Extrait Les derniers secrets du Vatican – Bernard Lecomte
Ni Margherita Guarducci ni les auteurs des Esplorazioni n’ont imaginé que
cette autre cavité, ressemblant davantage à une cachette qu’à un reliquaire, avait
contenu d’autres restes humains : quelques ossements blancs, confondus avec
des fragments de mortier, qui avaient intrigué naguère Mgr Kaas. L’éminent
prélat, assisté par l’ouvrier Segoni, les avait ramassés, un soir, pour les ranger
précieusement dans une petite caisse de bois, elle-même déposée dans un réduit
réservé à de tels rangements, un grand placard obscur et humide, en face de la
chapelle de Saint-Colomban. Sans en avertir les scientifiques…
Le bon Mgr Kaas meurt en avril 1952. Cette année-là, Margherita Guarducci
est occupée à déchiffrer les graffiti de l’ensemble de la zone des fouilles.
Certains évoquent l’apôtre Pierre, en effet. Notamment une longue inscription
chrétienne dans le mausolée voisin de la famille des Valerii, invoquant
l’intercession de l’Apôtre pour les âmes des défunts ensevelis près de lui.
L’experte, qui pensait faire une simple incursion dans le sous-sol de la basilique,
y restera six années ! Non sans rencontrer des difficultés majeures : certaines
inscriptions anciennes, à l’air libre, s’effacent peu à peu jusqu’à disparaître.
Parfois, c’est le crépi lui-même qui, en raison de l’humidité, s’effrite et se
détache avec les graffiti dont il est couvert.
Un jour de septembre 1953, l’infatigable Mlle Guarducci travaille devant les
inscriptions du fameux « mur g ». Avisant, une fois de plus, la cachette vide, elle
demande à l’ouvrier Giovanni Segoni si vraiment rien n’y a jamais été trouvé :
— Il devait y avoir quelque chose, répond Segoni. Au temps de Mgr Kaas, la
cavité a été vidée…
Vidée ! Sans que le prélat disparu en ait parlé à quiconque ! Segoni conduit
alors la jeune femme dans le réduit, en face de la chapelle de Saint-Colomban,
où la caissette se trouve toujours : elle n’a pas bougé depuis dix ans. A ce stade,
personne n’imagine encore l’importance de ce qu’elle contient : des vestiges
d’ossements blancs incrustés de terre, deux fragments de crépi rouge, quelques
écheveaux d’étoffe précieuse tissée de fils d’or, etc. Aucun prélat, aucun savant
ne se précipite pour examiner ces débris considérés comme secondaires.
Il faudra attendre 1956 pour qu’un anthropologue réputé, le professeur
Venerando Correnti, entreprenne l’analyse méticuleuse de l’ensemble des
ossements ramassés sous la Confession. Ses travaux, après plusieurs années
d’études, commencent par contredire les propos du docteur Galaezzi-Lisi : les os
qu’a étudiés dévotement le médecin personnel de Pie XII appartiennent à trois
individus différents, dont une femme, sans rapport particulier avec l’apôtre
Pierre.
En revanche, les quelques os déplacés naguère par Mgr Kaas, que le
professeur Correnti étudie en 1962, l’intriguent : ils appartiennent à un individu
unique, privé de son crâne, de sexe masculin, d’un âge estimé entre 60 et 70 ans,
et de constitution robuste. Ces ossements-là, qui ont d’abord été inhumés en
pleine terre, ont été plus tard enveloppés dans un tissu pourpre cousu de fils d’or.
La terre, analysée par le professeur Carlo Lauro, de l’université de Rome, est
bien la même que celle de la nécropole où le corps de Pierre est censé avoir été
enseveli après sa mort. Le tissu, étudié par les professeurs Maria-Luisa Stein et
Paolo Malatesta, révèle l’inhabituelle piété dont son contenu fut l’objet. Cette
fois, tout concorde – même si l’on ne peut transformer en certitude absolue un
solide faisceau de fortes présomptions…
Ces résultats confirment l’intuition de l’historien français Jérôme Carcopino,
qui s’était passionné pour les fouilles au début des années 1950. L’académicien
avait émis l’idée que cette cachette insolite avait abrité les restes de l’Apôtre.
Pour lui, c’est le pape Grégoire le Grand, à la fin du VIe siècle, qui avait dû
placer les précieuses reliques dans cette cavité afin de les soustraire à
d’éventuels pillages – les Goths ont ravagé la région quarante ans plus tôt – ainsi
qu’aux possibles prélèvements de pèlerins un peu trop entreprenants. Cet avis
sera contesté par l’un des prospecteurs, le père Kirschbaum, qui estime pour sa
part que la cachette creusée dans le mur de soutien, le fameux « mur g »,
remonte au XVIe siècle. Qu’importe la polémique sur la date : c’est le contenu,
bien sûr, qui compte !