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EXCLUSIF-Monseigneur Gollnish : « Je crois que les chrétiens du Moyen-Orient ont une mission prophétique »

Monseigneur Pascal Gollnisch - DR
Monseigneur Pascal Gollnisch - DR
"Qui d’autres que les chrétiens, en vérité, pour cultiver et diffuser une culture du pardon, du respect de toute personne humaine ?"

Suite à la chute de Bachar Al-Assad en Syrie et à l’évolution inquiétante de la situation des chrétiens au Liban, nous avons voulu recueillir l’éclairage d’un prélat particulièrement concerné par l’avenir des chrétiens en Orient. Monseigneur Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient, chapelain de Sa Sainteté et vicaire général des catholiques orientaux en France, a accordé une interview exclusive à Tribune Chrétienne pour partager son analyse et ses perspectives sur ces défis majeurs.

Tribune Chrétienne Suite à la chute de Al-Assad en Syrie, quel est l’impact immédiat sur les communautés chrétiennes locales, et quelles mesures devraient être prises pour assurer leur sécurité et leur stabilité à court terme ?

Monseigneur Gollnish – La chute de Bachar al-Assad ouvre une période d’incertitude majeure pour les chrétiens de Syrie, qui représentent environ 3 % de la population aujourd’hui, contre 10 % avant la guerre civile. Ils ont déjà été largement affectés par des déplacements massifs, des exactions de groupes djihadistes et l’effondrement des infrastructures du pays.

il ne faut pas croire que les chrétiens sont une catégorie homogène : certains viennent d’être libérés des prisons du régime et partagent le sentiment de libération d’une partie des Syriens, d’autres ont pu être proches du pouvoir. Le temps est encore flottant pour les chrétiens, mais les évêques restent et appellent au calme, et dans leurs premiers contacts avec les nouveaux dirigeants syriens, cet entretien s’est « plutôt bien » passé. Je dis « plutôt », car ils ont obtenu certaines garanties : liberté religieuse, droit de sonner les cloches, respect des institutions et des lieux de culte, et maintien des activités des écoles et hôpitaux chrétiens. Par contre, des rumeurs circulent : certaines femmes chrétiennes auraient été priées de couvrir leur tête, mais nous ignorons si cela reflète une politique officielle ou l’acte isolé de certains individus.

Il est impératif que les puissances internationales impliquées dans la région, notamment la Turquie et les États-Unis, exercent une pression pour que ces engagements soient respectés. Les milices au pouvoir doivent également démontrer un pragmatisme politique.

Par ailleurs, il faut tenir compte de l’état global de la Syrie. De nombreuses villes ont été détruites, parfois rasées à moitié, surtout par l’aviation russe. À Alep, par exemple, des quartiers entiers habités par des Syriens sunnites ont été réduits en ruines par les bombardements russes. La question de la reconstruction est donc cruciale.

Ce sont principalement les puissances occidentales qui peuvent financer cette reconstruction. Mais pour cela, elles exigent des gestes concrets de la part des dirigeants syriens, ce que Bachar al-Assad n’a jamais fait. Son gouvernement est resté immobile, abandonnant sa population. Si les nouveaux dirigeants montrent plus de pragmatisme, ils devront solliciter le soutien occidental pour reconstruire les villes et permettre aux réfugiés de revenir. Actuellement, ces réfugiés n’ont que des ruines pour maison.

Hôpital Saint Louis à Alep –

Tribune Chrétienne – Comment les chrétiens de Syrie peuvent-ils continuer à jouer un rôle constructif dans la réconciliation nationale et la reconstruction du pays après des années de guerre civile et de divisions ?

Monseigneur Gollnish – Qui d’autres que les chrétiens, en vérité, pour cultiver et diffuser une culture du pardon, du respect de toute personne humaine ?

Dans la reconstruction de la Syrie, les chrétiens peuvent jouer un rôle clé en apportant leur expertise dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’aide humanitaire. Leurs écoles et hôpitaux sont des lieux où se construit une culture de vivre-ensemble, dans le respect, la médiation et le pardon entre ceux et celles qui, autrement, ne se seraient jamais adressé la parole. Mais cette mission ne sera vraiment possible que si les nouveaux dirigeants syriens garantissent le respect des minorités et l’accès aux ressources nécessaires pour reconstruire des villes souvent en ruines.

Le soutien de la communauté internationale, notamment des puissances occidentales, est indispensable pour financer cette reconstruction. Des gestes concrets de la part des nouveaux dirigeants syriens, montrant une volonté de respecter et d’intégrer toutes les composantes de la société, seront nécessaires pour obtenir ce soutien.

Tribune ChrétienneAu-delà de la Syrie, comment les chrétiens du Moyen-Orient peuvent-ils préserver leur identité et leur foi face aux persécutions croissantes et à la pression de l’exode vers l’Occident ?

Monseigneur Gollnish – Ces chrétiens sont liés au sort de leur pays dont ils sont originaires. Ils ne nous demandent pas qu’on les aide pour eux-mêmes, mais qu’on soutienne leur peuple.

Nous ne soutenons pas un confessionnalisme qui serait replié sur lui-même.

De même, le rôle des chrétiens dans ces pays n’est pas de prendre des positions politiques ou diplomatiques, comme s’ils étaient une grande puissance, mais plutôt de relativiser la géopolitique pour servir d’autres appels comme l’espérance, la capacité de tendre la main, de dépasser la haine.

Les chrétiens d’Orient sont présents dans la région depuis les débuts du christianisme. Saint Paul s’est converti à Damas, et Antioche faisait partie des premières cités à voir les chrétiens se naître et se développer en son sein.

En Syrie, au Liban, et même à Gaza, leur rôle va bien au-delà de la pratique religieuse. Ils ont une espérance commune à partager.

Jaramana – octobre 2022

Tribune Chrétienne – Quel rôle les chrétiens peuvent-ils jouer dans le dialogue interreligieux et la promotion de la paix au Moyen-Orient, notamment dans des pays comme l’Irak et le Liban ?

Monseigneur Gollnish – Dans la société libanaise, ce sont les chrétiens qui parlent et vivent à la fois avec les sunnites, les chiites et les druzes. Ils ont cette mission d’incarner, par leur simple existence, le vivre-ensemble et le respect d’autres religions.

Ils gèrent des écoles ouvertes à tous, où chrétiens et musulmans étudient ensemble. Ces écoles, comme celles du Liban, contribuent à apaiser les tensions dans des quartiers où les conflits intercommunautaires seraient autrement omniprésents.

Par exemple, je connais une école catholique dans le nord du Liban où la moitié des élèves sont sunnites et l’autre moitié chiites. Grâce à cette école, le quartier est apaisé, contrairement à d’autres où les tensions entre sunnites et chiites sont terribles.

Les chrétiens jouent donc un rôle de médiateurs et de pacificateurs. Ils sont également très impliqués dans l’aide aux plus pauvres, à travers leurs hôpitaux et centres de soins. Enfin, ils préservent un patrimoine matériel et immatériel riche de 2000 ans, tout en portant une culture ouverte à l’universel. Beaucoup parlent français, notamment les évêques et patriarches que je rencontre régulièrement.

Tribune Chrétienne En tant que leader spirituel, quelle est votre vision du rôle futur des chrétiens dans la région, et comment peuvent-ils continuer à être des témoins de l’Évangile tout en étant confrontés à de fortes tensions politiques et religieuses ?

Monseigneur Gollnish – Le texte de saint Luc nous explique que Tibère est empereur à Rome, Ponce Pilate gouverneur de Judée, Hérode au pouvoir en Galilée… mais c’est à Jean, dans le désert, que la parole de Dieu s’est adressée. Ce contraste, entre les hommes puissants et les plus humbles, nous dit quelque chose : que l’action de Dieu n’est pas celle que les hommes imaginent lorsqu’ils posent leur regard sur le cours du monde.

En d’autres termes, que ne sont pas les plus puissants qui vont nécessairement faire bouger les choses.  Nous travaillons avec des chrétiens en mission au nom de l’Évangile.

Je crois que les chrétiens du Moyen-Orient ont une mission prophétique : montrer que, même dans les contextes les plus troublés, il est possible de construire des sociétés fondées sur la dignité humaine et le respect mutuel.

Le rôle des chrétiens est d’être des témoins de la lumière et de l’espérance. Ils sont pour nous un rappel que la fidélité à l’Évangile passe par une attention aux « signes qui ne font pas de bruit », ces actes silencieux de service et de foi au cœur des crises. »

Interview réalisée le 12 décembre 2024

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