Réponse à Céline Hoyeau, journaliste à La Croix, par Philippe Marie.
Alors que de nouvelles accusations visent l’abbé Pierre, il est important de se demander si la véritable justice pour les victimes nécessite vraiment l’effacement total de l’œuvre de cet homme, dont les actions ont marqué profondément la charité en France. Accabler sans fin la mémoire de l’abbé Pierre, comme si sa vie entière devait être jugée uniquement à travers les accusations récentes, ne réparera pas les blessures du passé.
L’abbé Pierre, comme tous les hommes, était marqué par le péché et par le mal originel. Étaler à longueur de colonnes cet aspect de sa vie ne peut que ternir l’Église et ses actions accomplies au profit des plus pauvres. Il est essentiel de se demander si c’est « faire justice » aux victimes, 70 ans après les faits en détruisant la totalité de l’œuvre d’un homme qui, malgré ses actes insupportables, a accompli de grandes choses.
Les victimes se sentiront-elles soulagées en voyant effacé d’un coup tout ce que l’abbé Pierre a construit pour les plus démunis ?
La justice divine se manifestera lorsque l’âme de l’abbé Pierre pourra, si tel est le cas, implorer le pardon de Dieu. La justice humaine, aussi nécessaire soit-elle, ne peut effacer le mal, à peine peut-elle le soulager, mais la calomnie destructrice est-elle la meilleure voie à utiliser ?
Il est consternant de voir certains se délecter du sordide autour de ces révélations. Alors que l’Église est fréquemment attaquée par des blasphèmes, des caricatures insultantes et autres agressions en tous genres elle réagit souvent par un silence étrange. En revanche, lorsqu’il s’agit de détruire la mémoire d’un homme, et d’un homme d’Église, on observe une indignation surjouée et une contrition de circonstance.
Cette auto-flagellation médiatique excessive, à laquelle certains dignitaires de l’Église de France semblent prendre goût, contribue-t-elle à installer une Église qui se respecte et qui mérite le respect ?
Il semble disproportionné de vouloir régler les problèmes de silence et d’abus au sein de l’Église en effaçant d’un coup toute l’œuvre de l’abbé Pierre. À qui cela profite-t-il ? Il est légitime de se demander si certains ne se réjouissent pas de voir toute référence à l’abbé Pierre gommée de l’œuvre de charité, précisément car il était abbé. Les idéologues de l’Eglise se frottent les mains car au nom des crimes commis on va forcément davantage les écouter débiter leurs solutions » plus justes, plus inclusives,plus raisonnées », comme le mariage des prêtres par exemple.
L’abbé Pierre et Jean Vanier, aussi monstrueux que soient les abus qu’ils ont commis, ont accompli des choses remarquables. Qui a prétendu que ces hommes étaient des saints ? Mais pourquoi persister à les peindre uniquement comme des diables ? Détruire des figures religieuses et caritatives au nom de l’imparfaite justice humaine ne semble pas être le meilleur moyen de faire avancer l’Église.
L’esprit critique revendiqué par certains paraît vouloir établir des règles qui, de toute façon, ne suffiront pas à éradiquer le mal sur terre. Seule la grâce divine peut accomplir cela. Un peu de modestie et de discernement sont nécessaires pour naviguer dans ces eaux troubles.