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[ Editorial] L’unité des chrétiens à l’épreuve de la liturgie : un défi central pour l’Église ?

Le Pape de l'Eglise Copte, Tawadros II, le 6 janvier 2018 lors d'une messe de la nativité.  - DR
Le Pape de l'Eglise Copte, Tawadros II, le 6 janvier 2018 lors d'une messe de la nativité. - DR
Cette volonté d’unité chrétienne, portée par le Pape, semble paradoxale lorsqu’on l’oppose à l'attitude de l’Église catholique envers les traditions liturgiques anciennes

L’appel du Pape François à une date commune pour la célébration de la Pâque entre catholiques et orthodoxes, comme il l’a formulé lors des Seconds Vêpres de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, soulève une question fondamentale : comment parvenir à l’unité des chrétiens si, sur le plan même de la liturgie, il est difficile d’établir un pont entre deux visions aussi divergentes de la célébration eucharistique ?

Le Pape François a souligné, à juste titre, l’importance de cet événement historique où, pour la première fois en plusieurs siècles, catholiques et orthodoxes célébreront la Résurrection du Christ le même jour, le 20 avril 2025. Ce moment, selon le Pape, serait une « coïncidence providentiel », une occasion unique de manifester au monde l’unité des chrétiens autour de la foi commune en la Résurrection du Christ. Cette unification de la date de la Pâque, symbole d’unité entre l’Orient et l’Occident chrétien, est incontestablement un pas vers la réconciliation, et le Saint-Père nous invite à voir dans ce geste une expression vivante de la communion.

Mais cette volonté d’unité chrétienne, portée par le Pape, semble paradoxale lorsqu’on l’oppose à l’attitude de l’Église catholique envers les traditions liturgiques anciennes, en particulier la liturgie du rite tridentin, qui est toujours chérie par une grande partie des fidèles. D’un côté, le Pape appelle à un dialogue œcuménique profond avec les orthodoxes, qui sont eux-mêmes profondément attachés à leurs traditions liturgiques ancestrales, et de l’autre, il exprime des propos sévères et blessants à l’encontre des traditionnalistes attachés à la liturgie du rite tridentin, qu’il qualifie parfois de « nostalgique » ou de « repliée sur elle-même ».

La question qui se pose alors est simple : comment peut-on réellement parler d’unité des chrétiens quand la base même de cette unité, la liturgie – cœur de la prière et du dialogue avec Dieu – semble être le terrain de divisions profondes au sein même de l’Église catholique ?

En effet, comment la communion peut-elle se réaliser, si sur le plan de la prière et de la célébration de l’Eucharistie, des liturgies aussi différentes coexistent ? Les orthodoxes, par exemple, s’attachent à leurs traditions liturgiques, notamment la langue liturgique, les gestes et les rites, qui sont un héritage sacré. D’un autre côté, les catholiques, attachés au rite tridentin, considèrent la réforme liturgique de Vatican II comme un affaiblissement de la sacralité et de la beauté du culte divin, et restent également attachés à un liturgie sacrée comme un véritable dialogue avec Dieu et ses anges.

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Le dialogue œcuménique, au fondement duquel se trouve l’aspiration à l’unité de l’Église, ne pourrait-il pas être affecté par cette tension entre les différentes formes de célébration de la foi ? La différence dans les formes liturgiques entre catholiques, orthodoxes et même au sein de l’Église catholique elle-même, remet en question la possibilité de construire un pont solide, capable de rassembler les croyants dans un même élan vers Dieu. Si l’unité doit être vécue dans la liturgie, comment l’établir si les voies d’accès à Dieu – les rites, les prières, les chants – diffèrent radicalement d’une Église à l’autre ?

Une telle réflexion invite à se demander si le Pape François, en appelant à un « pas décisif » pour l’unité, en particulier sur la question de la Pâque, ne devrait pas également réévaluer sa position sur la diversité des formes liturgiques au sein de l’Église. L’unité des chrétiens ne se limite pas à la question de la date de la Pâque, mais doit aussi toucher à la manière dont chacun, à travers son rite et sa liturgie, entre en communion avec Dieu.

Si l’Église catholique entend véritablement tendre la main aux orthodoxes, mais aussi aux traditionnalistes attachés au rite tridentin, un dialogue sur la liturgie – dans sa diversité – est indispensable. En effet, l’unité des chrétiens ne pourra être réalisée que si, à travers le respect des différentes traditions liturgiques, l’Église catholique trouve un moyen de concilier ces différences sans pour autant compromettre la profondeur de l’expérience sacramentelle de chaque fidèle.

Tant que la liturgie restera un point de discorde, une réelle unité ne pourra se concrétiser, même avec un accord sur la date de la Pâque. L’unité véritable doit se bâtir dans la diversité des rites, pour que, ensemble, nous rendions gloire à Dieu dans la beauté et la profondeur de nos célébrations communes.

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