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[ Analyse ]Léon XIV : un pape face à l’athéisme de fait et au défi d’une Église fidèle à l’Evangile

Le Pape Léon XIV lors de son homélie dans la chapelle Sixtine - DR
Le Pape Léon XIV lors de son homélie dans la chapelle Sixtine - DR
Dès sa première homélie, Léon XIV a livré un diagnostic lucide sur l'état du monde et de l'Église

Par Philippe Marie

À peine élu, le 8 mai 2025, Léon XIV n’a pas laissé planer le doute : son pontificat s’inscrira dans la continuité de la confession de foi de Pierre, refusant les compromis avec l’esprit du monde. Lors de la messe « Pro Ecclesia » célébrée au lendemain de son élection, devant le Collège cardinalice rassemblé dans la chapelle Sixtine, le nouveau pontife a prononcé une homélie fondatrice, traversée par une double urgence : reconnaître Jésus comme le Christ véritable et réveiller l’Église de son endormissement spirituel.

Léon XIV structure toute son propos autour de la question du Christ posée aux apôtres : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15). La réponse de Pierre ,« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » devient pour lui la colonne vertébrale de la foi chrétienne. En écho au concile Vatican II (Gaudium et Spes, n. 22), le pape rappelle que Jésus est non seulement le révélateur du visage du Père, mais aussi le modèle d’une humanité renouvelée et la promesse d’une destinée éternelle.

Cette insistance sur la divinité du Christ n’est pas une simple méditation pieuse : elle vise à corriger une dérive contemporaine, celle de réduire Jésus à un « leader charismatique » ou un « super-homme ». Une réduction qui aboutit, selon Léon XIV, à un athéisme pratique même chez des baptisés. Le pape identifie avec justesse cette forme subtile d’apostasie, où l’on admire Jésus sans se soumettre à Lui, où l’on célèbre ses vertus humaines sans confesser sa divinité salvatrice.

Avec un regard profondément réaliste, Léon XIV décrit deux attitudes contemporaines face au Christ :

Le rejet méprisant du monde, qui considère la foi chrétienne comme une absurdité bonne pour les faibles, préférant d’autres sécurités illusoires : la technologie, l’argent, le pouvoir, le plaisir.L’admiration distante du peuple, qui voit en Jésus un homme juste, un prophète admirable, mais refuse de Le suivre jusqu’au bout, surtout quand cela coûte.

Ces deux types de refus,mépris et admiration stérile,plongent leurs racines dans la scène de Césarée de Philippe, mais ils sont, souligne Léon XIV, dramatiquement actuels. Le diagnostic du nouveau pape fait écho aux analyses prophétiques de Benoît XVI sur la « dictature du relativisme » et à celles de saint Jean-Paul II sur la perte du sens de Dieu et de l’homme (Redemptor Hominis, 1979).

L’urgence missionnaire et le drame de la société sans foi

Léon XIV ne se contente pas d’un constat alarmé : il appelle à l’action. Là où la foi est moquée ou méprisée, « il urge la mission », affirme-t-il avec force. L’absence de foi n’est pas neutre : elle génère des blessures profondes dans la société contemporaine :perte du sens de la vie, oubli de la miséricorde, crise de la famille, violation de la dignité humaine. Cette énumération rappelle fortement Gaudium et Spes (n. 19-20) et les nombreuses mises en garde de l’Église contre l’illusion d’un humanisme sans Dieu.

Le pape insiste : l’Église ne doit pas avoir peur d’annoncer, même au prix du mépris ou de la persécution. C’est un appel clair à dépasser la tentation de la mondanité dénoncée si souvent par ses prédécesseurs.

À l’école de saint Ignace d’Antioche, Léon XIV rappelle que tout ministère d’autorité dans l’Église doit tendre à l’effacement de soi pour laisser toute la place au Christ : « disparaître pour que Lui demeure ». Il cite l’admirable parole de l’Évangile selon saint Jean : « Il faut qu’Il grandisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30). Cette perspective est un rappel à l’humilité radicale que doit vivre tout successeur de Pierre.

Le pape également souligne que la force de l’Église ne réside pas dans sa splendeur matérielle,même sous la magnificence de la Sixtine ,mais dans la sainteté de ses membres. Ici, Léon XIV rejoint l’ecclésiologie du concile Vatican II (Lumen Gentium, n. 39-42) sur l’appel universel à la sainteté.

Enfin, Léon XIV engage personnellement sa responsabilité, rappelant qu’il est désormais appelé à présider dans la charité l’Église universelle (Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains), non pour briller, mais pour conduire, servir et sacrifier sa vie pour les fidèles.Il conclut en s’abandonnant à l’intercession de Marie, Mère de l’Église, un geste qui n’est pas anodin : il manifeste d’emblée que son pontificat sera confié à la Vierge, dans la lignée de saint Jean-Paul II :« Totus Tuus ».

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Continuité et différence avec François

Si l’on observe attentivement cette première homélie de Léon XIV, on décèle à la fois une profonde continuité avec le pape François, mais aussi des inflexions notables. La continuité réside dans l’appel vibrant à une Église missionnaire, ancrée dans le témoignage courageux et la proximité avec les périphéries humaines. Comme François, Léon XIV souligne la nécessité d’une foi vécue dans l’humilité, d’une Église pauvre non par idéologie, mais par fidélité au Christ.

Cependant, une différence de ton apparaît nettement : là où François insistait souvent sur la miséricorde et les blessures du monde, Léon XIV insiste avec force sur l’identité du Christ et la profession de foi comme fondement indispensable de toute mission. Il dénonce explicitement la réduction de Jésus à un « super-homme » et l’athéisme rampant, y compris parmi les baptisés, marquant ainsi un recentrage christologique beaucoup plus affirmé.

Cette orientation doctrinale, plus verticale et théocentrée, annonce un pontificat qui pourrait conjuguer l’appel missionnaire cher à François avec une plus grande exigence de clarté doctrinale, renouant avec les accents du Concile Vatican II dans sa fidélité aux sources, notamment Lumen Gentium et Gaudium et Spes.

Cette inflexion christocentrique, si elle se confirme, pourrait annoncer pour l’avenir du pontificat de Léon XIV une volonté de restaurer l’unité de la foi par une catéchèse plus explicite et un appel clair à la conversion personnelle. Là où le pape François insistait sur le discernement, souvent dans une optique pastorale ouverte aux cheminements imparfaits, Léon XIV semble dès le départ rappeler que la mission de l’Église commence par une profession de foi ferme : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».

Ce choix de mettre la foi en Jésus comme Fils de Dieu au centre de l’annonce n’est pas anodin : il reflète une conscience aiguë que l’Église ne peut survivre dans un monde déchristianisé sans affirmer sans ambiguïté la vérité du Christ. Cela pourrait se traduire, dans les mois et années à venir, par une attention renouvelée à la formation doctrinale, par une réaffirmation du rôle central du sacré dans la liturgie, et par une mission évangélisatrice plus offensive dans les sociétés sécularisées.

En cela, Léon XIV ne rejette pas l’élan missionnaire initié sous François, mais l’inscrit davantage dans une fidélité serrée au dépôt de la foi, selon l’esprit de Dei Verbum et Evangelii Nuntiandi. Il reste à voir si cette orientation trouvera un écho auprès des épiscopats du monde entier, appelés eux aussi à passer d’une pastorale de simple accueil à une pastorale de proposition ferme et joyeuse de la foi.

Avec cette première homélie, Léon XIV montre qu’il veut être un pasteur fidèle, résolu à affronter les défis du monde actuel sans céder aux séductions faciles. Sa vision est celle d’une Église pauvre de moyens humains, mais riche de la sainteté de ses membres ; d’une Église qui annonce sans honte que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant. Face à l’athéisme pratique, à la réduction humaniste de Jésus, et aux blessures d’une société sans Dieu, le nouveau pape propose une seule réponse : la mission, la sainteté, la fidélité.

Un programme exigeant, mais profondément enraciné dans la tradition catholique, et qui pourrait bien marquer un tournant décisif pour l’Église de ce XXIᵉ siècle.

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