À Séoul, la scène pourrait prêter à sourire si elle n’était pas si grave. En Corée du Sud, l’intelligence artificielle est désormais utilisée non pas pour offrir un service ou une distraction, mais pour imiter des évêques catholiques et tromper les fidèles. Des vidéos créées à l’aide d’algorithmes circulent sur YouTube et d’autres réseaux sociaux, affichant les visages et les voix de prélats bien connus et leur attribuant des propos qu’ils n’ont jamais tenus, voire des appels à l’argent. La Conférence épiscopale de Corée tire la sonnette d’alarme.Ce phénomène, signalé par les médias officiels de la Conférence, prend de l’ampleur. Des images et des vidéos authentiques de l’archevêque Jeong Soon-taek de Séoul et de l’évêque Lee Seong-hyo de Masan ont été reprises, retravaillées puis synthétisées pour produire des contenus manipulés. La technique, facilitée par l’essor de la production vidéo par IA, semble redoutablement efficace. Les résultats sont si convaincants que certains croyants ont cru entendre de véritables déclarations pastorales. C’est précisément cette vraisemblance qui inquiète l’Église.
Plus inquiétant encore, la contagion ne s’arrête pas aux frontières. Après les vidéos synthétiques imitant le pape Léon XIV, des images truquées ont été diffusées montrant des évêques coréens en train de prononcer des propos doctrinaires ou d’appeler aux dons.
Face à ces productions trompeuses, les réactions des fidèles ont été révélatrices. Certains internautes ont commenté ces vidéos en écrivant « Merci, Seigneur », persuadés d’avoir été édifiés par une parole authentique. D’autres, plus grave encore, ont envoyé des dons, convaincus de répondre à une demande venant des évêques. Une confusion financière qui montre à quel point l’outil technologique peut désorienter, voire exploiter la bonne foi.La Conférence épiscopale de Corée a réagi avec fermeté. Sur sa chaîne officielle, elle a rappelé que les évêques n’avaient « jamais fait les déclarations présentées dans ces vidéos ». Les responsables dénoncent « des actes arbitraires de la part de YouTubers » qui s’appuient sur l’autorité et la réputation des évêques pour relayer leurs propres messages, parfois contraires à la doctrine. Ils demandent aux fidèles de signaler ces contenus chaque fois qu’ils en rencontrent. Le message est clair, prudence et vigilance.
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Cette vigilance est d’autant plus nécessaire que le problème ne date pas d’hier. En novembre, les évêques ont publié une note officielle intitulée Lignes directrices pour un accès correct aux contenus des médias catholiques. Le document établit un principe simple, même si une vidéo inclut l’image, la voix ou les paroles présumées d’un évêque, si elle ne provient pas d’un organe officiel, Vatican, Conférence épiscopale ou médias diocésains, elle doit être tenue pour suspecte. La multiplication des montages non autorisés oblige à une rigueur accrue.Au-delà de ces mises en garde, la Conférence recommande une démarche concrète. Face à une publication dont l’origine est incertaine, mieux vaut contacter son curé ou son diocèse, vérifier les documents officiels ou consulter les paroles de l’évêque sur les sites appropriés. La vérification n’est pas un détail bureaucratique, elle est devenue une nécessité pastorale.
La Corée n’est pas un cas isolé. À l’étranger aussi, des abus de l’IA visant des figures catholiques influentes ont été signalés. Au Brésil, par exemple, une vidéo d’un prêtre très connu, Frei Gilson, a été synthétisée pour se faire passer pour lui et inciter aux dons. L’utilisation d’images de prêtres ou religieux réputés pour influencer la générosité des fidèles semble augmenter.L’affaire sud-coréenne révèle un défi plus large. À l’heure où l’intelligence artificielle peut imiter les visages, les voix et même les attitudes, la frontière entre le vrai et le faux se brouille. Dans ce contexte, l’Église rappelle que la vérité ne se consomme pas comme un contenu numérique, elle se reçoit, elle se discerne, elle s’enracine dans des sources fiables.La Corée du Sud nous donne un avertissement. Devant cette nouvelle forme de désinformation, la naïveté devient un risque spirituel. La foi, elle, demande des yeux ouverts, un cœur prudent et une confiance fondée sur la réalité, non sur des illusions technologiques.


