Dans sa lettre apostolique publiée à l’occasion du centenaire de l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne, le pape Léon XIV propose une réflexion ample et ferme sur l’importance de la mémoire chrétienne, montrant comment l’archéologie demeure un outil décisif pour l’intelligence de la foi et pour la mission de l’Église. Loin d’être une discipline marginale, elle devient, sous sa plume, un moyen pastoral, un langage théologique et un instrument d’unité.En rappelant le contexte de la fondation de l’Institut par Pie XI au lendemain de la Première Guerre mondiale, le pape Léon XIV établit un parallèle avec l’époque actuelle marquée par les crises, les conflits et la perte de repères. Comme son prédécesseur, il affirme que l’étude rigoureuse du passé éclaire le présent et prépare l’avenir. L’archéologie, liée à la formation théologique, devient ainsi une école de discernement, invitant les croyants à comprendre comment la foi s’est incarnée dans le temps, dans la matière, dans l’histoire.
Léon XIV reprend avec force l’idée que le christianisme n’est pas une idéologie mais un événement historique dont les lieux, les traces et les objets témoignent. La démarche archéologique, précise-t-il, permet de saisir « que rien de ce qui a été touché par la foi n’est insignifiant ». Cet accent sur la dimension concrète de la Révélation rejoint une intuition constante du magistère contemporain, notamment lorsqu’il rappelle l’importance de la mémoire ecclésiale dans l’œuvre d’évangélisation.
Parmi les passages les plus marquants du texte, celui sur l’identité des chrétiens résonne particulièrement dans le contexte culturel actuel. Le pape écrit :
« Celui qui connaît son histoire sait qui il est. Il sait où aller. Il sait de qui il est le fils et quelle est l’espérance à laquelle il est appelé. Les chrétiens ne sont pas orphelins, ils ont une généalogie dans la foi, une tradition vivante, une communion avec des témoins. »
Lire aussi
Cette formulation, soulignée par Léon XIV lui-même dans la structure du document, répond à l’une des fragilités majeures de notre époque, marquée par la rupture avec la tradition et par l’effacement des liens intergénérationnels. En insistant sur la généalogie spirituelle, le pape rappelle que la foi se transmet aussi par des traces visibles : tombes, inscriptions, maisons de croyants, lieux de culte. Ces témoins silencieux confirment que la foi chrétienne est enracinée dans une histoire qui engage des visages et des communautés.Dans cet esprit, l’archéologie devient une pédagogie de la fidélité. Elle permet d’éduquer les chrétiens à se reconnaître héritiers d’une longue continuité et non simples individus isolés. Elle répond à la tentation de l’amnésie culturelle qui menace la cohésion de l’Église comme celle des sociétés.
Le pape Léon XIV insiste sur la portée théologique de la discipline. L’archéologie, écrit-il, permet d’éviter une théologie désincarnée qui oublierait que la Révélation s’est exprimée dans des contextes culturels précis. Elle invite à relire la tradition vivante au-delà des reconstructions idéalisées, en accueillant aussi les fragilités et les ruptures qui appartiennent à l’histoire réelle de l’Église.
Il souligne également la dimension pastorale de cette science, qui s’adresse aux croyants comme aux non-croyants. L’émotion que suscitent les catacombes, les sanctuaires des martyrs ou les premiers lieux de culte peut rejoindre ceux qui sont loin de la foi et les ouvrir à la question du sens. L’archéologie chrétienne parle aux jeunes, aux chercheurs, aux pèlerins. Elle relie les générations, rapproche les confessions chrétiennes grâce à des patrimoines partagés, et devient un pont culturel dans un monde fragmenté.Comme Pie XI voici cent ans, Léon XIV encourage les évêques et les responsables de la culture à soutenir la formation de nouvelles générations d’archéologues. Il rappelle que cette vocation sert l’Église et l’humanité en préservant une mémoire commune, en développant une approche respectueuse de la matière, en défendant la valeur de la beauté. Loin d’être un domaine élitiste, l’archéologie chrétienne est présentée comme un service ecclésial et une forme de charité envers ceux dont l’histoire a été oubliée.
La lettre apostolique s’achève sur une bénédiction adressée à tous ceux qui travaillent à la conservation et à l’étude du patrimoine chrétien. Fidèle à une vision incarnée de la foi, Léon XIV montre que la mémoire n’est pas un refuge mais un levier pour la mission. En rappelant que l’archéologie ouvre à l’espérance, il invite l’Église à tenir ensemble l’enracinement et la nouveauté, la tradition et la créativité de l’Esprit.
« LETTRE APOSTOLIQUE DU SAINT-PÈRE LÉON XIV SUR L’IMPORTANCE DE L’ARCHÉOLOGIE DE L’INSTITUT PONTIFICAL D’ARCHÉOLOGIE CHRÉTIENNE
À l’occasion du centenaire de la fondation de l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne, je ressens le devoir et la joie de partager quelques réflexions que je considère importantes pour le cheminement de l’Église à notre époque. Je le fais avec un cœur reconnaissant, conscient que la mémoire du passé, éclairée par la foi et purifiée par la charité, nourrit l’espérance.
En 1925, un “Jubilé de la paix” avait été proclamé dans le but d’apaiser les atroces blessures de la Première Guerre mondiale ; et il est significatif que le centenaire de l’Institut coïncide avec un nouveau Jubilé, qui, aujourd’hui encore, veut offrir des perspectives d’espérance à une humanité tourmentée par de nombreuses guerres.
Notre époque, marquée par des changements rapides, des crises humanitaires et des transitions culturelles, exige non seulement le recours à des connaissances anciennes et nouvelles, mais aussi la recherche d’une sagesse profonde capable de préserver et de transmettre pour l’avenir ce qui est vraiment essentiel. C’est dans cette perspective que je tiens à réaffirmer avec force que l’archéologie est une composante indispensable de l’interprétation du christianisme et donc de la formation catéchétique et théologique. Elle n’est pas seulement une discipline spécialisée réservée à quelques experts, mais une voie accessible à tous ceux qui souhaitent comprendre l’incarnation de la foi dans le temps, dans les lieux et dans les cultures. Pour nous, chrétiens, l’histoire est un fondement crucial : nous accomplissons en effet notre pèlerinage de la vie dans la réalité concrète de l’histoire qui est aussi le cadre dans lequel se déploie le mystère du salut. Chaque chrétien est appelé à fonder son existence sur une Bonne Nouvelle qui part de l’Incarnation historique du Verbe de Dieu (cf. J 1, 14).
Comme nous l’a rappelé notre bien-aimé Pape François, « Personne ne peut vraiment savoir qui il est et ce qu’il entend être demain sans nourrir le lien qui l’unit aux générations qui l’ont précédé. Et ce, non seulement au niveau de l’histoire de l’individu, mais aussi au niveau plus large des communautés. En effet, étudier et raconter l’histoire aide à maintenir allumée la flamme de la conscience collective, faute de quoi il ne reste que la mémoire personnelle de faits liés à l’intérêt personnel ou à ses émotions, sans lien réel avec la communauté humaine et ecclésiale dans laquelle nous vivons ».[1]
La Maison de l’archéologie
Avec le Motu Proprio “I primitivi cemeteri” (Les premiers cimetières) du 11 décembre 1925, le Pape Pie XI consacrait un projet ambitieux et visionnaire : la fondation d’un Institut de formation supérieure, c’est-à-dire doctorale, qui, en coordination avec la Commission d’Archéologie Sacrée et l’Académie Pontificale Romaine d’Archéologie, aurait pour mission d’orienter, avec la plus grande rigueur scientifique, les études sur les monuments du christianisme antique afin de reconstituer la vie des premières communautés, formant ainsi « des Professeurs d’archéologie chrétienne pour les universités et les séminaires, des directeurs de fouilles archéologiques, des conservateurs de monuments sacrés, de musées, etc. ».[2] Selon la vision de Pie XI, l’archéologie est indispensable à la reconstruction exacte de l’histoire qui, en tant que « lumière de vérité et témoin des temps, si elle est correctement consultée et diligemment examinée »,[3] montre aux peuples la fécondité des racines chrétiennes et les fruits pour le bien commun qui peuvent en découler, accréditant ainsi également l’œuvre d’évangélisation.
Au cours de toutes ces années, l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne a formé des centaines d’archéologues du christianisme antique provenant, comme les professeurs eux-mêmes, de toutes les parties du monde, qui, de retour dans leur pays, ont occupé d’importantes fonctions d’enseignement ou de conservation. Il a promu la recherche, à Rome et dans tout le monde chrétien. Il a joué un rôle international efficace dans la promotion de l’archéologie chrétienne, tant par l’organisation de congrès cycliques et de nombreuses autres initiatives scientifiques, que par des relations étroites et des échanges constants avec des universités et des centres d’études du monde entier.
À certains moments, l’Institut a su promouvoir la paix et le dialogue religieux, en organisant par exemple le XIIIe Congrès international à Split pendant la guerre en ex-Yougoslavie – un choix difficile et controversé dans le milieu universitaire – [4] ou en confirmant son opérationnalité par des missions à l’étranger dans des pays politiquement instables. Il n’a jamais dérogé à ses objectifs de formation supérieure, privilégiant le contact direct avec les sources écrites et les monuments, traces visibles et incontestables des premières communautés chrétiennes, à travers des visites, notamment des catacombes et des églises de Rome, et des voyages d’étude annuels dans les zones géographiques concernées par la diffusion du christianisme.
Lorsque les exigences pédagogiques et les sollicitations extérieures l’ont exigé, notamment ces dernières années avec le processus de Bologne, signé par le Saint-Siège, pour l’élaboration d’un système d’enseignement supérieur cohérent en Europe, l’Institut a mis à jour les disciplines et les parcours de formation, sans jamais s’écarter des objectifs et de l’esprit de ses fondateurs. Il a continué à suivre les traces des pionniers de l’archéologie chrétienne, en particulier Giovanni Battista de Rossi, « chercheur infatigable, qui jeta les bases d’une discipline scientifique ».[5] C’est à lui que l’on doit, dans la seconde moitié du XIXe siècle, la découverte de la plupart des cimetières chrétiens hors des murs de Rome, ainsi que l’étude des sanctuaires des martyrs des persécutions – notamment celles de Dèce, Valérien et Dioclétien – et de leur évolution à partir de l’époque de Constantin qui ont attiré un pèlerinage de plus en plus florissant jusqu’au haut Moyen Âge.
Cela a permis de rendre service à l’Église qui a pu compter sur l’Institut comme promoteur des connaissances sur les témoignages matériels du christianisme des origines, et sur les martyrs qui représentent encore aujourd’hui des exemples d’une foi brillante et courageuse. Le service rendu par l’Institut a également été concret puisqu’il est intervenu dans les fouilles – entreprises par la Fabrique de Saint-Pierre – de la tombe de l’Apôtre Pierre sous l’autel de la Confession de la basilique du Vatican et, plus récemment, dans les recherches menées par les Musées du Vatican à Saint-Paul-hors-les-Murs.
L’archéologie comme école d’incarnation
Aujourd’hui, nous sommes appelés à nous demander : à l’ère de l’intelligence artificielle et des recherches dans les galaxies infinies de l’univers, quel peut encore être le rôle fructueux de l’archéologie chrétienne pour la société et pour l’Église ?
Le christianisme n’est pas né d’une idée, mais d’une chair ; ni d’un concept abstrait, mais d’un sein, d’un corps, d’un tombeau. La foi chrétienne, dans son cœur le plus authentique, est historique : elle se fonde sur des événements concrets, sur des visages, sur des gestes, sur des paroles prononcées dans une langue, à une époque, dans un environnement.[6] C’est ce que l’archéologie rend évident, palpable. Elle nous rappelle que Dieu a choisi de parler dans un langage humain, de marcher sur une terre, d’habiter des lieux, des maisons, des synagogues, des rues.
On ne peut pas comprendre pleinement la théologie chrétienne sans comprendre les lieux et les traces matérielles qui témoignent de la foi des premiers siècles. Ce n’est pas un hasard si l’évangéliste Jean ouvre sa première Lettre par une sorte de déclaration sensorielle : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie » (1 Jn 1, 1). L’archéologie chrétienne est, en quelque sorte, une réponse fidèle à ces paroles. Elle cherche à toucher, à voir, à écouter le Verbe qui s’est fait chair. Non pas pour s’arrêter à ce qui est visible, mais pour se laisser conduire au Mystère qui s’y cache.
L’archéologie, en s’occupant des vestiges matériels de la foi, éduque à une théologie des sens : une théologie qui sait voir, toucher, sentir, écouter. L’archéologie chrétienne éduque à cette sensibilité. En fouillant parmi les pierres, les ruines, les objets, elle nous enseigne que rien de ce qui a été touché par la foi n’est insignifiant. Même un fragment de mosaïque, une inscription oubliée, un graffiti sur un mur de catacombe peuvent raconter la biographie de la foi. En ce sens, l’archéologie est aussi une école d’humilité : elle nous enseigne à ne pas mépriser ce qui est petit, ce qui est apparemment secondaire. Elle nous apprend à lire les signes, à interpréter le silence et l’énigme des choses, à deviner ce qui n’est plus écrit. C’est une science du seuil, qui se situe entre l’histoire et la foi, entre la matière et l’Esprit, entre l’ancien et l’éternel.
Nous vivons à une époque où l’usage et la consommation ont pris le dessus sur la conservation et le respect. L’archéologie, en revanche, nous enseigne que même le plus petit témoignage mérite notre attention, que chaque trace a une valeur, que rien ne peut être rejeté. En ce sens, elle est une école de durabilité culturelle et d’écologie spirituelle. C’est une éducation au respect de la matière, de la mémoire, de l’histoire. L’archéologue ne jette pas, mais conserve. Il ne consomme pas, mais contemple. Il ne détruit pas, mais déchiffre. Son regard est patient, précis, respectueux. C’est un regard qui sait saisir dans un morceau de céramique, dans une pièce de monnaie corrodée, dans une gravure usée, le souffle d’une époque, le sens d’une foi, le silence d’une prière. C’est un regard qui peut aussi enseigner beaucoup à la pastorale et à la catéchèse d’aujourd’hui.
D’autre part, les outils technologiques les plus modernes permettent d’obtenir de nouvelles informations à partir de découvertes autrefois considérées comme insignifiantes. Cela nous rappelle que rien n’est vraiment inutile ou perdu. Même ce qui semble marginal peut, à la lumière de nouvelles questions et de nouvelles méthodes, restituer des significations profondes. En cela, l’archéologie est aussi une école d’espérance.
Dans la Constitution apostolique Veritatis gaudium, il est affirmé que l’archéologie, tout comme l’histoire de l’Église et la patrologie, doit faire partie des disciplines fondamentales de la formation théologique.[7] Il ne s’agit donc pas d’un ajout accessoire mais d’un principe pédagogique profond : ceux qui étudient la théologie doivent savoir d’où vient l’Église, comment elle a vécu, quelles formes la foi a prises au fil des siècles. L’archéologie ne nous parle pas seulement d’objets mais aussi de personnes : leurs maisons, leurs tombes, leurs églises, leurs prières. Elle nous parle de la vie quotidienne des premiers chrétiens, des lieux de culte, des formes de l’annonce. Elle nous parle de la manière dont la foi a façonné les espaces, les villes, les paysages, les mentalités. Elle nous aide à comprendre comment la révélation s’est incarnée dans l’histoire, comment l’Évangile a trouvé des mots et des formes au sein des cultures. Une théologie qui ignore l’archéologie risque de devenir désincarnée, abstraite, idéologique. En revanche, une théologie qui accueille l’archéologie comme une alliée est une théologie qui écoute le corps de l’Église, qui interroge ses blessures, qui lit ses signes, qui se laisse toucher par son histoire.
La profession d’archéologue est, en grande partie, une profession “tactile”. Les archéologues sont les premiers, après des siècles, à toucher une matière enfouie qui conserve l’énergie du temps. Mais la tâche de l’archéologue chrétien ne s’arrête pas à la matière, elle va au-delà, jusqu’à l’humain. Il étudie non seulement les vestiges, mais aussi les mains qui les ont forgés, les esprits qui les ont conçus, les cœurs qui les ont aimés. Derrière chaque objet, il y a une personne, une âme, une communauté. Derrière chaque ruine, un rêve de foi, une liturgie, une relation. L’archéologie chrétienne est donc aussi une forme de charité : elle est une manière de faire parler les silences de l’histoire, de redonner leur dignité à ceux qui ont été oubliés, de mettre en lumière la sainteté anonyme de tant de fidèles qui ont fait l’Église.
Une mémoire pour évangéliser
Depuis les origines du christianisme, la mémoire a joué un rôle fondamental dans l’évangélisation. Il ne s’agit pas d’un simple souvenir, mais d’une réactualisation vivante du salut. Les premières communautés chrétiennes conservaient, outre les paroles de Jésus, les lieux, les objets et les signes de sa présence. Le tombeau vide, la maison de Pierre à Capharnaüm, les tombes des martyrs, les catacombes romaines : tout concourait à témoigner que Dieu était véritablement entré dans l’histoire et que la foi n’était pas une philosophie, mais un chemin concret dans la chair du monde.
Le Pape François a écrit que, dans les catacombes, « on trouve les nombreux signes du pèlerinage chrétien des origines : je pense, par exemple, aux graffitis très importants de la triclia des catacombes de Saint-Sébastien, la Memoria Apostolorum, où l’on vénérait ensemble les reliques des apôtres Pierre et Paul. Nous découvrons ensuite, dans ces galeries, les symboles et les représentations chrétiennes les plus anciens, qui témoignent de l’espérance chrétienne. Dans les catacombes, tout parle d’espérance, tout : on y parle de la vie après la mort, de la libération des dangers et de la mort elle-même par l’œuvre de Dieu qui, dans le Christ, le Bon Pasteur, nous appelle à participer à la béatitude du Paradis, évoquée par des représentations de plantes luxuriantes, de fleurs, de prairies verdoyantes, de paons et de colombes, de brebis au pâturage… Tout parle d’espérance et de vie ! ».[8]
C’est encore aujourd’hui la tâche de l’archéologie chrétienne : aider l’Église à se souvenir de ses origines, à conserver la mémoire vivante de ses débuts, à raconter l’histoire du salut non seulement avec des mots, mais aussi avec des images, des formes, des espaces. À une époque où l’on perd souvent ses racines, l’archéologie devient ainsi un instrument précieux d’évangélisation qui part de la vérité de l’histoire pour ouvrir à l’espérance chrétienne et à la nouveauté de l’Esprit.
L’archéologie chrétienne nous montre comment l’Évangile a été accueilli, interprété, célébré dans différents contextes culturels ; elle nous montre comment la foi a façonné la vie quotidienne, la ville, l’art, le temps. Elle nous invite à poursuivre ce processus d’inculturation, afin que l’Évangile puisse encore aujourd’hui trouver sa place dans les cœurs et les cultures du monde contemporain. En ce sens, elle ne se contente pas de regarder vers le passé : elle s’adresse au présent et oriente vers l’avenir. Elle s’adresse aux croyants qui redécouvrent les racines de leur foi, mais elle s’adresse aussi à ceux qui sont éloignés, aux non-croyants, à ceux qui s’interrogent sur le sens de la vie et trouvent, dans le silence des tombes et la beauté des basiliques paléochrétiennes, un écho d’éternité. Elle parle aux jeunes qui recherchent souvent l’authenticité et le concret ; elle parle aux chercheurs qui voient dans la foi non pas une abstraction mais une réalité historiquement documentée ; elle parle aux pèlerins qui retrouvent dans les catacombes et les sanctuaires le sens du cheminement et l’invitation à la prière pour l’Église.
À une époque où l’Église est appelée à s’ouvrir aux périphéries – géographiques et existentielles –, l’archéologie peut être un puissant instrument de dialogue. Elle peut contribuer à créer des ponts entre des mondes éloignés, entre des cultures différentes, entre les générations. Elle peut témoigner que la foi chrétienne n’a jamais été une réalité fermée, mais une force dynamique, capable de pénétrer dans les tissus les plus profonds de l’histoire humaine.
Savoir voir au-delà : l’Église entre temps et éternité
La grandeur de la mission archéologique se mesure également à sa capacité à situer l’Église dans la tension entre le temps et l’éternité. Chaque découverte, chaque fragment mis au jour nous dit que le christianisme n’est pas une idée suspendue, mais un corps qui a vécu, qui a célébré, qui a habité l’espace et le temps. La foi n’est pas en dehors du monde, mais dans le monde. Elle n’est pas contre l’histoire, mais dans l’histoire.
Pourtant, l’archéologie ne se limite pas à décrire la matérialité des choses. Elle nous conduit au-delà : elle nous fait entrevoir la force d’une existence qui transcende les siècles, qui ne s’épuise pas dans la matière, mais la dépasse. Ainsi, par exemple, dans la lecture des sépultures chrétiennes, nous voyons l’attente de la résurrection au-delà de la mort ; dans la disposition des absides, nous percevons, au-delà d’un calcul architectural, l’orientation vers le Christ ; dans les traces du culte, nous reconnaissons, au-delà d’un rituel, l’aspiration au Mystère.
Dans une perspective plus systématique, on peut affirmer que l’archéologie a aussi une importance spécifique en théologie de la Révélation. Dieu a parlé dans le temps, à travers des événements et des personnes. Il a parlé dans l’histoire d’Israël, dans l’histoire de Jésus, dans le cheminement de l’Église. La Révélation est donc toujours historique. Mais si tel est le cas, alors la compréhension de la Révélation ne peut faire abstraction d’une connaissance adéquate des contextes historiques, culturels et matériels dans lesquels elle s’est réalisée. L’archéologie chrétienne contribue à cette connaissance. Elle éclaire les textes par des témoignages matériels. Elle interroge les sources écrites, les complète, les problématise. Dans certains cas, elle confirme l’authenticité des traditions ; dans d’autres, elle les replace dans leur juste contexte ; dans d’autres encore, elle soulève de nouvelles questions. Tout cela est théologiquement pertinent. Car une théologie qui se veut fidèle à la Révélation doit rester ouverte à la complexité de l’histoire.
L’archéologie montre en outre comment le christianisme s’est progressivement articulé dans le temps, en affrontant des défis, des conflits, des crises, des moments de splendeur et d’obscurité. Cela aide la théologie à abandonner les visions idéalisées ou linéaires du passé et à entrer dans la vérité du réel : une vérité faite de grandeur et de limites, de sainteté et de fragilité, de continuité et de ruptures. Et c’est précisément dans cette histoire réelle, concrète, souvent contradictoire, que Dieu a voulu se manifester.
Ce n’est pas un hasard, enfin, si chaque approfondissement du mystère de l’Église s’accompagne d’un retour aux origines. Non pas par un simple désir de restauration, mais par une recherche d’authenticité. L’Église se réveille et se renouvelle lorsqu’elle revient s’interroger sur ce qui l’a fait naître, sur ce qui la définit en profondeur. L’archéologie chrétienne peut apporter une grande contribution en ce sens. Elle nous aide à distinguer l’essentiel du secondaire, le noyau originel des incrustations de l’histoire.
Mais attention : il ne s’agit pas d’une opération qui réduirait la vie ecclésiale à un culte du passé. La véritable archéologie chrétienne n’est pas une conservation stérile, mais une mémoire vivante. Elle est une capacité à faire parler le passé. Elle est une sagesse dans le discernement de ce que le Saint-Esprit a suscité dans l’histoire. Elle est une fidélité créative, non une imitation mécanique. C’est pourquoi l’archéologie chrétienne peut offrir un langage commun, une base partagée, une mémoire réconciliée. Elle peut aider à reconnaître la pluralité des expériences ecclésiales, la variété des formes, l’unité dans la diversité. Elle peut devenir un lieu d’écoute, un espace de dialogue, un instrument de discernement.
La valeur de la communion académique
En 1925, lorsque Pie XI voulut fonder l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne, il le fit malgré les difficultés économiques et le climat incertain de l’après-guerre. Il le fit avec courage, avec clairvoyance, avec confiance dans la science et dans la foi. Aujourd’hui, cent ans plus tard, ce geste nous interpelle. Il nous demande si nous sommes, nous aussi, capables de croire en la force de l’étude, de la formation, de la mémoire ; il nous demande si nous sommes prêts à investir dans la culture malgré la crise, à promouvoir la connaissance malgré l’indifférence, à défendre la beauté même lorsqu’elle semble marginale. Être fidèle à l’esprit des fondateurs ce n’est pas se contenter de ce qui a déjà été fait, mais relancer. C’est former des personnes capables de penser, d’interroger, de discerner, de raconter. Ce n’est pas se fermer dans un savoir élitiste, mais partager, diffuser, impliquer.
En ce centenaire, je tiens également à réaffirmer l’importance de la communion entre les différentes institutions qui s’occupent d’archéologie. L’Académie Pontificale Romaine d’Archéologie, la Commission Pontificale d’Archéologie Sacrée, l’Académie Pontificale Cultorum Martyrum, l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne. Chacune a sa spécificité, mais toutes partagent la même mission. Il est nécessaire qu’elles collaborent, qu’elles communiquent, qu’elles se soutiennent, qu’elles établissent des synergies, qu’elles élaborent des projets communs, qu’elles promeuvent des réseaux internationaux.
L’archéologie chrétienne n’est pas réservée à quelques-uns mais elle est une ressource pour tous. Elle peut apporter une contribution originale à la connaissance de l’humanité, au respect de la diversité, à la promotion de la culture.
Même les relations avec l’Orient chrétie peuvent trouver un terrain fertile dans l’archéologie. Les catacombes communes, les églises partagées, les pratiques liturgiques similaires, les martyrologes convergents : tout cela constitue un patrimoine spirituel et culturel qu’il convient de valoriser ensemble.
Éduquer à la mémoire, préserver l’espérance
Nous vivons dans un monde qui tend à oublier, qui va vite, qui consomme des images et des mots sans en retenir le sens. L’Église, en revanche, est appelée à éduquer à la mémoire, et l’archéologie chrétienne est l’un de ses instruments les plus nobles pour le faire. Non pas pour se réfugier dans le passé, mais pour habiter le présent en pleine conscience, pour construire l’avenir avec des racines.
Celui qui connaît son histoire sait qui il est. Il sait où aller. Il sait de qui il est le fils et quelle est l’espérance à laquelle il est appelé. Les chrétiens ne sont pas orphelins : ils ont une généalogie dans la foi, une tradition vivante, une communion avec des témoins. L’archéologie chrétienne rend visible cette généalogie, elle en conserve les signes, les interprète, les raconte, les transmet. En ce sens, elle est aussi un ministère d’espérance. Car elle montre que la foi a déjà traversé des époques difficiles. Elle a résisté aux persécutions, aux crises, aux changements. Elle a su se renouveler, se réinventer, s’enraciner dans de nouveaux peuples, s’épanouir sous de nouvelles formes. Ceux qui étudient les origines chrétiennes constatent que l’Évangile a toujours eu une force génératrice, que l’Église est toujours renaissante, que l’espérance n’a jamais failli.
***
Je m’adresse aux évêques et aux responsables de la culture et de l’éducation : encouragez les jeunes, laïcs et prêtres, à étudier l’archéologie qui offre de nombreuses perspectives de formation et de professions au sein des institutions ecclésiastiques et civiles, dans le monde universitaire et social, dans les domaines de la culture et de la conservation.
Enfin, je m’adresse à vous, frères et sœurs, savants, enseignants, étudiants, chercheurs, professionnels du patrimoine culturel, responsables ecclésiastiques et laïcs : votre travail est précieux. Ne vous laissez pas décourager par les difficultés. L’archéologie chrétienne est un service, une vocation, une forme d’amour pour l’Église et pour l’humanité. Continuez à fouiller, à étudier, à enseigner, à raconter. Soyez infatigables dans la recherche, rigoureux dans l’analyse, passionnés dans la transmission. Et surtout, restez fidèles au sens profond de votre engagement : rendre visible le Verbe de vie, témoigner que Dieu s’est fait chair, que le salut a laissé des traces, que le Mystère s’est fait récit historique.
Que la Bénédiction du Seigneur vous accompagne tous. Que la communion de l’Église vous soutienne. Que la lumière du Saint-Esprit, qui est mémoire vivante et créativité inépuisable, vous inspire. Et que la Vierge Marie, qui a su méditer toute chose dans son cœur, unissant le passé et l’avenir dans le regard de la foi, vous garde.
Du Vatican, le 11 décembre 2025
LÉON PP. XIV
_______________________
[1] François, Lettre sur le renouveau de l’étude de l’histoire de l’Église (21 novembre 2024) : AAS 116 (2024), 1590.
[2] Règlement de l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne (11 décembre 1925), art. 1: Rivista di Archeologia Cristiana della Pontificia Commissione di archeologia sacra, 3 (1926), 21.
[3] Pie XI, Lett. enc. Lux Veritatis (25 décembre 1931), Préambule : AAS 23 (1931), 493.
[4] P. Saint-Roch, Discours inaugural : sous la direction de N. Cambi – E. Marin, Acta XIII Congressus Internationalis Archaeologiae Christianae, I, Cité du Vatican 1998, 66-67.
[5] François, Lettre du Saint-Père François au Cardinal Gianfranco Ravasi à l’occasion de la XXVe séance publique des Académies pontificales (1er février 2022) : AAS 114 (2022), 211.
[6] Par exemple, dans le Credo, nous avons la référence à Ponce Pilate, un personnage historique qui permet de dater les événements rappelés.
[7] Congrégation pour l’Éducation Catholique, Normes d’application pour l’exécution fidèle de la Const. ap.Veritatis gaudium (27 décembre 2017), art. 55, 1º b : AAS 110 (2018), 149.
[8] François, Discours aux participants à la Session plénière de la Commission Pontificale d’Archéologie Sacrée (17 mai 2024) : AAS 116 (2024), 697-698. »
Source Vatican


