La fête de la Pentecôte ne saurait être réduite à un simple souvenir liturgique ou folklorique. Elle est, avec la Résurrection du Christ, l’un des événements les plus décisifs de l’histoire du salut. Elle couronne le temps pascal en révélant l’œuvre de Dieu dans sa plénitude trinitaire : le Père qui envoie le Fils pour le salut du monde, et qui, à travers le Fils glorifié, répand l’Esprit Saint sur l’Église naissante.
Ce n’est pas une coïncidence si l’Esprit est descendu non dans l’intimité d’une contemplation privée, mais au cœur de la fête juive de Chavouot, rassemblant des hommes de toutes langues. L’Esprit de Dieu n’uniformise pas, il sanctifie la diversité dans la vérité. Saint Thomas d’Aquin, dans sa Somme théologique, rappelle que « l’Esprit Saint est la charité qui unit la multitude des fidèles dans l’unité de la foi » (ST I, q. 36, a. 1).
Alors que Moïse avait reçu la Loi sur le Sinaï cinquante jours après la sortie d’Égypte, les Apôtres reçoivent l’Esprit cinquante jours après la Résurrection. Il s’agit d’un nouveau don de la Loi — non plus sur des tables de pierre, mais dans les cœurs. Le prophète Ézéchiel l’avait annoncé : « Je mettrai en vous mon Esprit, je ferai que vous suiviez mes lois » (Ez 36, 27). L’Esprit Saint, sous la forme du feu, descend sur chacun comme un sceau divin. Saint Augustin dira : « L’Esprit Saint est Dieu rendant les hommes participants à son amour » (De Trinitate, XV, 18).
Lire aussi
Les signes sont puissants : un souffle violent, des langues de feu, une prédication immédiate et compréhensible de tous. Il ne s’agit pas d’une vague inspiration, mais d’un véritable embrasement spirituel. « Les langues de feu ne brûlent pas, elles illuminent et purifient », écrivait saint Jean Chrysostome, rappelant la continuité entre le buisson ardent de Moïse et le Cénacle où Marie elle-même est présente, figure parfaite de l’Église.
À la Pentecôte, l’Église n’est pas fondée par la stratégie d’un groupe d’hommes éclairés, mais par l’irruption souveraine de Dieu dans l’histoire. Saint Grégoire de Nazianze résume avec puissance : « Le Saint-Esprit vient pour renouveler la face de la terre, pour donner à l’homme la ressemblance divine perdue par le péché » (Discours sur la Pentecôte). Ce n’est pas l’Église qui s’invente, c’est Dieu qui la fait naître.Les Apôtres, hier encore paralysés par la peur, deviennent des prédicateurs intrépides. Ce renversement est le fruit de la grâce. En une seule journée, selon les Actes des Apôtres, trois mille personnes sont baptisées (Ac 2, 41). Le feu de l’Esprit ne s’éteint pas : il est à l’origine de chaque vocation, de chaque martyre, de chaque conversion véritable.
Le don des langues n’est pas une anecdote folklorique. Il est le signe que la Vérité est destinée à toutes les nations, sans compromis ni trahison du message évangélique. Comme le dira sainte Catherine de Sienne : « Soyez ce que Dieu veut que vous soyez, et vous mettrez le feu au monde. »
La Pentecôte nous rappelle que l’Église n’est pas un cercle fermé de croyants frileux, mais un peuple missionnaire appelé à témoigner de la Vérité du Christ — « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). Refuser cette mission, c’est éteindre l’Esprit. L’événement de la Pentecôte doit réveiller nos consciences catholiques : il n’est pas temps de se taire, mais de proclamer.C’est pourquoi la confirmation — don de l’Esprit en plénitude — est traditionnellement célébrée à la Pentecôte. Par l’imposition des mains de l’évêque, les fidèles reçoivent une effusion réelle et sacramentelle du même Esprit que celui du Cénacle. Saint Thomas d’Aquin note encore : « De même que le baptême fait des chrétiens, la confirmation fait des soldats du Christ » (ST III, q. 72, a. 5). Et il faut, aujourd’hui plus que jamais, des soldats fidèles et éclairés.
En cette solennité, il ne s’agit donc pas seulement de chanter « Viens, Esprit Saint », mais de le laisser consumer en nous toute tiédeur. Le feu divin n’admet ni compromis ni tiédeur. Comme le disait le Seigneur lui-même dans l’Apocalypse : « Puisses-tu être froid ou bouillant ! Mais parce que tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3, 15-16).
Pentecôte : l’Église reçoit l’Esprit pour annoncer la Vérité dans un monde qui cherche à l’étouffer. Elle ne doit pas se conformer à l’esprit du temps, mais embraser le monde avec l’Esprit de Dieu.
Homélie de la Solennité de Pentecôte – Dimanche 23 mai 2021 – Année B
Abbaye Noter Dame de Senanque Par le Frère Jean-Marie
(Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.)
« Frères et sœurs bien aimés,
La vie chrétienne est comme un brasier ardent qui veut se communiquer à chaque être humain, qui veut se diffuser, qui a besoin de se répandre. Ce don de la vie nous est communiqué par l’Esprit Saint, troisième Personne de la Trinité ; avec le Père et le Fils, l’Esprit Saint est créateur du monde et assure le salut de l’univers ; avec le Père et le Fils, l’Esprit Saint est la cause, la source et le principe de l’Église, de sa vie et de sa finalité.
En ce jour de Pentecôte, l’Esprit Saint donne naissance à l’Église et à sa mission. L’Esprit Saint est donc comme la vie de notre vie, une vie nouvelle, éternelle, une vie pleine, dense.
Nous voici donc au jour anniversaire de la naissance de l’Église en tant que telle, ce mystère de l’Église.
Jésus disait : « Je suis venu apporter un feu sur la terre »… Frères et sœurs, ce feu est l’Esprit Saint !
Après avoir accompli toutes les Écritures, avec sa passion, sa mort et sa résurrection, Jésus monte au ciel et nous envoie au nom du Père, leur commun Esprit, ce lien d’amour ineffable.
C’est donc, aujourd’hui, l’achèvement de l’œuvre du Salut que nous célébrons. Le temps que nous vivons depuis la Pentecôte, est le temps de l’Église ; le temps de la communication de la vie surnaturelle dans les âmes pour tous les hommes, à travers le temps et l’espace, au fil des générations humaines, jusqu’à l’avènement et l’achèvement final, et le retour en gloire du Seigneur Jésus à la parousie.L’histoire la plus profonde qui se déroule durant notre existence terrestre, est ce qui se passe au plus profond de notre âme, mais aussi dans l’âme des autres ; l’histoire la plus profonde, est l’histoire des âmes qui va conditionner notre agir et les actes extérieurs ; c’est-à-dire l’accueil ou le refus de la grâce divine qui vient nous chercher, nous secourir, nous solliciter, tout au long de notre pèlerinage terrestre.
Cet accueil de la grâce, ou ce refus, va qualifier notre vie et nous préparer au choix définitif à l’heure de notre mort. Ce feu de l’Esprit Saint – ou l’Esprit Saint qui est comme un feu – vient purifier et sanctifier notre vie, notre être, mais aussi transformer, surélever nos relations humaines.L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont inséparables : les deux premiers commandements qui résument la loi, les prophètes.Par le sacrement de Confirmation, qui est l’un des sept sacrements de l’Église, qui nous communique la vie divine, la vie trinitaire (ce sacrement, aussi appelé en Orient : chrismation, puisque nous sommes conformés davantage à la Personne de Jésus Christ), le baptisé reçoit la plénitude de l’Esprit Saint comme les apôtres réunis au Cénacle, le jour de Pentecôte.
L’Esprit Saint vient nous donner la lumière pour discerner la volonté de Dieu, et la force pour l’accomplir jusqu’au bout, y compris par le martyre, le don de notre vie, de verser notre sang pour Jésus. Nous sommes appelés à nous laisser conduire par l’Esprit.
St Paul nous disait dans la deuxième Lecture : « marchez sous la conduite de l’esprit ! »
et il termine son exhortation aux Galates : « marchons sous la conduite de l’Esprit Saint ».
Frères et sœurs, pour être conduits, guidés, selon l’Esprit Saint, trois conditions sont nécessaires : Connaître l’Esprit Saint et ce qui vient de Lui ; Écouter l’Esprit Saint, c’est-à-dire : faire de la place pour l’accueillir en commençant par faire silence en soi ; Agir avec promptitude et paix selon ce qui est demandé.
Notre connaissance de l’Esprit Saint se réalise au sein de l’Église, et par elle ; c’est par l’Église que nous connaissons l’Esprit Saint ! Nous recevons l’Esprit Saint, dans et par l’Église, même si Dieu peut agir au-delà des frontières visibles, immédiates, de l’Église ; comme nous le voyons d’ailleurs au chapitre 10 du Livre des Actes des Apôtres : lorsque l’Esprit Saint tombe sur Corneille, centurion romain (troupe d’occupation), et sur ses proches, alors que l’apôtre Pierre leur annonce la Bonne Nouvelle, l’évangile du Salut.
Notre connaissance de l’Esprit Saint vient par la lecture de l’Écriture Sainte, la Bible, que Lui-même a inspirée ; nous vient aussi par la Tradition de l’Église, les Pères de l’Église, les grands spirituels ; puis, par le magistère de l’Église, c’est-à-dire par l’enseignement du Pape et des évêques en communion avec Lui ; par la vie liturgique, par la prière, par les charismes, par les signes visibles de la vie missionnaire, et par le témoignage des saints et des saintes d’hier et d’aujourd’hui.
Nous le reconnaissons aussi par ses effets, en nous et dans les autres, décrits par l’apôtre Paul :
« amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur, maîtrise de soi ».
Ce qui vient de l’esprit du Mal est le trouble, la salissure, l’impureté et la brisure ; le Démon veut nous casser, veut nous diviser, veut nous salir, veut nous troubler… rien de cela dans l’Esprit Saint.L’Esprit Saint nous apporte la lumière intérieure comme une fraîcheur, non pas sensible, mais spirituelle ; une fraîcheur, une lumière, une douceur, un apaisement, un calme intérieur.Cet accueil, cette connaissance, demande un cœur qui écoute, un esprit disponible et non encombré, une âme ouverte ; cela demande de faire de la place pour l’autre, de la place pour l’hôte divin. Tout au long de nos journées, revenir à l’intérieur de soi, habiter avec soi-même, faire silence et prier ; prier, c’est-à-dire : entrer en relation avec le Seigneur, avec l’Esprit Saint, pour vivre avec Lui ; et partager notre vie dans une Alliance sereine et féconde.
Enfin, agir avec promptitude et calme, pour accomplir ce qui nous est demandé ; il ne sert à rien d’avoir la lumière et de rester statique !
Mettre en œuvre ce que notre intelligence a reçu comme lumière et certitude. Ainsi, notre vie ordinaire devient vraiment une histoire Sainte ; l’histoire sainte n’est pas pour les autres ; elle est pour chacun de nous !
Une Alliance vécue dans l’humble banalité de l’ordinaire ! Mais notre vie est ordinaire et la sainteté est ordinaire ! L’ordinaire devient alors extraordinaire ; notre vie est surélevée ; non pas dans nos gestes, dans notre extérieur, mais dans ce que nous vivons intérieurement et qui va qualifier nos actions.La vie prend une densité insoupçonnée et n’est plus banale. Le temps devient une histoire d’amour, un mystère d’Alliance avec Dieu. La vie se développe alors, se déroule comme une aventure dans laquelle les événements joyeux ou douloureux ne sont plus subis ou écrasants, déprimants, mais dans une rencontre, comme une demande du Seigneur qui suscite notre consentement total et joyeux, paisible et actif.
Nous participons alors, très simplement mais en vérité, à l’extension du Royaume de Dieu sur cette terre, à la transmission de la vie de grâce dans les âmes, à la fécondité surnaturelle de l’Église, notre Mère, qui enfante et sanctifie les hommes.Nous participons au salut du monde, et à la réponse de l’attente souvent anxieuse de l’humanité qui ne sait où aller ; quel chemin choisir ? Quel sens donner aux événements ? Quelle orientation choisir… Mais aussi, nous prenons en charge les besoins matériels de tous les nécessiteux, et nous ouvrons les yeux de notre corps, les yeux de notre âme et de notre esprit, pour voir la situation réelle des autres.
Jésus, après sa résurrection, disait à ses apôtres :
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
Allez donc ! De toutes les nations, faites des disciples
et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ;
et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés.
Et moi, dit-il, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».
Frères et sœurs bien aimés,
aujourd’hui, dans la puissance de l’Esprit Saint,
nous sommes envoyés chacun et chacune en mission dans le champ de notre vie,
pour rendre témoignage au Christ Jésus et à l’évangile du Salut,
la Bonne Nouvelle de la grâce de Dieu pour aujourd’hui et pour l’éternité.
Amen.«