Longtemps présenté comme un modèle africain de stabilité et de bonne gouvernance, le Ghana est aujourd’hui en faillite , non seulement économique, mais aussi morale. C’est ce qu’a rappelé avec force le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson le 1er juillet dernier : « Notre pays traverse une crise économique, mais aussi, surtout, une profonde crise morale. »
Les propos du cardinal, confirmés quelques jours plus tard dans une interview accordée à Channel One TV, ont pris une dimension encore plus grave : « Le premier gouvernement du Ghana [sous Kwame Nkrumah] s’attachait davantage à bâtir une nation, à faire connaître le pays. Aujourd’hui, les dirigeants cherchent surtout à se maintenir au pouvoir et à remplir leurs poches… Si nous voulons véritablement réinitialiser notre boussole morale et démocratique, il faut revoir notre histoire, nos symboles, et les valeurs qui nous définissent. »
Le cardinal a ainsi dénoncé le paradoxe d’un pays qui prétend rejeter les coups d’État tout en glorifiant ceux qui les ont perpétrés, comme le colonel Kotoka, dont le nom est donné à l’aéroport international d’Accra : « C’est ironique d’avoir un document qui condamne les coups d’État dans la région, alors que notre principale porte d’entrée nationale porte le nom d’un putschiste. Cela ne tient pas. »
Mais pour le cardinal Turkson, ce travail de vérité ne peut reposer uniquement sur l’État. Il appelle à une prise de conscience collective : « Ce redémarrage ne doit pas être confié au seul gouvernement. Il doit devenir une vision partagée, un programme d’action auquel tous les Ghanéens adhèrent. »
L’Église catholique, loin de rester spectatrice, multiplie les prises de position. Elle continue de défendre une loi votée en 2024 visant à interdire plus strictement les pratiques LGBT, en dépit de son gel par les autorités sous la menace de représailles financières de la Banque mondiale. Pour les évêques, soutenus par les chefs musulmans et les principaux partis politiques, l’État a le devoir de protéger les valeurs traditionnelles et la famille naturelle.
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Mais la détérioration morale dépasse la seule question législative. Le cardinal Turkson appelle à une réforme intérieure profonde : « Sans un changement vers un pensée vertueuse, l’avidité continuera de gouverner notre pays. » Cette cupidité généralisée, dénonce-t-il, alimente la corruption, le favoritisme, et pousse les jeunes vers des voies périlleuses : trafics, violence, voire extrémisme islamique. Le secrétaire général de la Conférence épiscopale, le père Clement Kwasi Adjei, a tiré la sonnette d’alarme sur le chômage des jeunes, facteur de déstabilisation majeure, lors d’un forum à Accra sur la cohésion sociale. À ses yeux, c’est une bombe à retardement : « Si rien n’est fait, les jeunes seront instrumentalisés dans les conflits de pouvoir et les troubles politiques. »
Depuis une décennie, l’Église met en garde contre l’émigration illégale, dénonce la corruption systémique et encourage les jeunes à rester au pays pour bâtir un avenir digne. Mais les défis sont immenses : élites prédatrices, clientélisme, et récemment, flambée de tensions communautaires et xénophobes.Enfin, le cardinal Turkson a rappelé le lien profond entre foi, paix et justice : « Si Jérémie [6,16] nous dit que nous sommes à un carrefour et que nous devons choisir le chemin de la paix, cela signifie que nous ne sommes peut-être pas sur la bonne voie. Parler de paix tout en empruntant un chemin qui n’y mène pas, c’est égarer le peuple. ».
Alors que l’État chancelle, l’Église catholique du Ghana demeure l’une des dernières institutions à défendre sans compromis la vérité, la foi et le bien commun. Un combat lucide, urgent, et profondément enraciné dans la mission évangélique.
