Au cœur du vallon de Fontenelle, l’abbaye de Saint-Wandrille incarne treize siècles de prière, de travail et de fidélité bénédictine. Fondée en 649 par saint Wandrille, ravagée puis reconstruite, la communauté poursuit aujourd’hui cette tradition spirituelle, tout en faisant vivre une activité unique en France, une bière entièrement brassée par les moines eux-mêmes, fruit d’une aventure communautaire audacieuse et profondément enracinée dans la vocation monastique.

Saint-Wandrille s’élève dans le silence verdoyant de Rives-en-Seine, lieu chargé d’histoire où, depuis le VIIe siècle, se déploie une vie monastique ininterrompue, malgré les destructions, les exils et les renaissances successives. Son fondateur, Wandrille, issu d’une famille noble de la région de Verdun, avait servi le roi Dagobert avec talent, promis à une brillante carrière. Cependant, une quête intérieure plus profonde l’amena à renoncer à ses privilèges. Marié par obéissance à ses parents, il choisit avec son épouse de consacrer sa vie à Dieu et distribua ses biens aux pauvres avant de rejoindre des ermites. Un songe le conduisit ensuite à Bobbio, le monastère fondé par saint Colomban, où il demeura une dizaine d’années, puis à Romainmôtier où il approfondit la vie communautaire.
Lorsque son ami Dadon, futur saint Ouen, devint évêque de Rouen, Wandrille le rejoignit, fut ordonné prêtre et participa à l’évangélisation des païens. Cependant il aspirait à la solitude et à la prière. En 649, saint Ouen l’autorisa à s’installer dans le vallon de Fontenelle, sur des terres marécageuses que les premiers moines défrichèrent et asséchèrent avec patience. Ils bâtirent une église dédiée à saint Pierre et plusieurs oratoires. Wandrille mourut le 22 juillet 668, laissant derrière lui une fondation appelée à traverser les siècles.
L’histoire de l’abbaye fut marquée par une alternance d’essor et de tragédies. Après une période florissante sous Anségise, les invasions normandes frappèrent durement le monastère. En 852, les Vikings incendièrent l’abbaye, contraignant les moines à l’exil pendant plus d’un siècle. Leur retour en 960 sous l’abbé Maynard de Gand inaugura une reconstruction vigoureuse et de nouvelles fondations, dont celle du Mont-Saint-Michel. Les guerres de religion, les abbés commendataires et les crises du XVIe siècle affaiblirent ensuite la vie monastique. En 1636, des moines de Jumièges instaurèrent la réforme mauriste qui redonna vigueur spirituelle et intellectuelle à la communauté. Puis la Révolution française mit fin à la vie conventuelle et transforma les bâtiments en divers ateliers industriels.
Ce n’est qu’en 1894, grâce à des moines venus de Ligugé, que la vie bénédictine reprit à Saint-Wandrille. Un nouvel exil survint en 1901 et l’abbaye accueillit successivement Maurice Maeterlinck, Georgette Leblanc puis l’aviateur Jean Latham avant que les moines puissent revenir définitivement en 1931. Bombardée en 1944, elle fut reconstruite durant l’après-guerre, puis dotée d’une nouvelle abbatiale entre 1967 et 1969.
Aujourd’hui, environ trente frères vivent à Saint-Wandrille sous l’autorité du très révérend père dom Jean-Charles Nault.
Quarante moines de Fontenelle sont honorés comme saints, signe de l’exigence spirituelle qui habite encore ce lieu. Fidèles à la Règle de saint Benoît, les frères consacrent leur vie à la prière liturgique et personnelle, au travail communautaire et à la vie fraternelle. La lectio divina nourrit leur intériorité et les offices jalonnent leur journée depuis les vigiles jusqu’aux complies. Cette fidélité n’exclut pas la créativité, la communauté ayant toujours façonné des activités au service du monastère et de sa mission. Ainsi les moulins, la boulangerie et la brasserie médiévale furent suivis, au XXe siècle, par la fabrique de cire Melitta, puis par l’activité de microcopie. Aujourd’hui, trois pôles principaux prolongent cet héritage, la restauration d’œuvres peintes avec l’atelier Renascentis, la conservation d’archives avec Ascendoc et la brasserie, devenue un véritable symbole du renouveau monastique de Saint-Wandrille.
La naissance de la brasserie fut un pari inattendu. À la fin de l’année 2014, après la fermeture de l’atelier de micrographie, les moines réfléchirent à une activité artisanale capable d’impliquer toute la communauté et de proposer un produit de qualité dans leur boutique.

« L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération »
L’idée de brasser une bière surgit et, malgré son audace, plusieurs rencontres providentielles les convinrent que ce projet était juste. En 2015, deux frères partirent se former à Douai, tandis qu’un biérologue initia quatre autres moines à l’art de la dégustation pour établir un cahier des charges précis. Pendant plus d’un an, la communauté élabora une recette originale grâce à un matériel rudimentaire, tandis que d’autres frères travaillaient au choix de la bouteille, à la conception de l’étiquette et aux aspects économiques du projet. Au début de l’année 2016, les locaux furent aménagés, les installations mises en place et les premiers brassins furent lancés en juin. La brasserie fut inaugurée le 1er décembre 2016 et connut un succès immédiat. La bière de Saint-Wandrille, ambrée aux reflets orangés et à la mousse ivoire, offre un nez malté et toasté, des notes de fruits cuits, de caramel et de réglisse, et une belle finale longue et équilibrée. L’été, les moines proposent également une bière blonde blanche, la Sicera Humolone. L’un des défis futurs sera de ne pas céder à la tentation d’une production excessive afin de préserver la primauté de la vie monastique.
Autour de cette activité emblématique, d’autres œuvres portent aussi le rayonnement de Fontenelle. L’atelier Renascentis restaure peintures et icônes selon les principes de réversibilité, de lisibilité et de stabilité. Ascendoc assure le gardiennage d’archives physiques, héritier de l’ancien savoir-faire en microcopie. Le Répertoire des Traductions Françaises des Pères de l’Église, fruit de plus de trente ans de travail du frère Jacques Marcotte, constitue un outil bibliographique unique. La boutique de l’abbaye propose livres, musique sacrée, artisanat religieux, produits monastiques, spécialités normandes, cire de Saint-Wandrille et, naturellement, la bière brassée par les moines.Treize siècles après saint Wandrille, la communauté poursuit son œuvre dans la prière et le travail, fidèle à l’intuition fondatrice et ouverte aux besoins du temps présent. Visiter Saint-Wandrille, c’est entrer dans une histoire vivante où la tradition bénédictine, la ferveur spirituelle et la créativité artisanale se rejoignent pour témoigner de la présence de Dieu au cœur du monde.


