Le 29 novembre 2024, la Basilique Saint-Sernin de Toulouse a dévoilé avec fierté sa nouvelle rosace, œuvre contemporaine du plasticien Jean-Michel Othoniel. Mais au-delà de l’apparence festive de l’inauguration, une question se pose : la beauté et la sacralité du lieu ont-elles été préservées, ou la basilique a-t-elle été sacrifiée sur l’autel de l’art contemporain dénué de spiritualité?
La basilique Saint-Sernin, véritable chef-d’œuvre de l’architecture romane, est un monument emblématique de Toulouse et l’une des plus grandes églises romanes d’Europe. Construite à partir de 1080, elle fut achevée au début du XIVe siècle et est dédiée à Saint Sernin, un martyr chrétien du IIIe siècle.
Sa grande nef et son chœur majestueux ont fait d’elle un lieu de pèlerinage majeur sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. La basilique est célèbre pour sa structure impressionnante et ses éléments architecturaux remarquables, tels que ses arcs-boutants, ses chapiteaux sculptés et ses magnifiques sculptures. Son histoire est indissociable de la foi chrétienne et de la dévotion des générations de croyants qui y ont prié.
Saint-Sernin incarne la beauté et la grandeur du patrimoine religieux, un témoignage vivant de l’héritage spirituel et culturel de la chrétienté en Europe. C’est donc avec un profond respect pour son histoire et sa vocation sacrée qu’elle devrait être préservée, loin de toute tentative de dénaturer son essence avec des œuvres d’art modernes inappropriées.
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La rosace, avec son halo multicolore diffusant une lumière irréelle dans la nef, est désormais l’élément central de la basilique. « C’est important d’ouvrir des portes, pour que les gens qui entrent dans la basilique et voient le vitrail aient un rapport sensuel à l’œuvre », déclare l’artiste. Voilà une déclaration qui frôle la déraison lorsque l’on parle d’un lieu de culte dédié à Dieu. La basilique n’est-elle pas avant tout un lieu de prière et de recueillement, et non un espace où l’on « consomme » de l’art comme une expérience sensorielle ? Othoniel insiste sur l’idée que « une œuvre d’art ne se livre pas d’un seul coup », mais qu’il faut « du temps pour que celle-ci se révèle ». Mais, au-delà de la patience qu’il faudrait déployer pour comprendre cette œuvre, il convient de se demander si cette « révélation » vaut vraiment la perte d’une part du caractère sacré du lieu.
La rosace contemporaine, bien que techniquement impressionnante avec ses 5,50 mètres de diamètre et ses 38 panneaux distincts, est d’un goût douteux. Avec environ 200 pièces de verre par panneau, l’œuvre, fabriquée à l’Atelier Loire à Chartres, semble davantage conçue pour attirer l’attention des spectateurs que pour se fondre dans l’harmonie architecturale et spirituelle des lieux.
La forme et les couleurs de cette nouvelle rosace sont également source de profondes préoccupations. Les lignes courbes, aux teintes roses et mauves, ne peuvent qu’évoquer des décorations de salon de massage ou de spa de luxe, loin des symboles traditionnels et des formes qui caractérisent l’art sacré.
Le contraste avec les teintes vibrantes et agressives de ces couleurs modernes fait écho à un décor plus mondain qu’à la beauté transcendante des vitraux anciens. La rosace devrait, par sa lumière et ses formes, diriger l’âme vers le divin, mais elle semble plutôt nous entraîner vers un univers profane, où les intentions artistiques se perdent dans un élan décoratif sans profondeur spirituelle. Les courbes, loin de symboliser les chemins de la foi, ressemblent plus à des arabesques superficielles, dénuées de toute référence religieuse. Le mauve et le rose, si souvent associés à une atmosphère de détente et de confort moderne, ne correspondent en rien à la beauté et à la solennité qu’exige un lieu sacré comme Saint-Sernin.
Ces motifs et ces couleurs » chamalows « auraient pu accompagner l’environnement des jouets de poupée Barbie et leur association ne fait qu’accentuer la déconnexion entre cette création et l’essence même de la basilique.
Bruno Loire, maître verrier, se félicite de cette réalisation rare, mais le caractère inusité de l’œuvre n’en fait pas nécessairement une réussite artistique, loin de là. À l’opposé de cette « modernité » criarde, qu’en est-il des magnifiques rosaces traditionnelles, telles que celles de Notre-Dame de Paris ou de la cathédrale de Chartres, qui, par leur beauté et leur symétrie, incitaient à la méditation, à la contemplation divine? La rosace de Saint-Sernin, elle, ne parvient qu’à perturber cette dimension transcendante en imposant un art lourd, presque agressif.
Mais ce n’est pas tout. Il est précisé que cette rosace, de par sa conception, a pour objectif de « préparer la basilique à accueillir les spectateurs lors des prochains concerts ». Le sacré est ici relégué au second plan, et la basilique, plutôt que d’être un lieu de prière et de spiritualité, semble se transformer en une future salle de spectacle où la lumière, l’art et le public se mélangent dans une cacophonie de sens. C’est un affront à la mission première de cet édifice, classé au patrimoine mondial de l’Humanité, de rester un sanctuaire dédié à la prière et au silence, loin de l’effervescence des concerts et des « spectateurs ». La basilique Saint-Sernin, joyau de l’architecture romane, méritait un projet respectueux de sa vocation divine pour des fidèles venus prier , et non une vitrine d’art contemporain pour des mélomanes de passage.
Le recteur de la basilique, Bogdan Velyanyk, a tenté de lier cette œuvre à la spiritualité en déclarant : « Quand on suit le dessin de plomb au cœur de la rosace, celui qui la contemple est invité à comprendre que la vie est un pèlerinage. » Mais une question demeure : quel pèlerinage pouvons-nous envisager en contemplant une œuvre d’art aussi triviale et inadaptée à un lieu sacré? Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, qui traverse Saint-Sernin, mérite-t-il d’être marqué par une rosace dont la seule vocation semble être d’attirer un public de plus en plus éloigné de la vraie dimension sacrée des lieux de culte?
La Basilique Saint-Sernin aurait gagné à préserver l’intégrité de sa spiritualité plutôt que de céder à l’appel d’une modernité artistiquement grossière malvenue. Les vitraux, ces livres ouverts qui racontent la Bible aux fidèles par la beauté et l’harmonie, ont cédé la place à un art « d’impact », un art de la forme mais sans substance, sans écho dans les cœurs des fidèles. Au lieu de cela, Saint-Sernin aurait dû se fier à la lumière des traditions anciennes, celle qui ne se distingue pas par l’orgueil de son créateur, mais par la grandeur divine qu’elle évoque.