Un récent rapport de Fox News a enflammé les milieux religieux et politiques américains : selon la chaîne, le christianisme serait en plein essor aux États-Unis. Les chiffres, impressionnants, semblent attester d’un regain de ferveur spirituelle : les ventes de Bibles ont augmenté de 41,6 % depuis 2022, les téléchargements d’applications spirituelles ont bondi de 79,5 % depuis 2019, et le streaming de musique chrétienne a progressé de 50 % sur la même période. Mais derrière l’enthousiasme médiatique et militant, plusieurs analystes invitent à la prudence.
Ce prétendu « réveil » pourrait bien cacher une autre réalité : celle d’un christianisme fragmenté, instrumentalisé et en quête d’identité.
Dans le sillage du reportage de Fox News, de nombreuses figures du christianisme évangélique conservateur ont salué ce qu’elles perçoivent comme le signe tangible d’une nouvelle effusion de foi sur la nation américaine. « Un réveil chrétien à travers tout le pays ! » s’est exclamé un animateur de la chaîne, tandis que les graphiques s’affichaient à l’écran comme les cours d’une bourse spirituelle. Eric Daugherty, du média Florida Voice News, a relayé l’annonce sur les réseaux : « Des données stupéfiantes révèlent que le christianisme est en plein essor aux États-Unis ! » Andrew Kolvet, porte-parole de Turning Point USA, a ajouté : « Un réveil chrétien est en marche. » Lila Rose, fondatrice du mouvement pro-vie Live Action, a salué de « nouvelles extraordinaires », tandis que la chroniqueuse Megan Basham proclamait : « La moisson est mûre ! » Même le chanteur et militant charismatique Sean Feucht, connu pour ses tournées de louange intitulées Let Us Worship, s’est réjoui : « Ce que nous disons depuis des années est désormais indéniable : une vague de réveil balaie l’Amérique. »
Pourtant, des chercheurs et statisticiens spécialisés en sociologie des religions invitent à la nuance. Ryan Burge, professeur et analyste reconnu, a publié une mise au point ferme : « Il n’existe aucune preuve empirique d’un réveil religieux en cours aux États-Unis. » Les chiffres brandis par les médias peuvent en effet traduire d’autres phénomènes : un regain d’intérêt culturel pour les produits religieux, une évolution des habitudes numériques ou encore une stratégie commerciale efficace des éditeurs et artistes chrétiens. Mais ces indicateurs ne prouvent pas nécessairement une véritable croissance de la foi vécue, ni une participation accrue à la vie ecclésiale.L’idée de « réveil » occupe une place particulière dans l’imaginaire protestant américain. Depuis les grands mouvements évangéliques du XIXe siècle, le terme évoque des temps de conversion, de repentance et de ferveur. Mais, selon de nombreux observateurs, ce vocabulaire spirituel est désormais récupéré par certains milieux politiques pour galvaniser les foules conservatrices.
Lors d’un grand rassemblement sur le National Mall à Washington, organisé sous la bannière « Une nation sous Dieu », le sénateur Josh Hawley a déclaré : « Ce dont notre nation a le plus besoin, c’est d’un réveil. » À ses côtés, Sean Feucht priait pour que Dieu « suscite un million d’hommes et de femmes courageux pour Jésus » à tous les niveaux du pouvoir, du Congrès aux administrations locales. Mais derrière la ferveur, le message politique transparaît : pour beaucoup, le réveil spirituel équivaut à une reconquête politique et morale du pays par le camp conservateur.De fait, plusieurs organisations proches de Turning Point USA ou de The Courage Tour assument une stratégie de « réveil » explicitement politique.
Leur objectif : mobiliser les églises, former des pasteurs à l’engagement civique et inciter les croyants à s’impliquer dans les élections au nom de leur foi.
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Comme le résumait l’un de leurs responsables, Joshua Caleb Standifer : « C’est notre cheval de Troie : ils ne le voient pas venir, mais nous allons inonder les bureaux de vote de croyants remplis de l’Esprit. » L’enjeu spirituel se confond alors avec la bataille électorale, transformant la piété en mot d’ordre militant.Les statistiques avancées par Fox News restent réelles : les ventes de Bibles progressent, les applications de prière se multiplient, la musique chrétienne est plus écoutée que jamais. Mais ces données reflètent-elles une conversion massive ? Pas forcément. Elles traduisent aussi un marché florissant, porté par des géants de l’édition et du numérique, et un engouement culturel pour le « contenu spirituel » dans une société en quête de repères. De nombreux catholiques rappellent que la véritable mesure d’un réveil se trouve ailleurs : dans la vie sacramentelle, la charité, la conversion intérieure.
Si le mot « réveil » doit retrouver son sens authentique, il devra signifier davantage qu’un regain d’influence médiatique. Le renouveau chrétien ne se mesure pas aux statistiques ni aux slogans, mais à la fidélité des cœurs, à la sainteté des vies et à la vérité du témoignage. Dans une époque marquée par la confusion morale et l’instrumentalisation politique du religieux, il revient aux chrétiens ?catholiques comme protestants? de discerner les signes d’un véritable réveil : celui de la prière, du pardon et du retour à l’Évangile.il y a certainement un réveil spirituel en cours aux États-Unis, mais il ne se joue pas seulement dans les chiffres de Spotify ou les colonnes de Fox News. Le vrai réveil, disait saint Paul, consiste à « ne pas se conformer au siècle présent, mais à être transformé par le renouvellement de l’esprit ». C’est ce réveil intérieur, humble et silencieux, que l’Église doit aujourd’hui redécouvrir.