitude à Istanbul en demeure un signe clair : lors de sa visite à la mosquée bleue, il a refusé de s’y recueillir, geste respectueux mais ferme qui exprime l’idée qu’un dialogue sincère n’implique ni confusion ni abdication. Ce refus a marqué les esprits par sa cohérence : ouverture, mais clarté ; fraternité, mais fidélité.C’est précisément à ce point que se comprend l’insistance de Monseigneur Matthieu Rougé sur la profondeur intérieure nécessaire au chrétien : pour lui, elle n’est pas un appel au retrait, mais une invitation à habiter pleinement son identité sans crainte. L’évêque souligne la vocation du chrétien à vivre « dans le monde sans être du monde », une formule qui ne signifie pas le désengagement mais la fidélité intérieure, sans se laisser diluer par les pressions culturelles environnantes. Autrement dit, le chrétien peut dialoguer, accueillir, rencontrer, mais il ne doit jamais renoncer à ce qu’il est.
De son côté, Éric Zemmour rappelle que la coexistence religieuse en France n’est pas un concept abstrait : elle comporte des tensions concrètes que l’angélisme ne suffit plus à masquer. Le dialogue, pour être authentique, suppose la lucidité.
Rappelons que la laïcité, dans sa vocation initiale, devrait offrir à chacun la liberté d’exprimer son identité. Elle devrait donc permettre aux chrétiens d’affirmer sereinement l’héritage chrétien de la France, comme les autres traditions religieuses le font pour elles-mêmes. Mais l’on constate trop souvent qu’elle est mobilisée contre l’anthropologie chrétienne : banalisation de l’avortement, revendications autour de l’euthanasie, théories de déconstruction. Une laïcité instrumentalisée n’est plus un cadre de liberté, mais une arme idéologique.Au terme de cette réflexion, une évidence demeure : un peuple a le droit d’assumer l’héritage qui l’a façonné. Les catholiques français ne demandent ni privilège ni domination, mais la liberté de dire ce qu’ils sont. Assumer l’identité chrétienne de la France n’est pas un repli, mais une fidélité à la vérité. Et dans une société où toutes les identités devraient pouvoir s’exprimer librement, les chrétiens n’ont aucune raison de s’excuser d’être ce qu’ils sont.


