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Effacement de la mémoire de l’abbé Pierre : la réécriture d’une histoire

Faut-il réécrire l’histoire en ne gardant que l’ombre d’un homme et en oubliant la lumière qu’il a apportée ?

L’affaire secoue la petite commune d’Esteville, en Seine-Maritime. Comme l’a rapporté Franceinfo, le village où repose l’abbé Pierre tente de tourner la page après les accusations de violences sexuelles portées contre lui. Pourtant, la rapidité et l’ampleur de cet effacement suscitent des interrogations.

Les panneaux signalant la présence du fondateur d’Emmaüs ont disparu, le centre de mémoire a fermé, et les employés ont été licenciés. Le manoir où l’abbé Pierre avait élu domicile dans les années 1990 est désormais vide, ses équipements redistribués à d’autres centres Emmaüs. La fresque à son effigie, encore visible aujourd’hui, sera bientôt recouverte, et même sa tombe a été expurgée de son épitaphe originelle : « Il a essayé d’aimer ». La mairie a également débaptisé l’école du village, supprimant toute trace de son nom.

Cette volonté de faire disparaître l’empreinte de l’abbé Pierre s’apparente à une réécriture de l’histoire. Si la question des accusations mérite d’être posée et examinée avec rigueur, la précipitation avec laquelle son souvenir est effacé interroge. Peut-on réellement gommer des décennies d’engagement social et spirituel au nom d’une condamnation médiatique posthume ?

Ce qui frappe dans cette affaire, ce n’est pas seulement la disparition matérielle des traces de l’abbé Pierre, mais aussi l’effacement de son héritage. Des habitants, interrogés par Franceinfo, s’interrogent sur cette démarche radicale. Certains rappellent que c’est grâce à lui que l’école du village a vu le jour, tandis que d’autres dénoncent une atteinte à sa mémoire alors qu’il ne peut plus se défendre.

À l’heure où l’Église fait face à de nombreuses révélations, la tentation d’effacer les figures controversées peut sembler une réponse facile. Mais elle soulève une question fondamentale : peut-on, sous couvert de justice, nier l’apport spirituel et social d’un homme qui a marqué l’histoire de France ?

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Alors que le centre de mémoire ferme et que l’on démantèle ce qui faisait d’Esteville un lieu de pèlerinage pour les admirateurs de l’abbé Pierre, on ne peut que s’interroger sur ce qu’il restera de son œuvre dans quelques années. Cette volonté d’effacement, loin d’apporter une réponse aux accusations, risque plutôt de nourrir un malaise persistant.

Une société qui détruit sa mémoire au gré des scandales médiatiques prend le risque d’oublier ce qui a façonné son identité. Tout homme porte en lui la noirceur de son âme, mais il y a également en chacun une part de lumière. Il faut savoir regarder les deux et ne pas détruire celui qui apparaissait comme un saint pour le faire maintenant apparaître comme un diable.

Il a peut-être commis des horreurs, il a aussi accompli des merveilles. Le roi David, dans un accès de jalousie, fit tuer Urie le Hittite pour s’approprier Bethsabée (2 Samuel 11). Pourtant, il n’en était pas moins le roi David, présent dans l’histoire et la mémoire d’Israël. Faut-il réécrire l’histoire en ne gardant que l’ombre d’un homme et en oubliant la lumière qu’il a apportée ?

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