Par le père Edouard Divry,dominicain de la province de Toulouse et professeur de théologie morale
Avant de produire un écrit concernant un quelconque Héritage Spirituel catholique qui révélerait toutes les merveilles du message des Évangiles, il convient de réfléchir aux conditions d’une telle attestation.
Saint Jean Chrysostome a bien senti la difficulté qu’avait saint Paul à donner un témoignage personnel sur les grâces qu’il avait reçues. L’apôtre n’est pas prolixe en dehors du fait de son appel sur le chemin de Damas qui est d’ailleurs retracé par un autre que lui, l’auteur des Actes des Apôtres, saint Luc selon la tradition la plus ancienne (cf. Ac 9, 3 ; 22, 6 ; 26, 13).
Le futur évêque de Constantinople prononça une homélie (entre 386-398) à propos de la deuxième épître de saint Paul aux Corinthiens où ce dernier se livre davantage :
Voici ce que je veux dire : c’est une grande vertu de ne pas raconter de grandes choses à son propre sujet ; mais lui, quand il le fait, c’est avec tant d’à-propos qu’il rencontre plus d’approbation en parlant de lui-même qu’en gardant le silence !
N’aurait-il pas adopté cette conduite, qu’on l’aurait critiqué, et plus vivement que les gens qui se décernent des éloges à tort et à travers. Pourquoi ? S’il ne s’était pas glorifié, il aurait trahi et ruiné sa cause, et relevé par-là la position de ses adversaires.
Voyez comme il sait, en toute circonstance, agir avec opportunité et avec quel discernement, quelle droiture il sait faire ce qui est ordinairement déconseillé, et à quels résultats féconds il aboutit alors : c’est au point de se faire apprécier tout autant dans ce cas-là que pour avoir accompli les ordres de Dieu. Oui, Paul a réussi à se faire apprécier davantage en se glorifiant que toute personne qui aurait passé sous silence ses propres mérites ! Personne, en effet, n’a aussi bien œuvré en taisant ses mérites que Paul en les faisant connaître.
Et ce qui est plus admirable encore, non seulement il les faisait connaître, mais il se bornait à ce qu’il était nécessaire de dire. Il ne considérait pas que, telle circonstance lui donnant opportunément toute licence de parler de lui, il pouvait en user sans mesure ; non il savait jusqu’où il pouvait s’avancer.
Mais cela ne lui suffisait pas ! Au contraire, pour ne pas gâter les autres et les disposer à faire leur propre éloge gratuitement, il va jusqu’à se qualifier d’insensé : c’est bien lui qui avait parlé de lui-même, mais sous la pression de la nécessité. Ah ! il était à prévoir, en effet, que les autres, en le voyant, se régleraient sur lui, à la légère et sans raison ! N’est-ce pas ce qui arrive aux médecins ? Souvent, le médicament qu’un tel a utilisé en tenant compte d’un contexte précis, tel autre, en l’utilisant à contretemps, en a gâché et rendu nuls les pouvoirs.
Pour éviter pareille faute, regardez quelles précautions il prend quand il doit se glorifier, reculant non pas une fois, ou deux, mais davantage : “Ah ! si vous vouliez supporter un tant soit peu de folie chez moi” (2 Co 11, 1). Et encore : “Ce que je raconte, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme saisi de folie” (2 Co 11, 17). “L’état où il faut être pour avoir cette audace – il faut avoir perdu la tête – est bien le mien, à moi aussi” (2 Co 11, 21). (trad. P. Soler, rév. G. Bady in PG 50, 500).
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Il faut un net discernement pour trouver « une raison suffisante de fuir absolument l’éloge de soi-même et de ne s’y livrer que si les circonstances l’exigent impérativement » (Chrysostome, idem, 501). Il se trouve dans cette analyse tout le contraire de l’esprit mondain qui cherche en toute circonstance sa propre gloriole.
Un ami catholique vient de m’envoyer un livre sur les résistants en France dans le Tarn. Le livre titre Les Protestants pendant la deuxième guerre mondiale (2024). Le plus gros chapitre de cet ouvrage porte sur la résistance catholique. Il est écrit par ce même ami catholique ce qui a stupéfié les autres contributeurs protestants : ils pensaient que la résistance et le sauvetage des juifs leur revenait à plein, quasiment à eux seuls.
Les livres de Sylvie Bernay[1] ou de Limore Yagil[2] montrent objectivement le contraire, ce qui semble logique vu la différence de proportion entre catholiques et protestants dans la population française à cette époque. La discrétion des catholiques tient dans ce dilemme de discerner entre l’humilité à garder (cf. Mt 11, 29 ; 1P 5, 5-6) et le témoignage « à temps et à contretemps » (2 Tm 4, 2).
Toute réalité véritable d’Église se trouve prise dans l’étau de cette double contrainte. Si rien ne l’oblige elle se souvient avec les Grecs que la parole est d’argent, mais que le silence est d’or. Avec le livre de Tobie qui manque si cruellement aux protestants, l’Église catholique sait par Révélation et par expérience, selon le mot de l’archange, qu’il « convient de garder le secret du roi, tandis qu’il convient de révéler et de publier les œuvres de Dieu. Remerciez-le dignement. Faites ce qui est bien, et le malheur ne vous atteindra pas » (Tobie 12, 7).
Pour que la leçon soit bien apprise de génération en génération elle est redite peu après : « Je vais vous dire toute la vérité, sans rien vous cacher : je vous ai déjà enseigné qu’il convient de garder le secret du roi, tandis qu’il convient de révéler dignement les œuvres de Dieu » (Tobie 12, 11).
Ce secret du Roi, tout catholique y tient pour la gloire de Dieu. Les œuvres catholiques en revanche sont accessibles par les médias, les sites, les journaux. Qui cherche trouve !
Fr. Édouard Divry op
[1] L’Église de France face à la persécution des Juifs 1940-1944 / Sylvie BERNAY/ Paris : CNRS, 2012.
[2] La France terre de refuge et de désobéissance civile (1936-1944), t. 1-3 / Limore YAGIL / Paris : Éditions du Cerf (2010).