Lors de l’homélie des ordinations sacerdotales du samedi 28 juin au séminaire de La Castille, Mgr François Touvet a glissé des allusions à peine voilées visant manifestement son prédécesseur, Mgr Rey. Utiliser une célébration aussi solennelle pour adresser une critique indirecte à un évêque respecté a quelque chose de profondément troublant.
Dix prêtres, dont cinq venus d’Asie et d’Amérique, ont été ordonnés samedi matin au séminaire de La Castille, dans le diocèse de Fréjus-Toulon. L’émotion, la ferveur et la joie étaient au rendez-vous pour cette messe d’ordinations attendue. Mais au cœur de cette liturgie solennelle, une note discordante est venue troubler l’assemblée : plusieurs phrases de l’homélie prononcée par Mgr François Touvet ont suscité gêne, incompréhension, voire consternation. Car en exposant sa vision de l’autorité pastorale, le nouvel évêque a semblé adresser une série de reproches implicites, de moins en moins discrets, à son prédécesseur immédiat, Mgr Dominique Rey.
Commençant par évoquer comme un reproche le manque de vocations locales, issues du département, le prélat a affirmé vouloir concentrer ses efforts sur ce point. Faut-il rappeler à Monseigneur Touvet que 64 % de la population du Var est constituée de résidents de passage, souvent instables, difficiles à rejoindre et à discerner ? Dans ces conditions, comment ne pas se tourner aussi vers d’autres horizons ? Lui y parviendra peut-être… mais il n’est pas certain que la réalité sociale du diocèse se plie à ses bonnes intentions.
Puis le prélat a donné la définition du bon évêque, de l’évêque modèle dont il se veut le représentant ,contrairement à son prédécesseur ? : « L’évêque appelle, il écoute, il évalue, il discerne, puis il décide et il demande, puis il accompagne et il fait le point », a-t-il affirmé d’un ton ferme. Une formule bien agencée, presque programmatique, qui pourrait passer pour un rappel de mission. Mais dans un diocèse encore marqué par les séquelles de la visite apostolique et la suspension des ordinations durant deux ans, cette phrase prend un tout autre relief. Il est difficile de ne pas y entendre, sous couvert de méthode, une critique de la gouvernance précédente, perçue comme trop souple ou intuitive.
Cette impression s’est confirmée lorsque Mgr Touvet a enchaîné : « Attention, personne n’échappe complètement au subjectivisme ou au relativisme ambiant, même ceux qui prétendent être les plus rigoureux. »
Puis il a enfoncé le clou : « On finirait aujourd’hui avec chacun son magistère, faisant passer sa sensibilité personnelle avant l’enseignement de l’Église reçu des successeurs des apôtres. »
À ce moment-là, les regards se sont croisés dans l’assemblée. La cible était claire. Car qui, sinon Mgr Rey, a été accusé ces dernières années d’accueillir des prêtres jugés trop conservateurs ? Qui, sinon lui, a été attaqué pour avoir permis à des vocations « atypiques » de s’épanouir dans une fidélité exigeante à la liturgie et à l’enseignement de l’Église ?
La charge est d’autant plus surprenante que Mgr Rey, bien loin de développer un « magistère personnel », s’est toujours efforcé d’agir dans la fidélité à Rome. Il n’a jamais prétendu imposer sa propre sensibilité, mais a tenté de tenir ensemble des courants divers, sans sacrifier l’exigence doctrinale. Nombre de prêtres aujourd’hui en mission dans le diocèse ou ailleurs lui doivent une reconnaissance : ils ont été accueillis, écoutés, formés et ordonnés grâce à son discernement pastoral.
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Et voilà qu’en pleine homélie, le jour même où dix nouveaux prêtres montent à l’autel ,tous discernés sous l’épiscopat de Monseigneur Rey, leur nouveau père dans l’épiscopat semble dénigrer celui qui les a accompagnés pendant des années et les appelle » mes petits frères « . La fraternité épiscopale la vraie, tant louée par le pape Léon XIV, semble elle être reléguée aux archives diocésaines. Est-ce vraiment le moment ? Est-ce vraiment le lieu ?
Quelques phrases plus loin, Mgr Touvet ajoute : « Accepter ce que demande l’évêque, cela coûte parfois, c’est vrai, mais on ne se trompe pas en obéissant à l’Église. » En d’autres termes : même si vous êtes surpris, même si vous n’approuvez pas tout, il faudra m’écouter. Un avertissement clair. Mais difficile, dans ce contexte, de ne pas y lire une mise au pas, une volonté d’écarter en douceur l’héritage de son prédécesseur.
Ce que Mgr Touvet semble oublier, c’est que les dix prêtres ordonnés ce jour-là ne sortent pas de nulle part. Ils sont les fruits concrets du long épiscopat de Mgr Rey, de ses intuitions, de son audace, parfois critiquée, mais féconde. Il n’était pas nécessaire d’en faire un éloge, mais un simple mot de reconnaissance aurait honoré la continuité de la mission apostolique ; quel manque d’élégance, quel manque de fraternité ,quel manque de classe pour cet ancien officier de marine !
Même en politique, on salue, par élégance, le travail de celui que l’on remplace. L’Église, elle, se doit d’être plus fraternelle encore. Samedi, ce mot de fraternité a semblé absent. Monseigneur Touvet, vous avez donné un bel exposé sur l’autorité de l’évêque, mais vous avez offert le plus mauvais exemple qui soit. En faisant passer vos aigreurs personnelles avant la charité et la fraternité dues à un confrère évêque, vous avez manqué à ce que l’on attend d’un père.
Devant ces jeunes prêtres, au moment même où ils s’abandonnaient au Christ, vous avez semé le doute plutôt que l’unité, la critique plutôt que la gratitude. L’Église attend des pasteurs au cœur large, non des gestionnaires de ressentiment. En ce jour de joie sacerdotale, Monseigneur, vous avez failli.